lundi 29 octobre 2007

PHILOSOPHIE ET ENVIRONNEMENT

INTRODUCTION

La question de l'environnement est un problème récent en philosophie. Pour Maurice KAMTO(1), l'environnement constitue un nouveau champ de recherche sans frontières, car il remet l'interdisciplinarité à l'honneur."Parce qu'il englobe tous les éléments de la nature reliés par des rapports d'interdépendance systématique, poursuit-il, l'environnement ignore les murs de souveraineté érigés par les Etats. Parce qu'il se conçoit à la fois comme connaissance du milieu naturel et protection dudit milieu, il transcende les frontières disciplinaires qui ceinturent les spécialistes et transforment le savoir scientifique en une tour de Babel." (2). Ainsi, définit-il l'environnement comme "l'ensemble de la nature et des ressources naturelles, y compris le patrimoine culturel et l'infrastructure humaine indispensable pour les activités socio-économiques"(3) ou pour être plus précis "on entend par environnement, le milieu, l'ensemble de la nature et des ressources, y compris le patrimoine culturel et les ressources humaines indispensables pour les activités humaines indispensables pour les activités socio-économiques et pour le meilleur cadre de vie."(4). Cette définition, aux dires de notre auteur, prend en compte les composantes traditionnelles de l'environnement, à avoir la nature(constituée des espèces animales et végétales et des équilibres biologiques naturels) et les ressources naturelles (composée de l'eau, l'air, le sol, les mines), d'autre part, elle intègre des éléments nouveaux dégagés au cours du développement de la pensée environnementaliste (le patrimoine culturel" et "l'infrastructure humaine". En effet, pour Jean BAIRD CALLICOT(5),  c'est seulement en 1960 que des indices ménaçant l'environnement commencèrent à se manifester: érosion des sols, pollution atmosphérique et aquatique, diminution du nombre des oiseaux, invations d'insectes nuisibles, plages souillées par des marées noirs. L'évolution régressive de la qualité de l'environnement en Afrique, est devenue, au fil du temps, une réalité inquiétante. Dans sa stratégie environnementale, Douzo KOUBO propose des mesures simples mais efficaces comme celle "visant à réduire les substances polluantes(le gaz carbonique) émises par le secteur des activités industrielles"(6), "la réglementation de l'activité de chasse"(7). Mais nous sommes d'accord avec lui que le véritable problème, c'est l'information. Il faut informer et former à l'environnement, car c'est cette action conjuguée qui permettra une lisibilité des politiques de nos gouvernants et l'acceptation des contraintes qui y sont liées. Ce sera l'objet de notre première partie. Puis, nous verrons comment la philosophie permet de mieux comprendre la question de l'environnement en revenant  à la Phusis des Grecs.

1. UNE POLITIQUE D'INFORMATION ET DE FORMATION

A. BOURGOIN-BAREILLES dans son guide de l'environnement à l'usage des citoyens et des collectivités territoiriales nous fournit un outil indispensble pour mieux pratiquer lenvironnement. Il s'agit d'appprendre en tant que citoyen à "ne pas polluer, économiser les ressources naturelles, produire afin de respirer sans crainte, boire et consommer sans risque, habiter et vivre sans danger"(8). Pour cela, il faut connaître les règlements, les techniques, les aides, les assistances que constitue le référentiel de l'environnement(9).  Il faut d'abord une bonne administration de l'environnement et des comptences communales.

1. ADMINISTRATION DE L'ENVIRONNEMENT ET COMPETENCES COMMUNALES

A. BOURGOIN-BAREILLES trouve très important, le rôle que jouent les communes dans les politiques environementales. En effet, le maire doit veiller à l'ordre, la sécurité, la salubrité, la tranquillités publiques et les Services municipaux gèrent les questions d'eau, de déchets, d'énergie.  De plus, les communes ont un rôle primordial dans la gestion du patrimoine foncier, urbain, rural, et des dispositifs règlementaires (schémas d'aménagement, paln d'occupations des sols...) structurent leurs actions auquelles peuvent s'ajouter des démarchent telles que les Chartes pour l'environnement. Tout ceci a un coût.(10) Si la répartition des compétences environnementales a une plus longue pratique dans la communauté européenne et dans l'Etat français(11), D.M. KABALA pense qu'il faut déclarer un état d'urgence en Afrique. Pour lui "l'état de l'environnement africain, qui a subi les effets de politiques inadéquates et d'une aide au développement dans l'ensemble inappropriée et mal utilisé, est l'objet de préoccupations grandissantes, notamment en ce qui concerne l'équilibre de ses différents écosystèmes et de ses ressources naturelles ainsi qu'en ce qui concerne ses possibilités d'évolution."(12) La Côte d'Ivoire, en ce cas précis, n'est pas une exception, au regard de la loi n°96-766 du 3 Octobre 1996, portant Code de l'Environnement. Ici, c'est" l'Etat qui s'engage à faire de l'environnement et de sa protection une politique globale et intégrée", à "prendre toutes dispositions appropriées pour assurer ou faire assurer le respect des obligations découlant des conventions et accords internationaux auxquels il est partie" à "interdire toute activité menée sosu son contrôle ou dans les limites de sa juridiction, susceptible d'entraîner une dégradation de l'environnement dans un autre Etat ou dans des régions ne relevant d'aucune juridiction nationale", d' "oeuvrer en toute coopération avec les autres Etats pour prendre les mesures contre la pollution transfrontière"(13). Mais l'Etat n'est pas seul dans sa tâche. Il est aidé des collectivités locales qui "sont responsables de la collecte, du transport et de l'élimination des déchets ménagers. Cette action peut être entreprise en laison avec les départements et les régions ou avec des groupes privés ou publics habilités à cet effet. Elles ont l'obligation d'élaborer des schémas de collecte et de traitement des déchets ménagers avec le concours des services techniques des structures compétentes. Elles assurent également l'élimination d'autres déchets qu'elles peuvent, eu égard à leurs caractéristiques et aux quantités produites, contrôler ou traiter."(14). Si nous connaissons ceux qui gèrent l'environnement à présent, il n'est pas sûr que nous sachions les nuisances dans leur particularité. Quedire par exemple du bruit?

2. LE BRUIT

L e bruit est placé, selon A. BOURGOIN-BAREILLES, au premier rang des nuisances de la vie quotidienne(15). Pour elle, les sources du bruit sont multiples et ses perceptions diffèrent selon les lieux et les personnes. Une musique peut être agréable pour certains et insupportable pour d'autres; en revanche le bruit du trafic routier, ferroviaire ou aérien est incommodant pour tous et va en s'accentuant. La nocivité est fonction de la durée, de l'intensité, de la répétition, de l'horaire d'émission. Pour le législateur ivoirien, la "nuisance est toute atteinte à la santé des êtres vivants, de leur fait ou non, par l'émission de bruits, de lumière, d'acteurs.."(16). Il faut donc un code qui "améliore les conditions de vie des différents types de population dans le respect de l'équilibre du milieu ambiant."(17). Comme nous le constatons cette législation fait une différence entre bruit et nuisance. Le Régime de l'interdiction s'applique à la fois aux bruits excessifs et aux bruits nuisibles pour la santé.

Un bruit correspond, pour J.-F. BEAUX(18) à un ensemble de sons perçus par l'organisme comme une sensation désagréable et gênante. Un son est une vibration de l'air, se déplaçant à la vitesse de 343 mètres par seconde, et dont on peut définir la fréquence et l'intensité. La fréquence, mesurée en herz(Hz) mesure la hauteur du son et est d'autant plus élevée que celui-ci est aigu. La nuisance sonore est estimée en décibels(dB), la valeur 0 correspond à la limite de perception de l'oreille. Il faut surtout se souvenir que, dans cette échelle, toute augmentation de 3dB traduit un doublement du niveau sonore. Par ailleurs, la perception de celui-ci apparaît accrue pour les fréquences les plus basses et les plus hautes. La nuisance d'une source de bruit diminue avec la distance, un doublement de celle-ci s'accompagnant d'une réduction de 5 à 6 dB environ.

La nocivité d'un son, poursuit J.-F. BEAUX(19), dépend d'abord de son intensité, qui devient dangereuse à partir de 85 à 90 dB, valeurs pour lesquelles se développent les premiers dommages auditifs. Elle dépend également de la fréquence et du rythme d'application (répétition obsédante ou survenue inopinée de certains bruits). Les deux conséquences majeures d'une exposition prolongée au bruit sont, d'une part, lle développement d'une surdité et, d'autre part, l'apparition de différents troubles nerveux.

Les surdités causées par le bruit, affirme-t-il(20), s'observent dans certains environnements industriels dont le niveau sonore provoque des dommages, voire une destruction des cellules auditives de l'oreille interne. Ces surdités, dont certaines sont reconnues comme maladies professionnelles, s'installent de manière lente, irréversible et peuvent continuer de s'aggraver même après suppression des causes. Leur prévention nécessite un suivi régulier des personnes exposées et l'arrêt de l'exposition aux nuisances dès les premiers troubles. Ceux-ci peuvent correspondre à l'apparition d'un atrou auditif vers la fréquence de 4 000 Hz, où les sons ne sont plus entendus qu'au-delà d'une intensité anormalement forte. Ces troubles peuvent disparaître avec l'arrêt des nuisances sonores. Dans le cas contraire, la surdité s'accroît, notamment dans l'intervalle de fréquences correspondant à la parole (1000-2000Hz).

Finalement, conclut notre auteur(21), le bruit est également susceptible d'amoindrir les capacités de concentration et de réflexion. Il perturbe le sommeil, même si l'accoutumance permet finalement celui-ci dans un environnement bruyant, et aggrave les états irritables ou dépressifs. La lutte contre le bruit fait l'objet de réglementations rigoureuses. Les progrès techniques ont permis de réduire les nuisances industrielles et d'améliorer l'isolation phonique des habitations. Divers aménagements (murs antibruit, couverture des voies...) visent à atténuer les troubles liés aux transports. Après le bruit, les déchets constituent un élément important qui déstabilise notre environnement.

3. LES DECHETS

La modernisation de la gestion des déchets, aux dires de A. BOURGOIN-BAREILLES(22) répond à une demande écologique et sociale: celle de voir cesser les pollutions du sol, de l'air, de l'eau, et des paysages, dues aux décharges traditionnelles. Les déchets constituent un sujet qui devient chaque jour de plus en plus d'actualité : les citoyens se voient proposer des conteneurs pour la collecte sélective des papiers, du verre, des plastiques...les entreprises ont légalement la responsabilité de leurs déchets, les collectivités se mettent aux normes des plans départementaux d'élimination des déchets...sans oublier les coûts imputables aux uns et aux autres que génèrent les déchets, coûts en constante augmentation. Mais à ce stade, savons-nous réellement ce qu'est un déchet?

