mardi 16 décembre 2008

Le problème de la politique et de la religion chez J. Maritain in Crépuscule de la civilisation

Jacques Maritain (1882-1973) est un philosophe français. Converti au christianisme en 1906, il fut l'un des grands penseurs catholiques du XXème siècle. Né à Paris, petit fils de Jules Favre, il fait des études de philosophie et de sciences à la Sorbonne, où il rencontre Raïssa Oumançoff (née en 1883 en Russie) fille d’émigrés juifs arrivés à Paris en 1893. Ils se marient en 1904.
    Dans son célèbre ouvrage Humanisme intégral (1936) Jacques Maritain s’élèvera contre l’anti-sémitisme et le totalitarisme. Aussi dans le passage du volume VII de ses Oeuvres Complètes intitulé " Le Crépuscule de la Civilisation " l’auteur aborde le problème de la politique, de la morale et de la religion dans un climat intellectuel et chrétien de recherches de la vérité et d’accueil, au temps des débats et de la crise de la civilisation marquée par l’irruption du totalitarisme.
    A travers ce passage soumis à notre réflexion, c’est le procès de l’humanisme et de la civilisation moderne qui est fait. Comment l’auteur s’y prend t-il pour étayer sa thèse?
I- La Crise de l’humanisme moderne
Le mot humanisme se rapporte à l’homme en général pris dans son cosmos et son histoire. Si l’on prend en compte le vécu et l’action des hommes, ce terme pose problème à la conscience commune et non à l’individu. Ici ressort la négation, voir la séparation d’avec l’humanisme classique basée sur une conception anthropologique de l’homme et de sa culture.
Au lieu d’un attachement à un humanisme intégral et une civilisation chrétienne, l’homme s’attache à sa conception individualiste du monde. Concernant la vie humaine, sa raison se départit de la  dimension supra-rationnelle en niant certains actes évangéliques. Ainsi se dévoile peu à peu l'homme du pharisaïsme bourgeois que Marx, Nietzsche et Freud se glorifieront de démasquer en défigurant du même coup l’homme lui-même. En même temps sont faites au genre humain depuis l’époque de Descartes, des promesses énormes dans le contexte du siècle des lumières.
Eh bien, tout ça ne va pas. Après avoir perdu Dieu pour se suffire, l’homme égare son âme et est voué à la mort. Alors survient en lui une opposition tragique entre la vie et l’intelligence: un raz de marée irrationaliste.
Cette opposition avait commencé avec Luther et continué avec Rousseau. Aujourd’hui, elle se présente non seulement sous des formes serviles mais aussi sous des formes et très nobles: telle fut le cas de Nietzsche, Kierkegaard, Karl Barth, Chestov qui ont entrepris le contre humanisme.
Il apparaît ici que la raison a été mise en péril par l’adoration de la raison, l’humanisme par l’humanisme anthropocentrique. Même si des voix terribles s’élèvent dans l’homme criant: assez d’optimisme menteur et de moralités illusoires, assez d’idéalisme qui nous tue, écoutons la la voix fatale de Nietzsche qui est la voix de cette multitude médiocre et plate, dont la platitude et la médiocrité apparaissent comme des signes apocalyptiques, et qui annonce l’ évangile de la haine de la raison. Nietzsche ainsi que Goethe montrent comment la condition humaine est ramené à l'animalité dans une Europe où l'amour et la sainteté ne l'a pas transfiguré.
Plus grave encore est le fait que l'humanisme anthropocentrique s'érige en religion vécue. Ainsi l'homme seul et par lui seul fait son salut, puisque pour Karl Marx, seul la raison doublée par un matérialisme gouverne l'homme. Dès lors la destinée de l'homme est purement temporelle parce qu'il croit se réalisé sans Dieu: il se trouve seul et même contre Dieu. Au nom d'un humanisme matérialiste, les gouvernants nazis ont détruit l'humanisme par un rationalisme anti-humaniste.
Bref, la méconnaissance des valeurs humaines authentiques par le monde moderne doit être remplacée par la prise de conscience d'une vérité plus profonde de l'homme et de sa destinée. Un nouvel humanisme doit naître aujourd'hui à travers une ouverture de l'homme au monde divin pour sanctifier ce qui en lui est profane et surtout pour réaffirmer la dignité et l'intégrité de la personne humaine créée à l'image de Dieu: il s'agit dès lors de l'humanisme de l'incarnation. Dans cet humanisme intégral, il s'agira d'avoir une vision synoptique de la vie éternelle et des réalités mondaines. Il s'agit de purifier le contenu de l'histoire humaine.
