mercredi 13 avril 2011

PARRHESIE

PARRHESIE

Kim Kollins et Bienheureuse Elena Guerra, dans leur ouvrage commun dans le buisson ardent, l’urgence de la prière d’adoration et d’intercession (Béatitudes 2004) nous interpellent en ces termes : « Votre cœur est réellement un nouveau Cénacle où l’Esprit Saint est le plus doux des hôtes et le plus fidèle de tous les amis. » En effet, ajoutent-elles, le monde a besoin de revenir à Dieu, et il ne le pourra que par la prière. Là est bien le premier engagement du baptisé, adorer, louer, intercéder, rendre grâce. Et de toutes les prières, l’Eucharistie est le pilier central. Notre époque, ici, en Côte d’Ivoire, vit une culture de mort.

Depuis près d’une semaine, nous avons vécu un western, digne des grands studios hollywoodiens. Des hélicoptères Puma dans notre ciel, crachant des bombes de feu, de jour comme de nuit. Des répliques de mortier(les supposés armes lourdes de Gbagbo) au sol qui cherchaient à les abattre. Des chars au sol et des rebelles, attaquant une armée gouvernementale, non aguerrie, fuyant et abandonnant armes, minutions, et treillis aux civils aux mains nus…Toute cette mise en scène pour arriver à la capture du héros du film : un Président démocratiquement élu, qui est contraint de se rendre parce que sa maman est prise en otage par les rebelles. Nouvelle pacification de la Côte d’Ivoire par les Etats-Unis d’Amérique dont la France constitue ici, le bras séculier et l’ONU l’armada juridique.

Cette pacification a commencé par des pillages de toutes sortes, des exactions, un véritable génocide contre les nombreuses populations civiles (Dioulas et baoulés excepté). Ces exactions et exécutions sommaires commisses par des rebelles, agissant pour le compte de M. Alassane Dramane Ouattara, sur la base des critères ethniques, religieuses et politiques. Il s’agit ici, bel et bien d’une épuration ethnico-religieuse. Ces exactions se déroulent, à l’heure où j’écris ces lignes, dans les quartiers de Yopougon Km 17, Yopougon-Sicogi, Riviera 2 et le camp Commando de Koumassi. Dans ces quartiers, munis de listes de personnes à neutraliser par tous les moyens, les nouveaux Interahamwe, véritables bandes armées, habillées et armées par Sarkozy, agressent, tuent, pillent et violent les populations profondément traumatisées. Ils ciblent des personnes et les égorgent et peu après les brûlent tandis que d’autres ivoiriens (Dioulas) applaudissent. La machine à tuer est en marche. Mais pourquoi, le Président Ouattara, notre 5è Président, selon l’histoire, s’en prend-il aux Ivoiriens ?

Pour le comprendre, méditions les réflexions de M. Cissé Ibrahim Bacongo, dans son ouvrage Alassane Dramane Ouattara, une vie singulière, légende et épopée (NEI/CEI 2007). Après le tableau ahurissant et proche de l’apocalypse qu’il dresse de la société ivoirienne, notre auteur décrit Alassane comme le Sauveur qui vient délivrer les Ivoiriens. Le bravetchè arrive…mais il est rejeté par les Ivoiriens. « Ils sont méchan-an-an-ants ! Que les hommes sont méchan-an-an-an-ants ! Qu’est-ce qu’il leur a fait ? » Depuis lors, la rancune est devenue le programme de gouvernement de M. Ouattara, le fondement symbolique ou idéologique de son système politique, une hypothèse de la perversion. Cette hypothèse de la perversion comme principe dont le dispositif idéologique de la rancune tire son efficacité. Mais qu’est-ce que la rancune ?