Il y a, pour J.-F. BEAUX(23), différents types de déchets. Les déchets produits par les activités humaines peuvent être d'origines ménagère, industrielle ou agricole (agriculture et industries agro-alimentaires). En Côte d'Ivoire,  la loi N° 96-766 du 3 octobre 1996, portant code de l'environnement, définit les déchets comme " des produits solides, liquides ou gazeux, résultant des activités des ménages, d'un processus de fabrication ou tout bien meuble ou immeuble abandonné ou qui menace ruine. les déchets dangereux sont des produits solide liquides ou gazeux, qui présentent une menace sérieuse ou des risques particuliers, pour la santé, la sécurité des êtres vivants et la qualité de l'environnement.(24). Le Code poursuit plus loin en disant que "tous les déchets, notamment les déchets hospitaliers et dangereux, doivent être collectés, traités et éliminés de manière écologiquement rationnelle afin de supprimer ou réduire les effets nocifs sur la santé de l'homme, sur les ressources naturelles, sur la faune et la flore et sur la qualité de l'Environnement." (25) Quant à la l'enfouissement dans le sol et le sous-sol de déchets non toxiques, il ne peut être opéré "qu'après autorisation et sous réserve du respect des prescriptions techniques et règles particulières définies par décret"(26). L'élimination des déchets, néanmoins pose un problème. Elle doit respecter les normes en vigueur et être conçue de manière à faciliter leur valorisation. A cette fin la loi fait obligation aux structures concernées de: "développer et divulguer la connaissance des techniques appropriées; conclure des contrats organisant la réutilisation des déchets; réglementer les modes de fabrication"(27) Par conséquent, des dispositions préventives et des dispositions pénales sont prises comme l'interdiction de "rejeter dans les eaux maritimes et lagunaires des eaux usées, à moins de les avoir préalablement traitées conforméméent aux normes en vigueur; des déchets de toutes sortes non préalablement traités et nuisibles." mais aussi de "de détenir ou d'abandonner des déchets susceptibles de favoriser le développement d'animaux vecteurs de maladies, de provoquer des dommages aux personnes et aux biens". (28) Nous comprenons la réaction mésurée du Prof. DIBI à propos de l'épisode des déchets toxiques dans notre pays. L'excellent philosophe écrit: "Il est une évidence : le temps de notre pays, comme il va, est, depuis quelques années, rythmé d’événements qui se déroulent à une vitesse tout à fait inhabituelle. A la crise ayant conduit à un conflit armé dont nous ne cessons de vivre les conséquences, fait suite une situation révélant symboliquement ceci : à chaque fois, vient nous offrir ses fruits, à l’extérieur et maintenant, sous une forme de déchets toxiques, ce que nous avons nourri à l’extérieur de nous-mêmes.

Quelque chose dans notre pays ne e trouve-t-il pas cassé, comme on le dit d’une montre dont le ressort ne fonctionne plus pour marquer l’heure ? Les figures de cette cassure se peuvent lire sous les traits de la suspicion, de la méfiance à l’égard du prochain le plus immédiat, de l’exil de l’autre dans l’indifférence et du regard obscur porté sur la personne venue d’ailleurs. Elles voient leur accomplissement ultime dans l’irruption d’un patriotisme instinctif, non éclairé, fait de la bouillie du cœur, oubliant que la république, en son concept, est la médiation conduisant l’individu à se tenir dans l’ouvert, en apprenant simplement à devenir AMI DE L’HOMME, quel qu’il soit. En réalité, la manière de regarder l’autre que nous considérons comme bouchant notre horizon n’est-elle pas liée à la manière dont nous nous regardons nous-mêmes ? Ne procède-t-elle pas d’une perversion intérieure, consistant à vouloir occuper seuls l’horizon, à tout ramasser pour ramener fiévreusement à nous uniquement toute la sphère de l’étant ? Une parole juive dit : « quand notre amour était fort, nous pourrions dormir sur le tranchant de l’épée. Aujourd’hui qu’il ne l’est plus, même un lit de soixante aunes ne nous suffit plus. » Quand ne nous suffit plus même un lit de soixante aunes, c’est le signe que désormais, en notre cœur, n’existe plus de place pour accueillir l’autre, pour recevoir l’homme en général, en un mot, pour tendre la main à l’humain.

N’est-ce pas parce que nous avons résolument tourné le regard vers l’univers de l’avoir et que désormais bouillonne en nous la voix des désirs érigée en absolu ? ... Lorsqu’une communauté se soucie uniquement de conjuguer le verbe « AVOIR », sans, une seule seconde, diriger son regard vers le verbe « ETRE », ne fait-elle pas choix d’une culture quantifiante, ne proposant à l’homme que la consommation, c’est-à-dire, élevant à l’absolu sa dimension animale ? Faire de l’avoir le but ultime de la vie, c’est, au fond, indéfiniment avoir des dettes, car abandonnés aux mirages du désir, créant toujours un vide à combler, nous avons en n’ayant pas…n’étant pas de soi-même normatif et ne pouvant nous offrir ni équerre ni compas pour cette raison, le quantitatif nous rend lourds, et nous tournons en rond ! Tel est le destin de ce qui a pour seule consistance l’inconsistant, la poussière des phénomènes !

En acceptant que soient déversés sur notre sol des déchets toxiques, ne manifestons-nous pas à quel point l’odeur de l’argent et la fièvre de l’enrichissement facile nous ont rendus insensibles au cri et à la splendeur de l’humain ? Le sage dit : « ce que tu fais, te fait ; ce que tu nourris, te nourrit ». C’est la rouille de notre or et de notre argent qui vient nous condamner. Comment, en ce geste d’accepter des déchets toxiques, ne pas voir nos impuretés intérieures, entretenues au fond de notre être, venues tapageusement et tragiquement se manifester à la surface ? Il vient d’être, révélé qu’une citerne de ces déchets semant la mort a été même enterrée dans une boulangerie ! la boulangerie est Un lieu ordonné au service de la vie, et cette circonstance signifie que c’est jusqu’au levain de la pâte de la vie qu’il est porté atteinte…Que l’odeur nauséabonde des déchets ait attiré l’obtention des populations pour révéler les choses à la lumière du jour, relève de la main bienveillante du destin voulant nous montrer la statue que nous avons sculptée de nous-mêmes, les traits hideux du veau d’or que nous ne cessons d’adorer et qui risque de nous transformer en des passagers obscurs, au regard sépulcral, sur une terre où pourtant doivent fleurir le beau, le vrai et le bien.

Chacun le sait : dans cette affaire, les responsables ne sont pas des personnes ordinaires, priant quotidiennement pour que leur soient assurées simplement nourriture, santé et paix. Les responsables sont en haut et ce point ne peut que sérieusement nous inquiéter ! Dans la constitution de l’être humain, ce n’est pas un hasard si la tête se trouve en haut, et non en bas. Les pieds ne peuvent aller que là où la tête a quelque projet. Les premières paroles de l’aveugle de Bethsaïda guéri par le Christ furent : « Je vois des hommes, et je vois comme des arbres qui marchent ». Par sa stature droite, l’arbre nous fait sentir intuitivement ce qui est juste. N’appartient-il pas à l’homme d’accomplir ce qui est pressenti, en marchant de manière droite, c’est-à-dire au fond, en volant de l’arbre vers le ciel, comme l’oiseau ? Lorsque la tête n’est plus tête que de nom, parce qu’elle est devenue un nid désordonné d’obscurs instincts, lorsqu’elle cherche à tâtons la porte de sa propre maison, comment peut-elle conduire d’autres personnes à bon port ?

C’est pourquoi s’impose, irréductible, indépassable et incontournable l’éthique du juste, assurant la sauvegarde des valeurs essentielles, en se tenant debout sur les tours de la conscience humaine, sur les promontoires du monde, afin de ralentir la dégradation du milieu humain. Sans doute, dans une société où se font de plus en plus envahissantes les passions les plus basses, l’on est prêt à dénigrer toute idée de mérite, d’excellence, et le juste a même honte de sa pureté…Mais le nivellement par le bas n’est pas une mesure, et « foule des sots ne peut égaler un sage », pour parler comme Giordano BRUNO ! Sans l’exigence de droiture, l’homme ne serait qu’un point d’interrogation dans le monde, car personne ne pourrait dire pourquoi il existe, et mieux vaudrait pour lui chercher, au plus tôt, à disparaître s’il lui fallait vivre n’importe comment, se développer en tous sens, au hasard !

Qui fait attention à la vie sait que « le désordre ne sort pas de la terre, le malheur non plus ne germe pas du sol». Ils trouvent leurs racines en nous-mêmes, mais nos bassesses meurent de leur propre poison. L’événement des déchets toxiques ne traduit-il pas l’enflure de nos impuretés désormais venues elles-mêmes se présenter à la surface, afin d’être chassées par la pureté et nous aider, à préparer, par une action incessante et féconde, l’avènement d’une société meilleure et plus éclairée ?"(29)

4. L'AIR

Les problèmes de pollution de l'air dans les grands centres urbains font de plus en plus souvent l'actualité des médias. les médecins constatent l'accroissement des crises d'asthme depuis quelques années dont les polluants de l'air sont largement suspectés d'être la cause aggravante si ce n'est déclenchante. Les "pluies acides" passent au-dessus des frontières. La raréfaction de la couche d'ozone ("naturel", stratosphérique, dans les hautes couches de l'atmosphère) et le rechauffement de l'atmosphère) traduisent l'aspect planétaire de la problématique de l'air.(30) Les symptômes les plus fréquents, pour J.-F. Beaux(31) correspondent à des inflammations des muqueuses et à des troubles respiratoires. Des substances telles que certains hydrocarbures ou des particules ont vraisemblablement des effets canncérigènes. L'étendue des nuisances que la pollution peut faire subir à l'organisme est difficile à établir avec précision. Il est en particulier difficile d'analyser séparément l'impact des diffents constituants inhalés sous forme de mélange. En outre, les concentrations ne suffisent pas pour définir les dangers potentiels: il peut exister des effets à long terme, aux conséquences pathologiques différées; ainsi, l'exposition à des fibres d'amiante, utilisées dans la construction jusque dans les années 60 et 70, commence aujourd'hui seulement à révéler ses dangers. Enfin, les effets de plusieurs substances peuvent s'ajouter. La pollution peut ainsi agir comme facteur aggravant du tabagisme. Les études actuellement menées font apparaître des corrélations nettes entre pics de pollution et affections, notamment chez les jeunes enfants et les personnes souffrant déjà de problèmes respiratoires.

Une des causes de décès fréquents dans le monde est l'inhalation domestique accidentelle au monoxyde de carbone. Cette intoxication est la première cause de mortalité accidentelle par toxiques, provoquant chaque année plusieurs cas d'hospitalisations. Le monoxyde de carbone résulte d'un mauvais fonctionnement d'appareils de chauffage ou de chauffe-eau à gaz qui peut se concentrer sans être détecté et entraîne rapidement la mort. L'intoxication est aisée car l'hémoglobine (protéine du sang qui assure normalement le transport de l'oxygène des poumons aux cellules) possède une affinité beaucoup plus grande pour le monoxyde de carbone: il suffit que, dans une pièce la concentration de celui-ci atteingne 1/200è de la concentration de l'oxygène (soit environ un litre de CO pour 1000 litres d'air contenant 21% d'oxygène) pour qu'il soit préférentiellement fixé sur l'hémoglobine. Il y a alors blocage du transport de l'oxygène. Ce blocage provoque une baisse importante de l'alimentation en oxygène (ou anoxie), particulièrement grave pour certains organes comme le cerveau et le coeur. Des intoxications très brutales peuvent entraîner une mort quasi instantanée. D'autres, plus lentes, débutent par des maux de tête et une sensation de malaise qui se poursuivent rapidement par une entrée dans le coma. Pour lutter contre l'empoisonnement, on fournit au malade de l'oxygène à haute pression pour remplacer le monoxyde de carbone par l'oxygène dans l'association avec l'hémoglobine.