II- Les grandes forces anti-chrétiennes
Le crépuscule de la civilisation occidentale est marquée par une bonne appréhension de la dialectique de l’humanisme moderne par la France. Il ne faut ni considérer le totalitarisme communiste, ni moins le totalitarisme fasciste et encore moins le national-socialiste comme idéal d’humanisme. Des trois totalitarismes, c’est le totalitarisme russo-communiste qui a été le plus sanglant. Le nazisme et le communisme sont des forces anti-chrétiennes ou encore « anti-christiques » à cause du racisme avoué et de la haine prononcée pour la sagesse et l’ascèse chrétienne.
Par rapport au racisme germanique, il se présente comme une protestation pathologique contre tout ce qui est étranger et surtout juif, doublé du pédantisme le plus absurde. Par rapport à la haine mystique de toute subtilité intellectuelle ou morale, elle se présente comme un affront à la religion chrétienne ou aux chrétiens ou encore à l’idée de Dieu qu’elle véhicule: c’est l’avènement d’un panthéisme ou d’un pseudo-théisme démoniaque.
III- L’Evangile et l’Empire païen
Eh bien, tout cela fait-il pour la civilisation occidentale une situation désespérée? Il faut non seulement craindre les encouragements des optimistes professionnels et le pessimisme des fatalistes, mais aussi la solution totalitaire illusionniste et empoisonnée de mensonge par rapport à la solution de l’humanisme chrétien qui fait accéder l’homme à une vie et une liberté vraiment dignes de la personne humaine et de sa vocation. Sur la signification social d’un tel humanisme, je me borne à dire qu’il doit assumer une tâche de transformation profonde de l’ordre temporel.
Cette tâche est liée à la vocation chrétienne: unifier les réalités mondaines et les valeurs spirituelles sans édulcorer le message de l’Evangile. Le désordre vécu dans notre monde est dû au fait que le message chrétien n’a pas encore pénétré les habitudes des hommes d’une part. Aussi ce désordre d’autre part, est l’émanation d’une civilisation troublée par les méandres de son passé- passé marqué par les guerres et la haine-.
A vrai dire la primauté du spirituel se doit d’être respecté dans le mode d’existence humaine. En même temps, dans l’ordre temporel, la liberté du chrétien a toujours rimé avec son espérance en l’efficacité terrestre de l’évangile. Pour la pensée chrétienne, l’évangile commande le monde et la politique tend à créer au sein de l’humanité un corps collectif qui attirant à soi toute la substance humaine accomplirait en lui-même la divinité de l’homme. Eh bien, quel est le principe propre du politique ainsi entendu et vécu?
Pour un des plus intelligents théoriciens du national-socialisme, M. Carl Schmitt, le concept du politique consiste essentiellement dans la relation: avec l’ami contre l’ennemi. C’est le principe du contre l’autre ou de l’inimitié constitutive. En d’autres termes, c’est pour écraser les autres que l’Etat sait quels sont les siens: souveraineté de la haine.
Si le Christ est le sauveur du monde, c’est que le politique aussi peut être sauvé pour le bien commun des hommes. Ainsi ces formules de Carl Schmitt nous découvrent nous découvre l'essence de la politique païenne et les fondements de l'empire païen.
Il est bien vrai que l'inimitié, l'empire païen, la politique païenne haïssent les autres et n'aiment que les siens. Mais cette haine collective peut fragiliser l'unité apparente de l'état et étouffer la vie et les droits de la personne humaine. Par contre, l'évangile, dans une opposition radicale à l'esprit du monde proclame l'amour des siens et des autres à partir de l'amour de Dieu: Deus caritas est.
"Je vous donne dit Jésus, un commandement nouveau: aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé"( cf. Jn 13, 34). L'amour des ennemis est ici valorisé (cf. Mt 7, 40).
Même si les païens en font autant, l'originalité de la vie chrétienne, c'est de ne pas haïr le pécheur, mais de fuir le mal avec horreur. Le chrétien est guidé en toutes choses par l'esprit de vérité, le Saint-Esprit. Il est pour les autres la lumière et pour Dieu un instrument de la paix que le Christ est venu instaurer dans ce monde. Naît alors une civilisation chrétienne qui luttera contre l'hitlérisme.