La rancune, c’est le ressentiment qu’on garde d’une offense. Elle s’appréhende comme l’intention de ne pas relever le frère tombé (dans la faute ou dans la maladie) et de l’abandonner aux portes de la communauté. Elle se matérialise par l’avalement de la salive. Dans ses discours, M. Ouattara parle sur deux registres : il y a ce qu’il affirme du bout des lèvres, et il y a ce qu’il fait concrètement (cf. mon analyse du dernier discours de M. Ouattara). D’une part, Ouattara veut se venger de tous ceux qui l’ont traité de « petit Mossi », de « Mossi Dramane » et de l’autre, il appelle à la réconciliation et au pardon. C’est dans ce contexte que notre nouveau Nabuchodonosor a fait arrêter Laurent, Simone et Michel et les a conduit au sous-sol du Golf-Hôtel, avant de les conduire dans le Nord du pays (Source Onusienne). Ils ont rejoint Henri-Aimé et Henriette (pères de l’Ivoirité). Mais ce qui m’étonne, par-dessus tout, ce sont nos politiciens et nos généraux, autres mangeurs et grilleurs d’arachide ou autres rats. Ceux qui ont été achetés par ADO et ceux qui veulent manger dans tout, les Koffi Gombo de tous acabit, qui sont en train d’adorer en ce moment le Veau d’or, après l’avoir insulté et humilié. Leur problème, c’est leur ventre : ils veulent manger. Mais la question est que « manger », quelle que soit la chose ingérée, sans qu’auparavant ne soit évacuée la mauvaise salive, produite par l’offense, c’est alimenter la rancune, entretenir les ressentiments, nourrir les haines, exacerber les frustrations et accroître les désirs de vengeance. De même, inviter les autres au banquet, au festin de Balthazar, en ruminant des pensées travaillées par la rancune ou le pardon astucieux, participe d’une politique de manœuvres, de compromissions, de répressions morales, qui ont besoin de stabilité et de la paix pour se perpétuer. En ce moment, Abidjan comme, Sodome et Gomorrhe, plonge dans le chaos.

J’ai voulu interroger Zirignon Grobli sur le chaos et l’ordre. L’éclosion de l’humain (Paris, L’harmattan 2003), je n’ai pas obtenu ce que je cherchais. Mais je puis affirmer que la France a installé le chaos en Côte d’ Ivoire et les Etats-Unis, la jungle. En bombardant le centre Hospitalier Universitaire de Cocody, la Maison de la Télévision, le Palais Présidentiel au Plateau et la résidence de Cocody et autres camps abritant des civils, incendiant des commissariats, l’Université d’Abobo-Adjamé. Ainsi l’ordre nouveau des Dozos et autres drogués de rebelles font la loi, sous le regard bienveillant des Com’zon, véreux et condescendants devant les pillages et les exactions de tous genres. L’ordre nouveau d’Alassane Dramane Ouattara est établi, et avec lui, la paix des cimetières. Alassane Dramane Ouattara adore le concept de pacification. Je fais le lui ouvrir dans un plateau du Prof. Koné Tanella Boni.

Notre collègue écrit : « La pacification, mot utilisé, comme l’on sait, au temps de la colonisation, était porteur de violence, inouïe comme le mot « charnier » l’est aujourd’hui. Il s’agissait de pacifier des espaces en imposant une langue, une religion, toute une culture représentée par la Loi, une administration qui, dans l’imaginaire du colonisé, pouvait se peindre avec quelques attributs comme le casque ou l’habit typique du colon. Ici et maintenant, ce mot revient à la mode. On l’emploie pour désigner une opération de maintien de l’ordre dans telle région, dans telle ville. En clair, on pacifie en utilisant des armes, en matraquant, en tuant. On fait taire définitivement les voix qui pourraient encore prononcer un seul mot, être discordantes. On les réduit au silence. » (Colloque Paix Violence et Démocratie en Afrique. Actes du Colloque d’Abidjan 2002, p. 306). La Côte d’Ivoire, sous l’ère Alassane Ouattara connaît sa nième pacification (après le Sanwi et le Guébié, et celle de la Cité Universitaire de Yopougon.). L’ordre des forces Républicaines est instauré par des Dozos et autres incultes armés de kalachnikovs. Le mot « ordre » n’est nullement associé, dans ce vocabulaire martial, à la beauté, comme dans quelque poème baudelairien. L’ordre est pacification, c’est-à-dire violence, non-respect des droits humains – dont le droit à la vie et à la dignité humaine. Les Forces Républicaines aujourd’hui à Abidjan, sont en conflit permanent avec les populations. Elles sont appelés « gardiennes de la paix ». Mais nous pouvons nous demander quel type de paix est ici gardé, si ce n’est pas la paix des cimetières, le calme plat, dans un lieu inviolable. Qui doit-on traduire devant les tribunaux, Jésus ou Barabbas ? Comment peut-il y avoir la paix civile à Abidjan et dans le reste du pays quand les com’zones qui occupent les commissariats, sont corrompus et se conduisent comme des bandits de grands chemins ? Ici la loi du silence est de mise. Comment passer de la mort ambiante à la paix du cœur ? Comment sauver la parole enfouie dans le cœur de chaque être humain ? Par la prière. Retournons donc à la prière.