5. L'EAU

Elément essentiel de la biosphère, l'eau suit un cycle gouverné par le soleil et la gravité dont les influences se manifestent par les précipitations, le ruissement, l'évaporation, ainsi que par l'activité des êtres vivants dans la photosynthèse. La belle image de notre planète bleue, montre, selon A. BOURGOIN-BAREILLES(32), la prééminence de l'eau qui recouvre à 72% sa surface (97% d'eau salée, 2% d'eau douce gelée aux pôles, et moins de 0,5% d'eaux souterraines et cours d'eau). Pourtant une grave crise de l'eau se profile d'ici 2050, c'est ce qui ressort du 1er Forum mondial de l'eau (Marrakech-mars 1997). Les hauts responsables présents ont attiré l'attention sur l'amenuisement de cette ressource vitale du fait de l'explosion démographique, de l'industrialisation, des cultures intensives, d'une mauvaise gestion (gaspillage et pollution). Les 20% les plus riches de la population mondiale consomment 80% des ressorces, et plus d'un millard d'êtres humains n'ont pas accès à une eau saine. Actuellement 7 300 m³ d'eau sont disponibles annuellement par habitant; cette moyenne théorique devrait baisser à 4 800 m³ en 2025. Des conflits mondiaux pour l'eau sont sous-jacents en Afrique, au Proche et au Moyen-Orient. Citons heureusemet la création d'institutions qui travaillent à résoudre des litiges sur l'eau: la Commission sur le delta du Mékong, la Commission du Rhin, la Coopération des Républiques riveraines de la mer d'Aral. Mais les institutions de l'ONU sont encore mal équipées pour faire face aux questions de scurité écologique. Il est urgent d'apprendre à gérer ce bien précieux qu'est l'eau. Le PNUD et la Banque mondiale en sont conscients, dont les investissements ont été multipliés par deux ces vingt dernières années.

En Côte d'Ivoire, "les points de prélèvement de l'eau destinée à la consommation humaine, doivent être entourés d'un périmètre de protection en vue de la conservation ou de la restauration des écosystèmes, forêts, boisements, espèces et espaces protégés, monuments, sites et paysages, systèmes hydrauliques et de la qualité des eaux"(33). Toute activité qui veut nuire à la quaité des eaux est interdite ou peut être réglementée à l'intérieur des périmètres de protection. Le code ajoute également que "les cours d'eau, les lagumes, les lacs naturels, les nappes phréatiques, les sources, les bassins versants et les zones maritimes sont du domaine public."(34) Ainsi donc, en Côte d'Ivoire, leau synonyme de pureté inépuisable n'est pas épargnée. Les eaux côtières subissent les rejets d'eaux usées. Les plans d'eau et rivières souffrent d'eutrophisation (phosphate dissous) ou d'anoxie (déficit en oxygène), d'où la proliféraion de matières nauséabondes à la surface de l'eau, voire de poissons morts, que déplorent riverains, promeneurs, pêcheurs. Les euax pluviales en ruisselant recueillent la pollution déposée sur les toits, les caniveaux, les routes, et entraînent cette pollution urbaine dans les cours d'eau et nappes phréatiques. Les eaux potables elles-mêmes deviennent non coformes au plan bactériologique notamment du fait des nitrates provenant de l'agriculture. (35)

 

 

 

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(1) Maurice KAMTO.- Droit de l'environnement en Afrique (Paris, Edicef 1996), p. 20

(2) Maurice KAMTO.- O.c., p. 20

(3) Ibidem, p.16

(4) Ibidem, p. 16

(5) Jean BAIRD CALLICOT.- "environnement" dans Dictionnaire d'éthique et de philosophie morale (Paris, PUF 1996), p. 498

(6) Douzo KOUBO.- Lastratégie environnementale en question (Côte d'Ivoire) (Paris, l'Harmattan 2003) , p.16

(7) Ibidem, p. 17

(8) Préface de Michel JORAS dans A. BOURGOIN-BAREILLES.- Guide de l'environnement à l'usage des citoyens et des collectivités terrotoriales (Paris, Frison-Roche 2000)

(9)Ibidem.

(10) A. BOURGOIN-BAREILLES.- O.c., p.5

(11) O.c., p. 6 et ss

(12)D.M. KABALA.- Protection des écosystèmes et développement des sociétés. Etat d'urgence en Afrique (Paris, L'Harmattan 1994), p.36

(13) Article 55

(14) Article 66

(15) A. BOURGOIN-BAREILLES.- O.c., p. 41

(16) Article 1

(17) Article 2

(18) J.-F. BEAUX.- L'Environnement (France, Nathan/Vuef 2002), p.110

(19), Ibidem, p. 110.

(20 Ibidem, p.110.

(21) Ibidem, p. 110

(22) A. BOURGOIN-BAREILLES.- O.c., p. 57

(23)J.-F. BEAUX, O.c., p. 124

(24) Loi n° 96-766 du 3 octobre 1996 Code de l'environnement, article 1.

(25) Article 26

(26) Article 27

(27) Article 28

(28) Articles 77,78

(29) Prof. A. DIBI KOUADIO Article inédit.

(30) A. BOURGOIN-BAREILLES.- O.c, p. 95

(31) J.-F. BEAUX.- O.c., p. 42.

(32) A. BOURGOIN-BAREILLES.- O.c., p. 137

(33) Code articles 13 et 51

(34) Article 37

(35) A. BOURGOIN-BAREILLES.- O.c., p. 138.

jeudi 25 octobre 2007

LE NEO-THOMISME

INTRODUCTION

Le terme néo-thomisme est un terme composé du préfixe néo, qui sert à désigner une certaine école philosophique, pour la rattacher au thomisme, une école antérieure qu'elle continue à quelques égards. Par thomisme, nous entendons l' "ensemble des doctrines de St Thomas d'Aquin"(1) ou plus généralement, l'ensemble des doctrines qui s'inspirent de St Thomas d'Aquin, soit au moyen-âge, où le thomisme est opposé au scotisme ou à occamisme, soit à l'époque moderne, où un mouvement très actif  de retour aux idées fondamentales de cette philosophie s'est manifesté sous l'influence de l'Encyclique Aetrni patris (1879), dans laquelle Léon XIII recommandait d'incorporer à la doctrine générale de St Thomas les résultats acquis des recherches scientifiques contemporaines. Ce mouvement est souvent désigné sous le nom de néo-thomisme.(2) Le néo-thomisme est un renouveau de la philosophie thomiste élaboré à la fin du XIXè siècle et au début du XXè siècle, à l'initiative du pape Léon XIII et de son encylique citée plus haut. A sa suite, Pie X voit dans le thomisme un seul rempart efficace contre le modernisme. L'approbation des 24 thèses thomistes en 1914 fait du thomisme la philosophie officielle de l'Eglise catholique. Cette philosophie est réaffirmée par Benoît XV dans son encylique Fausto appetente en 1921.

Les querelles furent vives, après cette encyclique de Léon XIII entre les thomistes et les néo-thomistes. Les thomistes étaient ceux qui, pour suivre les instructions de Léon XIII, revenaient aux doctrines de St Thomas. Les autres, les néo-thomistes, continuaient à admettre qu'il y eut au moyen-âge d'autres scolastiques que les thomistes. Nous retiendrons comme néothomistes, la liste que nous livre l'Encyclopédie Philosophique Universelle. Les Œuvres Philosophiques. Dictionnaire 2: Mercier Désiré-Joseph, Valensin Auguste, Lacroix Jean, Mascall Eric Lionelle. A cela nous pouvons citer bien d'autres comme Jacques Maritain, Etienne Gilson, Gabriel Marcel, Sertillanges...

1. MERCIER Désiré-Joseph

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1. SA VIE

Selon le Dictionnaire des philosophes (3), Mercier Désiré-Joseph est un prélat belge, qui est né le 21 Novembre 1851 à Braine-l'Alleud près de Malines.  Il entre en 1870 au séminaire archiépiscoapl de Malines, et est ordonné prêtre le 4 avril 1874. En 1882, il est nommé professeur de philosophie à l'université catholique de Louvain où il avait conquis ses grades. Il meurt mort à Bruxelles en 1926. Professeur de philosophie au séminaire de Malines, puis à l'Université de Louvain (1882), il faut directeur de la Revue néo-scolastique. Il fut nommé archevêque de Malines le 25 mars 1906, puis Cardinal en 1907. En 1879, le pape Léon XIII avec l'encyclique Aeterni Patris imposa l'enseignement de la philosophie dans les séminaires et dans les instituts universitaires catholiques. Lorsqu'une telle chaire fut créée à l'Université catholique de Louvain, pa rdésir express du pontife, elle fut confier au chanoine Mercier. Celui-ci se donna pour tâche de raviver la doctrine thomiste et d'élargir personnelement ses connaissances dans le champ des sciences physiques et naturelles, tenant compte du progrès irrésistible de celles-ci dans le cadre épistémologique leur incombant et en pleine mutation. En 1889, sa chaire fut transformée en institut et, dépassée la crise produite par l'hostilité d'un groupe de catholiques belges, l'Institut supérieur de Philosophie reçut en 1894 sa constitution définitive. De 1921 à 1925, Mercier dirigea, en qualité de représentant des catholiques, les conférences tenues avec des éléments de l'Eglise anglicane, coiffée par lord Halifax, pour la réunion des églises chrétiennes; mais sans résultat positif. L'enseignement de Mercier, ainsi que celui de quelques-uns de ses plus anciens élèves, devenus ses collaborateurs, se concrétisa par la formation à Louvain d'une école philosophique originale empreinte de tendances néo-scolastiques dont la revue néo-scolastique fut l'organe. D'autre part il exerça  une vive influence auprès des hommes les plus en vue de la vie politique belge.

2. SES  ŒUVRES

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1. CRITERIOLOGIE GENERALE OU THEORIE GENERALE DE LA CERTITUDE 1899

Mercier manifeste son souci d'une reprise originale de la pensée de st Thomas, dans le contexte d'une époque où manquent la confiance en la raison et la soumission de l'intelligence à la réalité. Contre les vues réductrices du positivisme et du scienticisme, il s'agit d'établir les droits respectifs des sciences et de la métaphysique spéculatives. Sans tomber dans le dogmatisme exagéré de certains néothomistes, on établira le motif suprême de la certitude, à la fois contre l'extrinsécisme traditionaliste et contre le psychologisme kantien. Si Mercier refuse les simplifications qui ont cours dans les milieux catholiques, il n'en mène pas moins, avec Kant, une discussion serrée, sans cesse reprise au cours de l'ouvrage. Au "subjectivisme kantien", il oppose l'évidence objective qui motive nos jugements d'ordre idéal; à "l'idéalisme phénoméniste" de Kant, il oppose la réalité objective de nos concepts. Bien que cette critériologie générale n'ait pas été suivie, comme prévu, d'une critériologie spéciale, examinant la certitude de nos différents types de connaisances, elle a exercé une forte influence sur l'épistémologie néo-thomiste.(4)

2. LOGIQUE

3. METAPHYSIQUE GENERALE OU ONTOLOGIE

4. PSYCHOLOGIE

5. LES ORIGINES DE LA PSYCHOLOGIE CONTEMPORAINE

2. VALENSIN AUGUSTE 1879 - 1963

 

1. SA VIE

Philosophe français. Disciple de Maurice Blondel, ami de X. Léon rénovateur de l'étude de Fichte en France, Valensin est un représentant important du "néo-thomisme".