L’esprit de l’empire païen a deux façons d’attaquer le christianisme: du dehors et du dedans par le communisme russe et le racisme allemand qui tous deux entreprennent de chasser de l’existence politique tout ce qui détient en soi une valeur chrétienne. C’est ainsi que M. Hitler, dans son livre Mein Kampf, tout en condamnant la tactique de la guerre contre la religion a mené après une guerre perfide et implacable contre les chrétiens. L’habileté de l’hitlérisme consistait dans des sophismes: nous comprenons que l’esprit du racisme est attaché à la haine du Dieu du calvaire et du Dieu du Sinaï.
Dans un petit livre publié il y a quelques années, je signalais la confusion que nous faisons entre la communauté spirituelle du royaume de Dieu et la communauté terrestre. Ainsi, de l’opposition faite entre l’empire païen et l’évangile, il faut dire que chaque fois qu’un chrétien pense et agit de façon à valoriser la haine sur l’amour de l’ennemi, il cède à l’esprit de l’empire païen et trahit l’esprit du Christ.
Je dis donc que si nous croyons que le  vrai catholicisme est celui des apôtres qui voulaient faire descendre le feu du ciel sur les méchants et que la vraie preuve de foi en Dieu et de l'amour de Dieu n'est pas seulement d'être prêt à mourir pour lui (cf. Jn 15, 13) mais à tuer pour lui, notre catholicisme ou notre foi n'est pas enraciné sur Jésus mais sur l'esprit du monde.
Il existe encore d'autres psychoses contre la haine d'une race au fondement de l'idée de chrétienté et de la communauté qu'elle implique. C'est ce que relate le Pape dans son commentaire des paroles du canon de la Messe Sacrificium Patriarchae nostri Abrahae. Quand on a compris le triomphe du racisme au sein de l'âme humaine dans ce monde à travers les pays où sévit des fléaux comme la méchanceté, le mépris de la personne humaine, la cruauté sadique et ses corollaires que sont la douleur et l'agonie, nous percevons clairement l'agonie de Jésus-Christ à travers la complicité des âmes qui croient servir Dieu.
De Staline à Hitler qui ont fait massacrer les koulaks et les juifs, notre époque offre aux démons homicides des martyrs incalculables. Le jour où le président des Etats-unis a demandé la prière de tous les hommes de bonne volonté "pour les infortunés qui en d'autres pays sont dans une affreuse détresse" (cf. The New-York Time, 20 novembre 1938). Il a manifesté implicitement à la conscience des peuples le cruel taux des martyrs juifs et chrétiens à travers notre monde dit civilisé. Mais n'ayons crainte, ce règne des injustes sera de courte durée.
J'ai parlé de l'esprit de l'empire païen, de l'esprit du monde qu'une bourgeoisie livrée à un égoïsme anarchique et aveugle ne peut combattre, mais les catholiques français avec l'aide de la Parole de Dieu et de la vérité arrivent à maîtriser. Faisant allusion à certains dangers qui ne sont pas illusoires, le cardinal patriarche de Lisbonne dénonçait il y a quelques années cette conception politique, non évangélique, de la religion qui déchristianiserait le christianisme à travers des contraintes extérieures et le reniement de la rédemption chrétienne.
Le cardinal patriarche de Lisbonne rend hommage à cet illustre pape Pie XI qui a bravé des régimes persécuteurs en condamnant le communisme, l'étatisme, le racisme, le nationalisme païen, le totalitarisme devant lesquels se prosternent une multitude de gens qui n'ont plus conscience de leur dignité et de leur liberté dès qu'ils perdent le Christ (cf. Discours de son Em. le cardinal CEREJEIRA in documentation catholique du 20 décembre 1938).
Eh bien, je ne crois pas qu'un soi-disant christianisme qui pactiserait avec le communisme, le racisme, la violence ou la contrainte extérieure pourrait pénétrer en France, mais plutôt un christianisme basé sur la grâce et la charité du Christ.
IV- Christianisme et Démocratie
Je me trouvais pendant l'automne 1938 aux Etats-Unis; si l'exercice de la politique en France pose de nombreux problèmes à la civilisation, en Amérique la conception de la démocratie va dans la droite ligne des valeurs chrétiennes.