Je pense que tout ce que je viens de dire et d’écrire est une prière, car comme le dit d’une façon étonnante Origène, « Celui qui unit la prière aux engagements nécessaires et les engagements à la prière, celui-là prie vraiment. Ainsi seulement pouvons-nous mettre en pratique, le précepte ‘Priez toujours’(1Th5,17), si nous considérons toute l’existence chrétienne comme une grande prière, dont ce que nous avons coutume d’appeler la prière n’est qu’une partie. » (Origène.- De la prière, exhortation au martyr (J. Gadalda & Fils 1932), 12,2.

Dans ce texte, nous avons voulu parler de la prière, en le vivant. Le faisant, je ne vous parle pas de la prière comme spontanéité émotive, ni comme de l’ésotérisme. Pour moi, la prière est un décentrement de la personne pour laisser le « moi » du Christ déployer sa vie en nous. En somme la prière est un mouvement d’ouverture à la communion avec Dieu dans l’espace de l’alliance avec lui. Aujourd’hui, nous avons des difficultés pour prier, parce que nous sommes ébranlés dans notre foi. La prière, est toujours oratio fidei, c’est-à-dire, non seulement prière qui doit être faite avec foi, mais qui découle de la foi ; la prière est la capacité expressive de la foi, elle est la modalité de l’éloquence. Le milieu ecclésial n’est plus reconnu comme une école qui introduit à l’art de la « vie en Christ » : l’Eglise est devenue toujours davantage ministre de paroles éthiques, sociales, politiques, économiques, et semble avoir égaré l’usage de son message propre…Mais alors qu’est-ce que la prière veut dire véritablement ?

La prière n’est pas recherche de Dieu mais réponse de Dieu. Plus encore, nous ne prions pas la Tri-unité de Dieu, mais nous prions bien plutôt en elle, impliqués dans la communion de vie et d’amour qu’est la relation divine elle-même. Prier devient dès lors, faire l’expérience spirituelle de ce Dieu qui n’est pas infiniment lointain, mais qui est au-delà en étant au centre de notre vie. Prier, c’est accueillir une Présence découverte, désirée, invoquée, une Présence parfois immense, écrasante. En partant de l’écoute, à travers la découverte d’une Présence, nous nous ouvrons, par la prière, au dialogue, à la communion avec le Seigneur.

C’est de là que naît notre parrhésie dans la prière : elle est confiance, audace, liberté à se tenir devant Dieu, à lui parler avec franchise, en attendant sa réponse, qui est toujours en même temps un jugement prononcé sur notre vie. Ainsi nous est donnée la makrothymia de Dieu, la capacité de porter un regard ample, un sentiment vaste, une pensée large sur toute chose, sur chaque créature, même la plus misérable, même celle qui est le plus marquée par le péché et le plus blessée dans sa ressemblance avec Dieu.

Celui qui prie devient dioratique : il devient capable de voir « au-delà », de voir en profondeur ; il reconnaît que tout est grâce, que tout est don de Dieu, et –en Dieu – il assume les entrailles de miséricorde de Dieu, même face au mal et au péché qui contredisent l’agapè. Mais comment prier ?

Le Talmud enseigne que toute bénédiction dans laquelle le Nom divin n’est pas mentionné est nulle, et toute bénédiction qui n’évoque pas la royauté de Dieu est invalide (bBerakhot 40b). Aujourd’hui les chrétiens savent parler de Dieu, mais savent-ils aussi, comme les générations chrétiennes passées, parler à Dieu ?

Pour conclure, disons qu’en ce moment crucial de la vie de la Côte d’Ivoire, la prière elle-même devient une épreuve, et plus on prie, plus se déchaînent les ennemis, ces forces irrationnelles et hostiles à Dieu qui habitent les profondeurs non encore évangélisées du cœur. Il faut alors s’exercer à la persévérance, prier sans se lasser, attendre les temps de Dieu, et si l’on ne parvient plus à prier, continuer à offrir, quoiqu’il en soit, avec l’aridité de notre cœur, la présence de notre corps, sans voix et rebelle à la fatigue de la prière. Evitons donc de faire automatiquement de l’action une prière, et surtout, ne séparons pas la prière et l’action, la vie de foi et la pratique du monde, en délégant la vie de foi et la pratique du monde, en déléguant la prière aux moines ou aux solitaires contemplatifs.

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