2. SES CITATIONS

«Ce n'est pas parce que je rêve de Dieu qu'il est, c'est parce qu'il est que je rêve de lui.»
«La science, comme la philosophie, ne peut suffire à contenter le coeur de l'homme.»
«Dieu a créé le temps pour nous, afin que nous ayons le moyen de nous reprendre au lieu d'avoir à jouer notre destinée d'un seul coup.»

3. SES ŒUVRES

1. A TRAVERS LA METAPHYSIQUE 1925

L'ouvrage rassemble divers essais philosophiques. Le principal concerne le panthéisme. Valensin expose ses formes spinozistes et fichtéenne avant d'en présenter une réfutation qui se fonde sur la position de la liberté humaine, et sur une théorie de l'analogie de l'être, développée dans un autre essai. La conjoncture de l'époque intervient. Disciple et ami de Maurice Blondel, Valensin était untervenu par son article de 1911 sur "La méthode d'immanence" dans la controverse suscitée par le renouvellement blondélien de l'apologétique. L'essai sur le panthéisme entend ruiner les bases du "modernisme immanentiste", condamné en 1907 par l'encyclique Pascendi.

Un autre ensemble concerne le criticisme kantien. Parce que la métaphysique morale laisse intact l'agnoticisme théorique, l'auteur conclut à l'incompatibilité du kantisme et de la vérité catholique. Les notes sur le thomisme montrent que celui-ci constitue un véritable système philosophique unifié par la théorie de l'acte et de la puissance. L'ouvrage contient aussi une étude sur "L'histoire de la philosophie d'après Hegel". (5)

2. BALTHASAR, deux dialogues philosophiques, suivis de commentaires sur Pascal, Paris Aubier, 1934

3. Regards sur Platon, Descartes, Pascal, Bergson, Blondel, Paris Aubier, 1955

4. Correspondance Maurice Blondel-Auguste Valensin, éd. H. de Lubac, Paris, Aubier, 3t. 1957-1965.

3. JEAN LACROIX 1900-1986

1. SA VIE

Jean lacroix

Professeur de philosophie, français, Jean Lacroix, né à Lyon, aura été un enseignant d'exception qui orienta de nombreux étudiants vers l'Ecole normale supérieure, un conférencier recherché (De Tunis à Varsovie), un directeur de collection ("l'initiation philosophique"), le co-fondateur de la revue Esprit avec Emmanuel Mounier(Octobre 1932); mas il est d'abord connu parce qu'il fut longtemps chargé d'offrir à la société française comme à la communauté philosophique le miroir de sa propre activité théorique, par ses chroniques régulières dans le journal Le Monde; les plus notables échelonnés sur une trentaine d'années, ont d'ailleurs été rassemblés dans Panorama de la philosophie française contemporaine et dans les sentiments et la vie morale. Ce n'est pas une tâche mineure que de réfléchir l'écriture philosophique en effervescence.

Mais les arbres ne doivent pas cacher la forêt. Jean Lacroix a ouvert plusieurs chemins, au moins trois, et, à ce titre, inscrit son nom dans le XXè siècle:

  1. Si l'on accepte de mettre de côté ses ouvrages didactiques et si suggestifs sur Spinoza et le problème du salut, Kant et le kantisme - Jean Lacroix aura été l'un des premiers penseurs à éveiller à la lecture des théoriciens modernes de la société et de la démocratie: les traditionalistes d'abord, comme de Maistre et de Bonald qu'il a, dès ses premiers ouvrages, introduits (Itinéraire spirituel), mais surtout les socialistes français - sans oublier Jean-Jacques Rousseau auquel il voue une sorte de culte - : Saint-Simon, Fourier et surtout Proudhon, non moins qu'Aguste Comte auquel il consacra un ouvrage stimulant, l'un des meilleurs sur ce philosophe.
  2. Jean Lacroix a surtout vivifié un courant de la philosophie occidentale, le personnalisme - et ses deux derniers ouvrages y reviennent, c'est une des raisons de cette passion. D'une part, il convient d'accorder le plus possible une démonstration à l'enracinement, à l'histoire, aux situations, au naturel, à la limite même au biologique mais sans y réduire le sujet. Incarnation et transcendance, le personnalisme a toujours réuini les deux pôles et les a mis en dialogue l'un avec l'autre, pour reprendre un terme que les écrits de Jean Lacroix ont aimanté et acclimaté. Et Jean Lacroix brillera à explorer ce qui les dialectise. Par exemple les institutions, la famille, le travail, l'Etat, le droit; tous semblent d'ailleurs aussi périlleux (ils risquent d'étouffer, d'absorber, d'aliéner) qu'indispensables. Ce sont des médiateurs. Lacroix lutte contre le pur surnaturalisme; il vise donc à "incarner" sans perdre; par là il rejoint l'un de ses maîtres, Maurice Blondel, auquel il actualise le rationalisme nouveau ou la philosophie de l'esprit qui désormais prend en compte, au lieu de les ignorer, et de se clore sur elle comme jadis, le "pré-réflexif" et "autrui". "C'est un philosophe réflexif, Jean Nabert, qui l'affirme catgoriquement, aucune conscience n'est capable d'un accroissement d'être qu'elle n'en soit redevable tout d'abord à un dialogue avec une autre conscience. On pourrait presque dire paradoxalement que c'est ce qu'il y a de commun à Boutroux, Bergson, Blondel, Brunschvicg, qui triomphe dansla philosophie moderne. Le rationalisme n'est pas mort, il s'assouplit" (Encyclopédie française, Philosophie-Religion, Introduction)
  3. A travers l'examen de désir, de la culpabilité, de l'incroyance, le personnalisme de Jean Lacroix, sans abandonner l'essntiel de ses propres convictions, a su les replacer dans le monde contemporain en crise, à l'écoute autant du marxisme que des philosophies de l'absurde ou du désespoir. Ainsi, on ne lira pas sans passion son texte sur Le sens de l'athéisme moderne si inhabituel. L'athéisme n ' y est pas refuté, bien au contraire, il est intériorisé et reconnu comme valeur fructueuse. " L'athéisme est ce qui joue le rôle du jugement négatif dans la connaissance de Dieu. Par là comprend-on qu'un philosophe comme Lagneau, qui suspendait toute l'analyse réflexive à Dieu, ait pu affirmer que "Dieu n'existe pas"(p.36). L'athéisme salutaire et garde-fou - cette philosophie généreuse sait partout absorber ce qui la conteste, sans sophistique, assouplir les notions séculaires comme les valeurs les plus anciennes - aussi est-elle toujours présente, jeune et tonique.

2. SES OEUVRES

1. PERSONNE ET AMOUR Lyon 1944

2. MARXISME, EXISTENTIALISME, PERSONNALISME, Paris, PUF 1950

3. LES SENTIMENTS ET LA VIE MORALE 1952

Pour P. Ranson(6), il s'agit d'un petit livre qui reprend quelques-unes des meilleurs chroniques de Jean Lacroix dans le Monde. Il est une démonstation de personalisme, appliqué à la vie affective. L'auteur y discute notamment du sentiment, du caractère, de la cumpabilité, du sens de l'amour, de la vertu, du respect, de la sincérité, du travail, du temps et de l'éternité. La personne vit de la tension de l'individu et de la communauté; or la notion de sentiment et bien à la fois individuelle et sociale: "Le sentiment n'a pas seulement une face subjective: il est aussi - et peut-être surtout - ce qui nous adapte à l'objet". Maine et Bonald avaient vu une double face du sentiment: "L'opinion est le fait de la raison(...) soit le sentiment d'une chose, c'est être lié à elle, ne pas pouvoir en douter, faire corps avec elle.(...l'opinion a toujours un caractère individuel et le sentiment un caractère social." Ce qui intéresse Lacroix, ici, c'est que le sentiment n'est pas de nature uniquement psychologique, il est le lieu de la rencontre de la sensibilité et de la raison "et comme l'effort suprême vers l'unité personnelle." L'exemple même de ce caractère d'affection/régulation du sentiment est évidemment l'amour qui permet "la concélébration de l'un et du multiple dans la vie de l'esprit."

4. LA SOCIOLOGIE D'AUGUSTE COMTE, PARIS 1954

5. KANT ET LE KANTISME, Paris Puf 1959

6. LA CRISE INDIVIDUELLE DU CATHOLICISME FRANCAIS PARIS, 1970

7. SPINOZA ET LE PROBLEME DU SALUT, PARIS 1970

8. LE PERSONNALISME COMME ANTI-IDEOLOGIE 1972

La notion de personne étant réduite dans le néo-thomisme à l'individualité humaine, "la substance individuelle de nature rationnelle", le personalisme a pris en charge de définir peertinnemment la personne. G. Mounier, J. Lacroix, tous deux fondateurs d'Esprit, ont eu un rôle décisif dans cette entreprise. Dans l'introduction de ce petir livre, l'auteur cherche les prédécesseurs ou les maîtres du personnalisme: Renouvier, Prat, Secrétan, Scheler, Royce, Laberthonnière...Ce qui est le caractère propre du personnalime d'Esprit, c'est qu'il ne sépare pas individu et communauté: "Individu et communauté sont les deux catégories fondamentales de la personne: elles maintiennent en elle une tension qui l'oblige à toujours se dépasser." Dans un premier chapitre, Lacroix étudie les rapports de l'idéologie - ce qui se construit pour exciter la haine contre tel ou tel peuple, et donc contre la personne dans son intégrité - au personnalisme. Ce dernier est le primet de la personne humaine et ainsi n'est à proprement parler ni un système, ni une idéologie, ni même une philosophie au sens classique du terme. Les chap. 2 et 3. Personnalisme et foi - Personnalisme et croyance montrent que ce primat est celui de l'amour et l'expérience de l'autre - de l'Autre absolu fondant toute relation à Autrui. Pour Lacroix, "la découverte essentielle de la foi en l'homme" est normative "parce qu'elle est "en deça de la distinction de la conscience psychologique et de la conscience morale."

9. LA PHILOSOPHIE DE LA CULPABILITE PARIS PUF 1977

 

 

 

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(1) André(LALANDE).- Vocabulaire Technique et Critique de la Philosophie (Paris, PUF 1996), p. 1132.

(2) Ibidem, p. 1132

(3). Denis (HUISMAN).- Dictionnaire des philosophes K-Z (Paris, PUF 1984), p. 1988

(4) J. COLIN.- Dictionnaire des Œuvres Philosophiques,II (Paris, PUF, 1992), p. 2676.