En réponse à une lettre du pape leur demandant de promouvoir les études de philosophie sociale et politique, les évêques américains ont fait une déclaration (cf. lettre pastorale rédigée à l'assemblée annuelle de Washington du 12-14 Octobre 1938). Selon une remarque du Père John La Frage, le mot démocratie chrétienne, employé d'abord par Léon XIII en compte par l'épiscopat américain (cf. Documentation Catholique du 05 janvier 1939).
En outre, le président Roosevelt et à sa suite Walter Lippman font l'éloge d'une démocratie teintée de vertus morales vécue en Amérique et ailleurs. Le fait que le président Roosevelt reconnaît la religion comme la source de la démocratie et de la bonne foi internationale constitue une réorientation fondamentale dans la conception démocratique de la vie en occident (cf. New York Herald Tribune, 07 Janvier 1939) .
Voilà qu'en plus d'un nouvel humanisme, doit naître une nouvelle démocratie qui ne soit pas l'apanage des absolutistes mais de la conscience commune. Quelques soient les partis politiques de droite et de gauche, la philosophie politique doit être vraie. Pour saint Thomas d'Aquin les détenteurs de l'autorité du gouvernement démocratique tout en usant d'une philosophie politique démocratique doivent se faire les serviteurs de la multitude et non des opposants.
Pour ma part, tout en critiquant la démocratie selon Jean Jacques Rousseau, j'ai découvert une démocratie manqué et un humanisme manqué procédant de l'inspiration anthropocentrique auxquels s'opposaient le matérialisme, l'athéisme, l'anarchie masquée en étatisme et la dictature.
Cet humanisme intégral et cette démocratie organique constitue la démocratie chrétiennement inspirée dont parle l'épiscopat américain. Elle est d'inspiration théocentrique, ne se base pas sur l'individu abstrait, intemporel et inexistant, mais sur la personne concrète et existante dans le contexte historique de sa vie. Son ultime but est le respect de la dignité humaine et la liberté d'épanouissement de la personne. Ce qu'il y a pour elle de principal dans l'œuvre politique, ce n'est pas l'esprit de convoitise ni de domination externe, mais le strict respect des droits de la communauté politique et du bien commun politique ainsi que le strict respect des droits de la famille et des droits de la personne humaine comme l'a suggéré Pie XI dans l'encyclique Divini Redemptoris.
La religion chrétienne, bien qu'étant indépendante des régimes temporels, fait UN avec toutes les formes de gouvernement légitime. Elle ne se mêle pas de la pratique gouvernementale, mais elle interpelle la conscience collective sur les problèmes de civilisation et de liberté humaines. Si depuis quelques années, il apparaît que dans le domaine politique les démocraties  perdent à tous les coups, c'est à cause de la fausse philosophie de la vie (dictatures totalitaires et partisans de Machiavel). Cette épreuve historique continuera jusqu'à ce qu'une fois invincible imprègne les structures sociales et les mentalités humaines.
Si les démocraties occidentales veulent subsister, c'est à condition qu'elles découvrent dans sa pureté leur principe vital que sont la justice et l'amour, base de leur philosophie -politique et de la rencontre avec Dieu.
Au crépuscule du soir où nous sommes, se joint quelques signes d'un crépuscule du matin à travers le redressement spirituel qui s'accomplit depuis quelques années dans notre civilisation. Et aussi, le développement, dans des parties de plus en plus considérables de la jeunesse française, de conceptions politique et sociale fondées sur la valeur de la personne humaine. Dans ces perspectives, nous comprenons l'idée du nouvel axe de civilisation selon le cardinal Verdier (janvier 1938) que la France a à constituer avec l'Eglise. N'entendons pas par cette idée une "croisade idéologique" et moins une guerre sainte, mais plutôt il s'agit d'avoir notre philosophie de l'homme et de la cité, il s'agit d'exister nous-mêmes et à nos propres yeux, vieille terre de Jeanne d'Arc et de Péguy, vieille terre de justice, d'honneur et de liberté.
L'Europe, cependant, est-il trop tard pour l'Europe? Avec l'Europe d'aujourd'hui, qui oserait espérer en la possibilité d'une nouvelle chrétienté?
