mercredi 2 juillet 2008

MESSAGE DES EVEQUES DE COTE D' IVOIRE MARS 1990

CONFERENCE EPISCOPALE DE COTE D' IVOIRE

          Le 2 décembre 1982 dans notre lettre pastorale sur l' éducation nous jetions un regard critique sur l' orientation très matérialiste de la société ivoirienne. Entre autre nous écrivions:

          "Cette sorte de société ignorera la communication naturelle, régulière entre les différentes couches sociales. Le dialogue véritable s' y avère impossible ou tout au moins conventionnel et artificiel. Les pauvres, par peur des grands, risquent de se contenter d' écouter et d' enregistrer ce que leur disent les hommes au pouvoir, jusqu'au ce que à bout de patience, et de tolérance, le peuple exacerbé en vienne à s' armer de courage et d' audace pour se rebeller contre une telle société. L' histoire nous montre que le peuple déchaîné est plus violent et commet plus de dégâts qu' un fleuve qui rompt ses digues et détruit tout sur son passage".(1)

          Les événements vécus ces derniers temps dans notre pays montrent que la brève analyse d' alors n' était pas une vue de l' esprit. Nous avons frôlé la catastrophe...et nous vivons encore sous tension parce que le danger subsiste toujours. C' est pourquoi, pour joindre notre voix à celle de tous les hommes de bonne volonté, et pressés par l' amour du Christ qui nous rend solidaires de tous nos frères, nous nous sommes réunis en session extraordinaire pour vous dire qu'il n' est pas encore trop tard pour nous ressaisir et éviter ce danger qui nous menace.

          Nous constatons, avec satisfaction, que beaucoup, toutes confessions confondues, ont eu instinctivement recours à Dieu pour lui demander de nous éviter un tel malheur. nous-mêmes, dans nos différents diocèses, nous avons déjà insisté auprès des catholiques pour qu'ils prient en faveur de notre pays.

          Cependant, nous devons dire que la prière, telle que certains la conçoivent et la pratiquent, ne suffira guère à nous tirer de cette difficile situation. En effet ceux-là croient que Dieu va descendre pour intervenir d' une façon magique afin de nous sauver. Ils oublient que la prière a besoin de certaines dispositions de coeur et de certains signes extérieurs. Dans les circonstances actuelles il nous faut réaliser ces dispositions et produire ces signes.

          Nous ne voudrions pas citer ici une à une les conditions de la vraie prière. Nous les résumons par un seul mot: LA CONVERSION autrement dit le changement radical de mentalité, de comportement de la part de chacun et de tous, sans exception, et cela à tous les niveaux. Il s'agit surtout de nous laisser pénétrer, interpeller par la vérité. C'est la lumière de la vérité qui doit opérer en nous cette transformation profonde de mentalité pour nous débarrasser des ténèbres du mensonge, de l'hypocrisie, de la peur. Si nous prenons ainsi goût à la vérité, nous la rechercherons sans relâche et cela nous rendra libre selon la promesse formelle du Christ:"Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la vérité et la vérité vous libérera"(2)

          Si nous changeons ainsi radicalement pour croire en la valeur de la vérité et de la liberté dans notre société, et si chacun est convaincu qu'il n'est pas l'unique détenteur de la vérité et de la liberté, alors nous saurons nous rencontrer pour échanger sur le devenir de notre communauté nationale en crise. On instaurera un vrai dialogue, un débat ouvert dans la vérité et dans la liberté pour rechercher les voies et moyens qui permettent de réaliser la justice dans notre société, une justice génératrice d'unité, de paix et d'ordre parce que chacun se sera préoccupé de tous, et tous se seront souciés de chacun.

          C'est d'un tel dialogue que notre pays a le plus besoin aujourd'hui: un dialogue où chacun a le courage de dire ce qu'il croit être la vérité, en toute liberté, dans le respect des personnes bien sûr, sans être nullement inquiété par quelque menace de sanction; un dialogue où l'on écoute l'autre jusqu'au bout pour accueillir son opinion comme un complément de la nôtre. Un tel dialogue est une étape nécessaire dans la recherche de la vérité, d'autant plus que les institutions officielles ne semblent pas toujours jouir de leur crédit naturel. Ce dialogue ouvert devra pouvoir s'exercer au grand jour pour éviter tous les discours et les écrits clandestins de désinformation.

          Sommes-nous capables, aujourd'hui en Côte d'Ivoire de dire la vérité en vue de la recherche de solutions justes pour chacun des habitants de ce pays? Si oui, alors l'espoir est permis. Si non, ce ne sera pas encore le désespoir. Mais c'est là que nous appelons justement à ce changement radical de mentalité et de comportement: il faut quitter de mentalité et de comportement: il faut quitter notre mensonge, notre hypocrisie, notre peur pour que la confiance renaisse entre nous et que le dialogue soit possible: le dialogue dans la vérité, dans la liberté en vue de la construction d'une société plus juste et plus fraternelle: voilà qui est difficile.

          La conversion qui est transformation de mentalité et de comportement, sera le contenu de notre prière. C'est pourquoi nous demandons à Dieu de nous aider à être sincères, à dire la vérité en toute liberté dans les instances où se pense l'avenir de notre pays. Nous lui demandons aussi de nous donner un tel sens de la justice, qu'on n'ait pas besoin de nous corrompre dans l'exercice de nos devoirs de citoyens et dans l'accomplissement de notre travail professionnel. Si nous présentons sincèrement à Dieu toutes ces demandes, il aura pitié de nous, et ainsi, selon son habitude, il se servira de nous, pour sauver notre pays. Et alors, l'espérance qui fait tant défaut aujourd'hui aura de solides raisons d'habiter nos coeurs.

Fait à Abidjan, le 21 Mars 1990

Vos frères, les Evêques de Côte d'Ivoire.

         

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  1. Lettre pastorale sur l' éducation, p. 6; 1982
  2. Jean VIII, 31-32

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