(5) J. COLIN.- Ibidem, p. 2901

(6) P. RANSON.- Dictionnaire des Oeuvres philosophiques, p. 3439

jeudi 18 octobre 2007

Si la critique ne s'est pas trompé

Kant portrait 2 Si la critique ne s'est pas trompée en enseignant à prendre l'objet en une double signification, savoir comme phénomène ou comme chose en soi; si la déduction de ses concepts de l'entendement est juste, si donc le principe de causalité ne se rapporte qu'aux choses dans le premier sens, en tant qu'elles sont objets de l'expérience, tandis que ces mêmes choses selon la seconde signification ne lui sont pas soumises, alors la même volonté sera pensée dans le phénomène (les actions visibles) comme nécessairement conforme à la loi de la nature, et dans cette mesure comme non libre, et cependant, d'un autre côté, comme appatrenant à une chose en soi, comme non soumise à cette loi, par suite comme libre, sans qu'il se produise là une contradiction. Quoique je ne puisse connaître mon âme, considérée du second point de vue, au moyen d'une raison spéculative (moins encore par l'observation empirique), et que je ne puisse non plus par suite connaître la liberté comme propriété d'un être auquel j'attribue des effets dans le monde sensible (...), je puis cependant penser la liberté, c'est-à-dire que sa représentation ne contient du moins en elle aucune contradiction (...). Or, une fois admis que la morale suppose nécessairement la liberté (au sens strict) comme propriété de notre volonté, en apportant a priori comme données de notre raison les principes pratiques originels qui se trouvent en elle, et qui sans la supposition de la liberté, seraient absolument impossibles: si la raison spéculative avait démontré que la liberté ne peut pas du tout être pensée, il faudrait alors nécessairement que la première supposition, la supposition totale cède devant celle dont le contraire contient une contradiction flagrante, par suite, la liberté et avec elle la moralité - dont le contraire ne contient aucune contradiction, si la liberté n'est pas déjà présupposée) laissent la place au mécanisme de la nature. Mais comme j'ai seulement besoin pour la morale que la liberté ne se contredise pas elle-même, et puisse donc du moins être pensée, sans qu'il soit nécessaire encore d'en avoir une intuition, comme donc la liberté ne fait aucun obstacle au mécanisme de la nature pour la même action (prise sous un autre rapport), la doctrine de la moralité peut garder sa place et la physique la sienne, ce qui n'aurait pas eu lieu, si la critique ne nous avait d'abord appris notre ignorance inévitable à l'égard des choses en soi et n'avait restreint tout ce que nous pouvons connaître théoriquement à de simples phénomènes(...). Je ne puis donc même pas admettre Dieu, la liberté et l'immortalité au service de l'uasge pratique nécessaire de ma raison, si je ne démets en même temps que la raison spéculative de sa prétention à des intuitions transcendantes, parce que pour y parvenir elle doit se servir de principes qui, du moment qu'ils ne s'étendent en fait qu'aux objets de l'expérience possible, et s'ils sont cependant appliqués à ce qui ne peut être un objet de l'expérience possible, et s'ils sont cependant appliqués à ce qui ne peut être un objet de l'exprience possible, et s'ils sont cependant appliqués à ce qui ne peut être un objet de l'expérience, le transforment réellement en phénomène, et déclarent ainsi impossible toute extension pratique de la raison pure. Je devais donc supprimer le savoir, pour trouver une place pour la foi (...) KANT(Emmanuel).- Critique de la raison pure, Préface de la 2è édition, trad. Barni, Delamarre, Marty, Gallimard, "Folio", p. 52-45

COMMENTAIRE DE TEXTE

Mots clés Technorati : KANT , Critique , Raison , Métaphysique , Dogmatisme , Morale , Scepticisme , Foi , Liberté , Phénomène , Chose en soi

Dans la préface à la seconde édition de la Critique de la Raison Pure, Kant se plaint d'avoir été mal compris, et mal compris par des "hommes perspicaces", des lecteurs impartiaux, lumineux et amis de la vraie popularité, des hommes distingués qui, à la sûreté de vue, allient si heureusement encore le talent d'une claire exposition, et qui se distinguent de ces juges, qui, à la manière de celui auquel Kant règle son compte à la fin des Prolégomènes, condamnent sans s'être donné la peine de livre qu'ils rejettent. Mal, compris, et Kant l'ajoute, peut-être par sa faute. La nouvelle édition remédierait à cela.

Le même désir de rendre plus accessible sa pensée s'exprime dans plusieurs lettres écrites pendant qu'il travaillait à cette nouvelle édition: "Je tiendrai compte (pour la seconde impression, qui rendra moins urgente la rédaction d'une métaphysique) de toutes les interprétations erronées ou bien aussi des passages incompréhensibles dont j'ai eu connaissance depuis que cet ouvrage est mis en circulation"; "je suis à présent occupé...à une seconde édition de la Critique et je m'efforce d'élucider différentes sections de celles-ci, dont la mauvaise compréhension a produit toutes les objections faites jusqu'ici."

Les formules de la préface à la seconde édition doivent donc être prises au sérieux, et il y a lieu de se demander en quoi consistaient aux yeux de Kant ces malentendus qu'il croyait devoir éliminer au prix d'un effort qu'il n'a pas fourni qu'à cette occasion, car, en ce qui concerne presque toutes ses autres publications, il ne s'intersse guère aux rééditions.

Il n'est pas difficile de désigner les auteurs et l'occasion qui onté déterminé Kant. L'article de 1786, Que signifie: s'orienter dans la pensée?, et la note consacrée aux Morgenstuden de Mendelssohn l'indiquent clairement: entre le wolffianisme mendelsshnien et la philosophie de la foi de Jacobi, Kant semble obligé de prendre position - et ne peut le faire, étant donné qu'il est également opposé au dogmatisme de l'un et au fidéisme de l'autre. Pour lui, les deux ne peuvent conduire qu'au scepticisme, et puisque sa propre position se situe à un autre niveau, il est incapable de choisir entre des adversaires qui, l'un comme l'autre, lui paraissent avoir tort, quoi que pour des raisons inverses et de manière différente. Il ne veut être ni sceptique ni dogmatique, toue sa philosophie tend à dépasser la nécessité d'une telle position; mais il n'a pas été compris.

L'interprétation la plus superficielle de la pensée kantienne tiendra compte de cette intention de dépassement. Cela dit, ce que Kant appelle un malentendu subsiste et l'on affirme souvent, bien que de points de vue opposés que Kant n'aurait pas réussi dans son entreprise: selon les uns, parmi lesquels bon nombre de néo-kantiens, il n'aurait pas évité la métaphysique, terme en ce contexte et sous ces plumes nettement péjoratif; pour les autres, dont le chef de fil fut Hegel, il aurait penché, coupablement, du côté d scepticisme ou, à tout le moins, du subjectivisme. Sous ces conditions, il pourrait être utile de réexaminer l'enseignement de Kant lui-même, afin de découvrir si l'une des partis a raison et laquelle; ou, au cas où les deux se seraient trompés, pour élucider ce qui a induit en erreur les deux écoles, puisque leurs erreurs, si erreur il y a, ne sont pas, du propre aveu de Kant, entièrement de ler faute. Il faudra donc exposer ce qui est la pensée de Kant; ou plutôt, puisqu'il est impossible d'exprimer plus brièvement que l'auteur la pensée d'un vrai philosophe (sans quoi il ne serait pas un vrai philosophe), il faudrait enlever les sédimentations qui obstruent l'accès à cette oeuvre difficile.

Une comparaison, même rapide, des deux éditions de la Critique de la Raison Pure montre où Kant situe les malentends dont il se plaint. A vrai dire, la seule comparaison des deux Préfaces permet déjà de constater qu'un seul point importe à Kant. En effet, la première Préface a affaire au dogmatisme, la seconde se tourne contre le scepticisme.Si en 1781, Kant insiste sur l'absence de tout progrès et donc sur la valeur douteuse de la métaphysique, en 1787, il affirme, au contraire, la nécessité d'une telle science et parle d'objets " (du moins tels que la raison les conçoit) être donnés dans l'expérience", mais "il faut pourtant qu'on puisse les penser)"; et il parle de la possibilité de trouver dans la connaissance pratqiue "des donnés qui lui permettent de détermner ce concept rationnel transcendant de l'Inconditionné". Surtout, il proteste contre une façon de voir qui retiendrait de la Critique seulement son aspect négatif et ignorerait la fonction positive d'une limitation de la raison spéculative (on dirait mieux: constructiviste), limitation à laquelle la raison pratique doit de pouvoir dorénavant procéder à la découverte du supra-sensible sans avoir à craindre les objections d'une raison théorique, auparavant présompteuse, à présent consciente de ses limites; la chose-en-soi, la foi de la raison, la pensée de l'absolu sont présentées au lecteur avant même qu'il n'ait accédé à l'ouvrage même. Ce passage que nous avons à commenter nous fait comprendre le rapport établi par Kant entre sa philosophie de la connaissance Critique de la raison pure et sa morale Critique de la raison pratique. Il est plus parlant qu'il n'y paraît, si l'on prend soin de l'étudier avec minutie, si l'on a quelques notions sur Kant, et si l'on médite la fin du morceau, qui dévoile tout l'ensemble. Moment philosophique capital, parce qu'il fournit les clefs de lecture de l'oeuvre kantienne, ce texte remplit du point de vue méthodologique, pour la même raison, la triple fonction d'initiation, de test et de banc d'essai.

Le texte commence par affirmer que la Critique ne se trompe pas quand elle affirme que l'objet a une double signification: le phénomène et la chose en soi. Le phénomène est ce qui apparaît à la conscience ou bien ce qui est perçu, tant dans l'ordre physique que psychique. Au sens le plus large, le phénomène est un fait constaté qui constitue la matière des sciences. Pour Kant, est phénomène tout ce qui est "objet d'expérience possible" c'est-à-dire tout ce qui apparaît dans le temps ou dans l'espace, et qui manifeste les rapports déterminés par les catégories. Il l'oppose, d'une part, à la pure matière de la connaissance; de l'autre, et surtout au noumène ou à la chose en soi. Le noumène est quant à lui, la réalité intelligible, l'objet de la raison, opposée à la réalité sensible; et par suite il est la réalité absolue, la chose en soi. La tradition platonicienne, renforcée par l'opposition chrétienne du monde sensible et du monde spirituel, identifie la connaissance vulgaire à l'apparence et à l'illusion et la connaissance rationnelle à la pensée des choses telles qu'elles sont. De là vient que le mot noumène a passé graduellement, dès l'époque de Kant, et dans la Critique de la Raison pure, d'un sens purement critique à un sens purement ontologique: "Si j'admets des choses, qui soient de purs objets de l'entendement, et qui pourtant, en tant que tels, puissent être données à une intuition, quoique ce ne soit pas à l'intuition sensible...des choses de ce genre seraent appelées noumènes." En ce sens, la notion de noumène est purement négative: "Le concept d'un noumène n'est donc pas le concept d'un objet, mais seulement ce problème, inévitablement lié à ce fait que notre faculté de connaître par les sens est limitée: ne pourrait-il pas y avoir des objets tout à fait indépendants de cette intuition sensible?" Elle supposerait"...Une tout autre intuition et un tout autre entendement".  Mais on peut aussi  entendre noumène en un sens positif: "Mais si nous entendons par là l'objet d'une intuition non sensible, nous admettons alors une sorte particulière d'intuition, l'intuition intellectuelle qui, à la vérité, n'est pas la nôtre, et dont nous ne pouvons même pas comprendre la possibilité: et ce serait le noumène au sens positif." Ainsi entendue, la Raison pratique nous garantit la réalité du noumène, bien qu'elle ne nous en donne pas l'intuition; car, pour pouvoir attribuer un sens à l'idée de liberté, condition nécessaire de la loi morale, "Il ne reste pas d'autre voie possible que d'attribuer au phénomène seul l'existence d'une chose, en tant qu'elle est déterminée dans le temps (et par conséquent aussi la causalité suivant les lois de la nécessité naturelle); et d'attribuer la liberté à ce même être en tant que chose en soi." En effet, dit Kant, ce même sujet, qui se connaît lui-même en tant que succession de phénomènes "Il a aussi conscience de lui-même de lui-même, en tant que chose en soi."; et à cet égard, "pour la conscience de son existence intelligible, toute la série successive de son existence, en tant qu'être sensible, ne doit être considérée que comme la conséquence et jamais comme le principe déterminant de sa causalité, en tant que noumène." Dans la Métaphysique des moeurs , il désigne le sujet de la moralité par l'expression homo noumenon. A suivre.....     Dr AKE PATRICE JEAN, Maître-Assistant en Philosophie à l'UFR-SHS de l'Université de Cocody et à l'UCAO-UUA.

Si la critique ne s'est pas trompée (suite 1)

Nous avons montré, précédemment les premiers acquis de la critique: le terme d'objet, corrélat du sujet, signifie deux choses: phénomène ou chose en soi. Cela a une double signification. La première c'est que les phénomènes sont les objets (actions morales comprises) tels qu'ils sont pour et par nous, résultats d'une double opération du sujet (d'abord livrés comme données brutes informes dans une expérience sensible, puis organisés par les catégories de notre entendeent. Les phénomènes constituent le monde de notre expérience (réelle ou possible), réglé par le principe de causalité, d'où un implacable déterminisme que nous déchiffrons comme celui des lois nécessaires de la nature. En tant qu'elles relèvent de ce monde phénoménal, nos actions morales et nos volontés sont assujetties à ce déterminisme - ce qui leur ôte toute liberté, donc toute valeur proprement morale. Le second sens que nous pouvons dégager du texte est le suivant: les choses telles ne sont pas pour nous, mais pour elles-mêmes, donc en soi, échappent à notre sensibilité et aux catégories de notre entendement, donc à la causalité, donc au déterminsime naturel. Faudrait-il rappeler ce qu'est le principe de causalité! N'est-ce pas là le thème de notre texte? Ce principe de causalité est l'un des axiomes fondamentaux de la pensée, ou principes rationnels. L'énoncé le plus usuel est celui-ci: " Tout phénomène a une cause." Kant classe ce principe comme seconde analogie de l'expérience et en donne deux énoncés différents. Le premier : "Principe de la production: tout ce qui arrive (ou commence à être), suppose avant lui quelque chose dont il résulte suivant une règle." (Critique de la Raison Pure, 1ère édition, Analytique transcendantale, livre II, ch. II). Le second: "Principe de la succession dans le temps suivant la loi de causalité: tous les changements arrivent suivant la loi de liaison entre la cause et l'effet." (Ibid., 2è édition° Ainsi le principe de causalité n'a aucune validité en dehors du champ phénoménal. Nous pouvons tirer la conséquence suivante: on ne peut connaître les choses en soi.

Ces choses en soi sont le moi (comme sujet non empirique), l'âme et Dieu. La volonté libre, l'âme ou Dieu qui ne peuvent pas être connus par notre entendement, peuvent cependant (mais seulement être pensés par notre raison. Ce qui prouvent qu'on ne peut les penser, c'est que leur représentation ne renferme aucune contradiction. Autrement dit, le fait de ne pas pouvoir connaître la liberté, l'âme ou Dieu n'interdit nullement qu'elles soient possibles. Ainsi si on pouvait connaître les choses en soi, on les transformerait en phénomènes. Alors, la liberté ne serait plus libre, l'âme serait une chose psychologique, et Dieu, transformé en premier chaînon causal de l'univers, ne serait plus Dieu. Ce n'est donc pas par scepticisme, ou par athéisme que l'on récuse la prétention des philosophes, ignorants de la démarche critique, à connaître les choses en soi par la raison spéculative, mais pour empêcher qu'ils ne les travestisent en phénomènes, fassent triompher le déterminisme, et ruinent ainsi le socle de la morale. Tout serait nature, il n'y aurait pas de liberté. Il faut tirer les conséquences de tout ce développement.

La première conséquence majeure est la suivante: la raison pratique ou encore ce qui est possible par la liberté, donc la morale, ne dépend pas d'un savoir rationnel. L'ignorant, le non-philosophe peut être ni plus ni moins moral qu'un autre. Mais l'être moral en tant qu'il est un être rationnel. Mais il s'agit ici d'une rationalité pratique et non spéculative. Mieux encore, la distinction morale entre monde des phénomènes et monde des choses en soi, permet à l'action (même morale) d'être d'ordre phénoménal, tout en étant considérée comme libre, donc morale, en tant qu'intention. Aussi la science règne sans partage sur le monde des phénomènes, mais n'a rien à dire en morale. Telle est la thèse de Kant dans ce texte: Il faut récuser les prétentions du savoir spéculatif pour laisser la place à la morale.

En posant des limites à la connaissance, kant dégage la place pour la foi. Cette foi n'est pas de nature religieuse (Pour Kant, c'est la religion qui s'appuie sur la morale, non l'inverse); elle est le second des trois degrés de la croyance, situé entre l'opinion et la science. Elle se nomme foi parce qu'elle est subjectivement suffisante. Elle est la foi pure de la raison pratique. Si l'enjeu de ce texte est de fonder la morale par la liberté d'un être rationnel, quelle leçon faut-il retenir de ce texte?

D'abord nous retenons que la morale est un non-savoir, mais elle n'a rien d'irrationnel, au contraire. La clef de la doctrine est la division radicale en deux mondes: le monde phénoménal, objet de la science et le monde nouménal, objet de choses inconnaissables mais qui sont pensables. Science positive d'n côté (la physique), morale de l'autre, il n'y a plus de place pour la métaphysique spéculative, la grande sacrifiée de l'opération - mais c'est le prix à payer. kant dévoile ici l'objectif de la Critique de la raison pure: montrer la légitimité d'une connaissance scientifique (par la physique) des phénomènes pour interdire l'usage de cette connaissance à propos des choses en soi, donc laisser ouverte la possibilité d'une liberté, d'une âme, d'un Dieu. L'ordre apparent de la doctrine kantienne va donc de la critique de la connaissance à la morale, l'ordre réel va de l'exigence morale à la critique de la connaissance.

Dr AKE PATRICE JEAN, Maître-assistant en Philosophie, UFR-SHS Université de Cocody et UCAO-UUA

LE PROBLEME DE L'ETHNOPHILOSOPHIE (SUITE ET FIN)

C/ LES VOIES DE LA SAGESSE

L'épanouisssemnt africain de cette ethnophilosophie ne saurait se comprendre sans être situé: 1) dans le cadre d'un enseignement de la philosophie dans le secondaire et le supérieur propre aux francophones; 2) dans celui de l'apprentissage des clercs chrétiens, dont les études de philosophie précèdent celles de théologie; 3) dans celui du développement des sciences sociales en France et de la formation d'universitaires africains après les indépendances. De 1965 à 1980, beaucoup d'étudiants africains se sont lancés dans des études sit d'anthropologie pour comprendre l'atachement de leur environnement aux traditions, soit de sociologie pour saisir les mutations politiques et économiques de leur pays. De ce fait, l'ethnophilosophie d'une part, l'idéologie de l'autre, leur ont été des manières de rationaliser leurs choix, leurs espoirs ou leurs fantasmes.

Ce contexte rend compte partiellement des trois courants que perçoit Elungu Pene Elungu en Afrique: 1) les philosophies à caractère ethnologique; 2) les philosophies à caractère idéologique: panafricanisme, socialisme africain, négritude, marxisme...; 3) les philosophies critiques, proches de leur démarche de la philosophie européenne, mais souvent plus acerbes à l'égard des deux premières que réellement constructives (sauf Eboussi-Boulaga). La voie est ouverte pour une synthèse qui s'annonce déjà par la réflexion épistémologique sur les traditions, par l'échec des politiques à fondement idéologiques très marqué et par une formation plus solide, plus inventive, plus moderne et plus documentée aux problèmes de la philosophie spéculative.

De plus en plus la sagesse locale, sorte de philosophie spontanée, enclose dans la littérature orale, les mythes et rites, les noms et interdits..., est mise à distance réflexive et saisie, non pas seulement comme recherche des fondements ultimes mais comme pensée adaptative par rapport à des situations économiques, politiques et familiales, variables selon les ordres établis que l'on traite désormais avec ce scepticisme initial qui fonde toute la rationalité philosophique. Apparemment insignifiant et absurde, le réel, de mieux en mieux exploré par l'herméneutique, révèle des causalités qu'occultait l'ethnocentrisme aussi bien européen qu'africain. La philosophie réussit progressivement à tailler sur mesure ses expressions conceptuelles, ce faisant elle ne manque pas de devenir tributaire des sciences humaines. En feignant de l'ignorer, beaucoup de philosophes africains se stélirisent ou se condamnent à distiller un marc cent fois pressé au lieu de s'échauffer en exploitant une thématique vierge pour la philosophie occidentale.

D/ LES THEMES PRIVILEGIES

Confondant la métaphysique et la méta-physique, de pseudo-philosophes partent quelquefois de l'animisme, de croyances totémiques, de la sorcellerie, des métamorphoses ou du retour de l'ancêtre dans un nouveau-né, pour donner corps à leur discours (prétentieux et naïf), comme si toute manifestation culturelle étrange se donnait pour philosophique. D'autres percevant un principe suprasensible, libre, responsable et immortel comme distinct de la matière, coulent le spiritualisme bashi (Congo Démocratique) dans les creusets de l'hylémorphisme aristotélicien ( Mulago). Pour M. Vetö, le dualisme ontologique (bien-mal) est fondamental tandis que J.C. Bahoken et A. Wininga optent pour le monisme: l'un au-dessus de toute chose et en toute chose. Là où M. Got voit une monade leibnizienne, L.S. Senghor et A. Césaire trouvent un être aux sens ouverts "poreux aux souffles du monde".

1/ ANTHROPOMORPHISME ET COMMUNAUTARISME

Au vrai, c'est bien l'homme, non l'être, ni l'un, ni le cosmos, qui est au centre de la vision et de l'expérience africaines. L'attitude anthropocentrique a plus de prégnance que l'attitude cosmocentrique, même si l'homme africain s'accorde avec l'ordre universel: "On ne trouve pas le besoin de domination du monde (mais) un sentiment d'alliance de l'homme  et de la terre, une sorte de communion avec la nature et un sentiment d'équilibre et d'harmonie, maintenu avec vigilance grâce à un ensemble de techniques et de rites compensateurs" (N'Daw A. "Peut-on parler d'une pensée africaine?", Présence africaine, 1966, n° 58, p.38). Cet anthropocentrisme revêt un caractère communautaire et relationnel: "Le Muntu (singulier de Bantu) est un homme qui n'existe qu'en communauté et pour la communauté" (Mulago V., Un visage africain du christianisme, Paris, Présence africaine, 1965, p. 113), et des attitudes individualistes font suspecter une personne de sorcellerie.

2/ FORCE VITALE

Tout autant que l'aspect relationnel, manifesté par l'importance des systèmes familiaux, claniques et religieux, a été maintes fois soulignée, depuis La philosophie bantoue, l'idée que "l'être est force" et la force liée à la vie. Marcel Griaule employait fréquemment la notion de force vitale. Les rites sont considérés comme moyens d'acquisition ou d'accroissement de cette force vitale que les Dogons et les Mandings désignent sous le terme de nyama. "Le nyama est une énergie en instance, impersonnelle, inconsciente, répartie dans tous les animaux, végétaux, dans les êtres surnaturels, dans les choses de la nature, et qui tend à faire persévérer dans son être le support auquel elle est affectée temporairement (être mortel) ou éternellement (être immortel)" (Masques Dogons, Paris, Institut d'ethnologie, 1938, p.164)

En fait, ce concept protée porte la même ambiguïté que le fameux mana mélanésien. Tantôt on considère la force en référence à la santé ou à la puissance musculaire, tantôt elle est fluide magique agissant par la vertu du rite, tantôt on la dit être la qualité mystique que détient le pouvoir politique, tantôt il s'agit d'un phénomène d'ordre spirituel comme l'âme de vie, tantôt elle est conçue comme principe métaphysique de fertilité, de prospérité et d'anmation de toute chose.

3/ PERSONNE ET CORPS

Le thème de la personne humaine en Afrique a fait aussi l'objet de longs développements philosophiques. Laleye, Agossou, Kossou entre autres perçoivent l'être humain dans son existence historique, dans ses rôles et statuts, dans ses rapports avec les autres et avec le transcendant, dans les expressions de sa liberté et la conduite de son destin, dans l'intégration psychologique de la multiplicité des éléments constituant l'individu: différents types d'âme, de serment prénatal, d'esprit gardien de souffle vital..., mais aussi représentation de la corporalité à travers la valorisation, par exemple, du sang, du sexe, de la bouche. Un corps solide et sain en relation avec son milieu est considéré comme la preuve de l'épanouissement de la vie, elle-même bien suprême pour l'homme. Les puissances invisibles sont généralement corporalisées et de nombreux sacrifices ont pour but de vitaliser l'homme en s'adressant à des esprits ou des défunts représentés éventuellement par des statuettes symboliques. Pour éviter une décorporalisation par agression sorcière, comme pour chasser la maladie e les calamités, des rites peuvent s'adresser à la tête d'une personne, et la plupart des interdits (sexuels, alimentaires...) ont pour objet le corps.

4/ TRADITION ET MODERNITE

Peu de philosophes évitent le débat sur les traditions, dans la mesure où ils sont contraints de juger l'héritage, de se situer par rapport au mode de vie des ancêtres et aux normes immémoriales, d'énoncer ce qui se transmet par enculturation, de spécifier quelques valeurs de consensus à sauvegarder contre les assauts de l'individualisme libertaire moderne.

Tandis qu'Adoukonou sonde le culte des vodun royaux et ancestraux, de même que la divinisation par Fa, pour les interpréter comme une pierre d'attente du divin: voix, voie et vie, Bahoken fait l'apologie des valeurs de sécurité, d'ordre et de cohésion transmises par une tradition qui enseigne que les devoirs définis par elle sont bons. Mais trop de pseudo-penseurs qui se réclament d'une philosophie de l'authenticité (fort inconsistance au demeurant), en oublient que la mémoire du passé est une mémoire pour le présent, que ce n'est pas l'ancienneté mais l'unanimité qui fait la tradition, que celle-ci a été sans cesse manipulée pour être adaptée pragmatiquement aux circonstances concrètes et particulières, que la variété des groupes à l'intérieur d'une nation inclut une variété de valeurs et d'options. A côté d'un traditionalisme fondamental de sauvegarde des institutions, on note un traditionalisme sélectif de survivance de quelques modèles minimaux, un traditionalisme  de résistance dissimulant un refus par exemple sous forme de syncrétisme, un traditionalisme instrumental à fonction de dissidence à l'égard d'un groupe moderniste. Il existe même dans certaines sociétés des traditions d'adaptation au changement. entre le fidéisme traditionnel et le rationalisme occidental se dessinent concrètement de nombreuses voies de transit.

5/ SYSTEMES DE COMMUNICATION SYMBOLIQUE

Parmi les traditions les plus fréquemment analysées par les philosophes, il y a celles qui relèvent des systèmes symboliques et des systèmes de communication orale. Le champ des mythes cosmogoniques et des rites sacrificiels ou initiatiques sert souvent de repère pour une étude du fnctionnement de la pensée symbolique et permet de dégager des analogies avec les représentations chrétiennes de l'action divine, de la faute et du rachat. Quant à la littérature orale, elle a fonction de point d'appui pour l'analyse des modes de pensée et pour la formulation des principes éthiques. Enfin l'influence de la démarche des linguistes et la focalisation moderne sur la communication médiatique suscitent des recherches sur l'oralité, d'autant que, traditionnel ou moderne, l'Africain demeure sensible à l'enchantement du verbe.

Comme le champ de l'art s'est ouvert avec Senghor et Mveng, il est probable que des explorations vont se poursuivre sur des terrains encore mal balisés tels que la philosophie du sytème éducatif, les conceptions africaines du temps et de l'espace, les philosophies économiques et politiques.

BIBLIOGRAPHIE

F. EBOUSSI-BOULAGA, La Crise du Muntu, Paris, Présence africaine, 1977. - E.P. ELUNGU, Eveil philosophique africain, Paris, l'Harmattan, 1984. - M. GRIAULE , Masques dogons, Paris, Institut d'ethnologie, 1938; Dieu d'eau - Entretiens avec Ogotemmêli, Paris, Chêne, 1948. - C. GUILLAUMIN, L'idéologie raciste - Genèse et langage actuel, Paris, Mouton, 1972. - M. HEBGA " Eloge de l'ethnophilosophie" Présence africaine n° 123, 1982.- P. HOUNTONDJI, Sur la Philosophie africaine, Paris, Maspero, 1977.- A. KAGAME, la philosophie bantu-rwandaise de l'Etre, Bruxelles, Académie royale des Sciences coloniales, 1956.- H. MAURIER, Philosophie de l'Afrique noire, Saint Augustin, Anthropos, 1985.- V. MULAGO, Un visage africain du christianisme , Paris, Présence africaine, 1965.- A. N'DAW, "Peut-on parler d'une pensée africaine?", Présence africaine, 1966, n° 58.- TEMPELS P., La Philosophie bantoue, Paris, Présence africaine, 1949.- M. TOWA, Essai sur la problématique philosophique en Afrique, Yaoundé, Clé, 1970.

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Dr AKE Patrice Jean, Maître-assistant en Philosophie à l'UFR-SHS de l'Université de Cocody et à l'UCAO

LE PROBLEME DE L'ETHNOPHILOSOPHIE

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DEFINITION

Le terme d'ethnophilosophie a été créé par le Camerounais Marcien Towa pour désigner un courant de pensée à dominante africaine, inspiré par l'ouvrage de Placide Tempels sur la Philosophie bantoue, et qui consiste à identifier la philosophie d'une société à sa vision du monde, à son système de valeurs ancré dans le fond du psychisme et lisible à travers mythes et rites, proverbes et coutumes. Selon cette conception, toute société dite traditionnelle aurait une philosophie implicite que le philosophe se chargerait de mettre en évidence par l'étude des éléments culturels, et d'expliquer en soulignant à la fois la cohérence de la pensée et le lien entre conception du monde et orientation de l'action. Selon cette logique, la meilleure méthode pour connaître un peuple serait d'tudier son système implicite de pensée, de le déterrer en tant que philosophie collective. Mais, pour Paulin Hountondji, " en croyant critiquer l'ethnophilosophie en général, Towa ne critique en fait que l'ethnophilosophie africaine. Cette restriction entraîne au moins deux conséquences: 1) l'ethnophilosophie en général est considérée et traitée comme un sous-produit, un aspect tardif du mouvement  de la négritude, au lieu qu'elle est en réalité antérieure à ce mouvement et qu'elle déborde largement le continent africain. 2) alors que le discours des philosophes africains est soigneusement passé au crible, l'ethnophilosophie européenne tire élégamment son épingle du jeu. Tempels peut ainsi se voir décerner, à l'occasion, un prix d'honneur pour avoir courageusement contesté, peu après P. Masson-Oursel, de l'intérieur même de la culture européenne, le prétendu monopole occidental de la raison...Il y a plus. A travers le concept polémique d'ethnophilosophie, Marcien Towa s'en prend seulement à la méthode des philosophes de la négritude, non à leur objet. Ce qu'il leur reproche, c'est de confondre la démarche ethnologique et la démarche philosophique, de glisser subrepticement de l'une à l'autre...C'est cette méthode hybride, cette façon de procéder qui n'est ni purement philosophique, ni purement ethnologique, que Towa stigmatise sous le vocable d'ethnophilosophie. Par contre il ne met guère en cause le statut même de l'objet que l'on prétend révéler à travers cette démarche équivoque: la philosophie comme système de collectif de croyances, faisant l'unanimité entre tous les membres de la société" Sur la philosophie africaine (Ibid. p. 244) Ainsi chez notre ateur, l'ethnophilosophie est un discours mystifié, une description onirique d'une pensée onirique d'une pensée collective qui n'existe que dans la tête de celui qui l'invente. Nous y reviendrons.

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A/ LES COURANTS PORTEURS

Paulin Hountondji rattache l'ethnophilosophie au courant traditionaliste français du XIXè siècle, représenté par L.A. de Bonald et J. de Masitre, qui tentent de fonder la légitimité sociale et politique sur l'autorité et la tradition tout en énonçant la révélation du Verbe comme phénomène instaurateur et support d'une pensée qui se construit par le moyen du langage. Mais il paraît plus judicieux, dans la mesure où nul philosophe africain ne se réclame d'un tel patronage, de situer les antécédents de l'ethnophilosophie dans la pensée de M. Griaule, tributaire elle-même de l'attention portée par E. B. Tylor, J. Frazer et L. Lévy-Bruhl à l'activité mentale des peuples dits archaïques. Hountondji souligne que "l'oeuvre de Lévy-Bruh avait au moins un mérite: celui d'étaler naïvement, sans fard et sans subtilité, cette dépendance originaire du discours ethnologique par rapport à une attitude ethnocentrique, elle-même dictée par une situation historique concrète (les sociétés primitives étant toujours, en fait, les sociétés dominées par l'impérialisme)".(Sur la Philosophie africaine p. 15-16 note 4).  De ce point de vue, poursuit-il, "l'autocritique tardive de Lévy-Bruhl dans ses carnets est loin d'être aussi radicale qu'on le prétend parfois, puisqu'elle maintient toujours une notion aussi centrale que celle de "primitivité" et ne parvient pas, de toute façon, à expliquer les raisons des méprises antérieures". (Ibid., p.16, note 4). Doit-on penser que les ethnologues modernes font une ethnologie neutre, étrangère à tout jugement de valeur et à toute forme de racisme ou d'ethnocentrisme? Nous nous permettons d'en douter pour une raison principale: l'ethnologie, en tant que type de discours, repose toujours, aujourd'hui comme hier, sur un fondement idéologique. L'ethnologie présuppose toujours ce qui est à démontrer: la distinction réelle de nature entre les sociétés primitives et archaïques et les autres sociétés. Dans le même temps, par contre, elle prétend faire abstraction du rapport de forces réel entre entre ces sociétés et les autres, c'est-à-dire, tout simplement, de l'impérialisme. Quoi qu'il en soit, il n'est pas difficile de constater que les sociétés qui font l'objet de l'ethnologie sont toujours, en fait des sociétés dominées, et que le discours savant de l'ethnologue n'a de sens qu'à l'intérieur d'un débat scientifique auquel ces peuples n'ont aucune part, mais qui a toujours son origine ailleurs: dans les classes dominantes des sociétés dominatrices elles-mêmes.

Dans les années trente, on polémique à propos de la pseudo-mentalité primitive, et c'est alors que Marcel Griaule tente de décrypter les comportements et les représentations des Dogon. Le prmier à établir et à publier une cosmologie complexe, Griaule révolutionne les études africanistes, non seulement parce qu'il révalorise devant l'opinion les produits culturels de l'Afrique noire, mais parce qu'il abandonne en partie l'ethnographie descriptive pour explorer ce qu'il juge être le système philosophique dogon et pour ouvrir l'anthropologie à l'étude des productions symboliques. Paulin  Houtondji ne cache pas sa reconnaissance à Griaule quand il écrit: " Il faut en tout cas savoir gré à Marcel Griaule de nous avoir rapporté si fidèlement les paroles d'un Ogotemmeli. Une transcription de ce genre vaut infiniment mieux, de la part d'un ethnologue européen, que toutes les constructions arbitraires d'autres africanistes européens sur l'âme africaine, la vision du monde des Bantu, toutes les notations impressionnistes sur la sagesse dogon, la philosophie diola" (Ibid. p. 31, note 19)

L'après-guerre voit exploser les recherches sur l'Afrique. L'édition originale en néerlandais de La Philosophie bantoue de Placide Tempels date de 1946 (parution en français par Présence africaine en 1949. Lorsque naît la revue Présence africaine en 1947, la publication des actes du Premier Congrès des Ecrivains et Artistes noirs amplifie le thème de la négritude. Dieu d'eau. Entretiens avec Ogotemmêli, 1948, de M. Griaule sert de signal au développement d'une ethnologie qui prend les mythes cosmogoniques comme constitutifs du bréviaire de l'organisation sociale, la société ayant élaboré une théorie imagée pour rendre compte d'elle-même.

Tandis que les disciples de Griaule: G. Dieterlen, D. Zahan, J. Roumeguère-Eberhardt, etc., fournissent des éléments ethnologiques qui nourrissent la pensée africaniste francophone, les anglophones avec E.E. Evans-Pritchard, M. Fortes, D. Forde..., publient African Worlds (Forde, 1954), African Systems of Thought (Fortes et Dieterlen, 1965). Les premières oeuvres d'ethnophilosophie sont rédigés par des ecclésiastiques formés à la scolastique à Rome ou à Louvain: A. Kagame, La philosophie bantu-rwandaise de l'Etre, 1956; A. Makarakiza, La dialectique des Barundi, 1959; F.M. Lufuluabo, Vers une théodicée bantoue, 1962; V. Mulago, Un visage africain du christianisme, 1965).

Cahiers et Colloques répercutent la thématique en vogue: Des prêtres noirs s'interrogent, 1957; Aspects de la culture noire 1958; Regards sur l'Afrique, 1962; Colloque sur les religions, 1962; Personnalité africaine et catholicisme 1963. Stimulés par les connaissances qu'accumulent l'histoire, l'anthropologie culturelle, la sociologie africaine (celle-ci représentée surtout par G. Balandier et ses disciples), interpellés par les idéologies de la négritude, du socialisme africain, des classes sociales..., des universitaires et des clercs produisent alors des thèses qui se situent soit dans le courant d'ethnophilosophie: J.C. Bahoken, H. Memel-Fôté, J. Mbiti, B. Kossou, J. Magobeko Kamana..., soit dans le courant critique opposé à l'ethnophilosophie et sensible aux idéologies politiques même s'ils s'en défendent: P. Hountondji, F. Eboussi-Boulaga, M. Towa, J. Fabian, A. N'Daw, V. Mudimbe...

Dans le projet de reconstituer une philosophie de l'être des Rwandais (A. Kagame), une philosophie de la personnalité yoruba (I. Laleye), une philosophie morale des Wolof (O. Sylla), une philosophie négro-africaine de l'existence (B. Fouda), etc., à partir de données ethnologiques, existe en filigrane le désir de régénérer quelques problèmes philosophiques en les confrontant à des visions du monde collectives et spontanées, étrangères à la pensée occidentale. Mais il reste à savoir dans quelle mesure les auteurs ont reproduit des philosophèmes préexistants et dans quelle mesure ils les ont créés ou bien moulés dans leur propre discours; dans quelle mesure une vision du monde est cohérente au point d'être systématisée en tant qu'ontologie, que logique du savoir ou de l'action?

B/ UN DEBAT LOURD D'ANATHEMES

C'est bien le choc des cultures à travers la colonisation qui a favorisé la rupture philosophique et donné du recul par rapport à la tradition africaine. Que cette tradition comporte une sagesse, soit! mais elle n'est pas encore cette sorte de cogito  ou de prise de conscience revendicatrice qu'exprime par exemple la théorie de la négritude. Et une théorie en partie politique, comme celle-ci ou comme celle du socialisme africain, orientée vers l'action, ne satisfait pas à toutes les exigences réfléxives de la philosophie. En revanche, si l'exigence rationnelle est respectée dans la réflexion sur les mythes, rites, symboles, manières de penser traditionnelles, le problème herméneutique se pose avec acuité: Quel sens attribuer à ces données? Quelle garantie d'adéquation à son objet porte le discours ethnophilosophique? Trop souvent celui-ci n'évite pas deux écueils, soit l'attitude purement ethnologique d'enregistrement des positions traditionnelles (ou ce qu'on croit tel), soit la logomachie dithyrambique. H. Maurier pose, dans sa Philosophie de l'Afrique noire, des questions que peu d'ethnophilosophes prennent généralement en considération: "Quelle est la valeur de la connaissance traditionnelle? Sur quoi fonde-t-elle ses affirmations? Pourquoi s'exprime-t-elle symboliquement? Comment son discours est-il réglé par sa propre dialectique autant et plus que par l'expérience? Quel jeu subtil pratique-t-elle entre la compréhension et la croyance?" (1985, p. 22)

Un peu courte est cette critériologie bantu de Tempels qui s'en remet à l'évidence et à la sagesse des aînés! Evidences et sagesses tout aussi diverses que relatives! Jonglerie que la mise en correspondance (approximative) des catégories grammaticales du kinyarwanda avec les catégories de l'être chez Aristote, proposée par A Kagame. A propos Hountondji écrit: "Kagame, comme aant lui Tempels et comme tous les ethnophilosophes africains, ...commet ce qu'Aristote appelle une metabasis eis allo genos, une confusion des genres". (Ibid. p. 31). Ni les soucis d'apologétique religieuse, ni la revendication de l'honneur africain ne sauraient être des gages de lucidité et produire une philosophie plus libérée de préjugés que celle qu'on accuse d'ethnocentrisme européen ou de préoccupations colonalistes.

Pour Paulin Hountondji, l'ethnophilosophie reposerait sur un mythe, celui de l'unanimité primitive(dans les sociétés non occidentales, tout le monde est d'accord avec tout le monde. D'où il suit qu'il ne saurait y avoir, dans de telles sociétés, des croyances individuelles ou des philosophies individuelles, mais seulement des systèmes de croyances collectifs), sur une illusion, celle de la philosophie comme système excluant la dimension historique, sur un abus, celui de considérer comme philosophie des littératures orales qui ne se posent pas comme telles. Il reproche aussi à cette ethnphilosophie d'être élaborée pour la satisfaction d'un public occidental qui voit ainsi pétrifiée l'image que le colonisateur avait fait endosser à l'Africain. Par le fait d'essentialiser des valeurs qui seraient propres à l'âme noire, on spécifie une sorte de sous-homo sapiens duquel seraient niées les possibilités de dépassement. C'est faire le jeu de l'ethnocentrisme néo-colonial que de méconnaître le fait que certaines valeurs dites traditionnelles étaient tributaires d'un certain état de la société et de l'économie, qu'elles n'ont pas su préserver un continent de la domination étrangère, qu'elles camouflaient bien des oppressions, qu'elles sont sérieusement entamées et contredites à l'heure actuelle. Chez Hountondji, il y  a une différence à faire entre la philosophie proprement dite (sans guillemets) qui est l'ensemble de textes et de discours explicites, une littérature d'intention philosophique, la philosophie entre guillemets, au sens impropre, qui est la vision du monde collective et hypothétique d'un peuple donné et l'ethnophilosophie qui est une recherche qui repose, en tout ou en partie, sur l'hypothèse d'une telle vision du monde, un essai de reconstruction d'une "philosophie" collective supposée. (Ibid. p.33, note 20). L'ethnophilosophie apparaît alors sous son vrai jour. D'abord rendre compte d'une unanimité imaginaire, de s'employer à interpréter un texte qui n'existe nulle part et qu'elle doit sans cesse réinventer, elle est une science sans objet, un langage en folie, abandonné à lui-même: discours d'autant plus libre qu'il est sans référent et qu'on ne peut d'aucune manière en démontrer la fausseté.(Ibid., p. 64). Pour Hountondji, l'ethnophilosophie se prétend la description d'une vision du monde implicite et inexprimée, laquelle n'existait en réalité nulle part ailleurs que dans l'imagination de l'anthropologue. L'ethnophilosophie est une préphilosophie qui se prend à tort pour de la métaphilosophie; une philosophie qui, plutôt que de fournir ses propres justifications rationnelles, se réfugie paresseusement derrière l'autorité d'une tradition et projette dans cette tradition ses propres thèses, ses propres croyances.

C. Guillaumin (L'idéologie raciste: Genèse et langage actuel, Paris, Mouton, 1972), quant à lui, a dépisté des insunuations racistes dans bien des thèmes d'ethnophilosophies. A travers les idées de communauté de sang fondant la solidarité familiale, d'ordre de la primogéniture, de spécification de la femme par sa maternité féconde, d'émotion nègre et de symbiose avec les rythmes cosmiques, se perçoit en filigrane une réduction du sujet humain à sa fonction biologique pour peu que le jugement de fait devienne jugement de valeur. Le nègre serait-il condamnné au particulier, à l'émotion, tandis que le type général de l'homme serait du côté de la rationalité occidentale?

Pour F. Eboussi-Boulaga(La Crise du Muntu, Paris, Présence Africaine, 1977) qui considère l'ethnophilosophie comme une plaidoirie, une rhétorique appartenant largement au genre persuasif ou exhortatif, la question principale posée par le discours ethnophilosophique est la manière dont il s'élabore: "On se demende où l'ethnophilosophie puise sa matière, à quelle opération elle la soumet, comment elle spécifie son champ, ou comment elle le constitue, en lui-même et par opposition à ce qui n'est pas lui. La critique s'interrogera sur l'aboutissement logique de cette élaboration. Parvient-elle à manifester ce qu'est la philosophie? Celle-ci ne sera-t-elle qu'un avoir, ou un faire qui est l'initiative et l'oeuvre d'un sujet? ou se manifestera-t-elle dans son "essence", avec plus d'éclat, débarrassée des idéologies qui la voilent?

Dans un vibrant Eloge de l'ethnophilosophie, (Présence africaine, n° 123, 1982) le Camerounais Meinrad Hebga répond par les arguments suivants aux philosophes africains dont certains ont acquis leur notoriété plus par la critique que par une élaboration intellectuelle originale: partout la réflexion philosophique a été amorcée à partir des contes, mythes, croyances, pratiques, coutumes qui font la trame de l'existence quotidienne. Pourquoi d'ailleurs ne s'appuierait-elle que sur des textes plutôt que sur des faits? Souvent le philosophe s'interdit par paresse un travail de terrain qui le confronterait au réel, sans l'enfermer nécessairement  dans sa propre culture, dans la mesure où son raisonnement peut être comparatif et enrichi notamment par la pensée occidentale. Ao total, les auteurs qui critiquent l'ethnophilosophie manifestent un fétichisme de la rationalité, se valorisent avec arrogance de leur maniement de l'arme du colonisateur et renvoient à une norme aussi bien utopique qu'idéologique de la philosophie.

A suivre....

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