D'abord le problème de la civilisation se pose aujourd'hui au monde entier. Ensuite, le plus important est que chacun sache ce qu'il a à faire personnellement et non ce que les autres ont à faire. Au regard du poste occupé par la    France dans la civilisation, l'essentiel est que la résistance morale et la volonté de renouvellement soient suffisamment assurées chez elle.
Même si les états totalitaires n'ignorent pas l'importance de l'unanimiste morale, ils ne peuvent y parvenir que par des moyens douteux que sont l'intimidation et la contrainte. La question est de savoir si les peuples des pays encore libres sont  capables d'atteindre par les voies de la liberté et de l'esprit une suffisante unanimité morale, et de résister aux altérations qui menacent du dedans leur conscience telles que la violence païenne et tous les moyens qui puisent leur force dans la dégradation de l'être humain et de son histoire.
V- Critique
C'est dans Le Crépuscule de la civilisation paru le 08 février 1939, lors d'une conférence prononcée à Paris, au théâtre Marigny et plus précisément aux éditions Les Nouvelles lettres que nous comprenons davantage Humanisme intégral paru en 1936 dans le volume VI des Oeuvres Complètes de Jacques et Raïssa Maritain. Aussi cette oeuvre soumise à notre analyse nous prépare à une meilleure compréhension de L'Homme et l'Etat paru en 1951. Dans Le Crépuscule de la Civilisation Maritain traite de la civilisation humaine en général et plus particulièrement du cas de l'Europe et surtout de la France qui doit rester ouverte à la "chrétienté" à cause de l'influence des guerres et surtout de la crise de la moralité. Même s'il y a une vérité religieuse intégrale, il peut y avoir des civilisations chrétiennes diverses selon les exigences des époques et des hommes: d'où le catholicisme auquel s'agrippe la France et une partie de l'Europe. Pour mieux comprendre ce problème lié à la civilisation chrétienne, cherchons à savoir qu'est ce que l'homme?
Maritain part d'une conception purement anthropocentrique des relations humaines, de l'homme et de sa culture et il découvre qu'elle est vidée de sa dimension "christocentrique" et "anthropo-christocentrique". L'homme devient comme l'a stipulé le 18ème siècle « une volonté de puissance », un maître incontesté de l’univers, qui bannit Dieu de sa raison. La raison fait donc son propre éloge et nie « la raison toute souveraine ». Les relations entre les hommes vont dès lors se présenter sous forme conflictuelle (cf. Thomas Hobbes in Le Léviathan). Ainsi un certain athéisme va émerger de la pensée de certains philosophes et hommes politiques comme Marx, Nietzsche, Staline et Hitler. Dès lors la liberté et la dignité originelles se transforment en libertinage et en esclavage des idées mondaines et païennes: de là naîtront le totalitarisme et le racisme qui défigureront la personne humaine dans son intégralité. Quel est donc le sort de la civilisation humaine?
Face à ces dangers de la civilisation moderne, Maritain s’efforcera à travers son oeuvre de sauver l’humanisme et la civilisation moderne en les intégrant à une conception chrétienne du monde. Pour Maritain, l’erreur de l’humanisme classique n’a pas été de faire prendre à l’homme conscience de lui-même, mais de lier cette prise de conscience de la réalité de Dieu et des fins suprême de la création. Maritain suggère pour la France une réhabilitation des droits de la personne humaine et de sa dignité. A l’idée médiéval de la force au service de Dieu, il faut substituer l’idée de la « sainte liberté de Dieu » où Maritain voit le mythe dynamique de la civilisation chrétienne à venir. De ce pas, les forces anti-chrétiennes ne pourront vaincre l’amour et l’unité que prône la civilisation chrétienne.
L’auteur du Crépuscule de la civilisation devient à la faveur d’un long séjour américain le philosophe chrétien de la démocratie et des droits de l’homme, inspirateur et précurseur des évolutions catholiques exprimées par le concile vatican II. Sous l’égide doctrinal du thomisme, Maritain a été un philosophe passionné de vérité. Au point de vue politique, Maritain oriente ses auditeurs vers une démocratie personnaliste en rejetant toute sorte de machiavélisme. Pour lui, la politique chrétienne doit prendre en compte les valeurs évangéliques et les partis démocratiques.
En un mot, Maritain se fait le défenseur des « droits de l’homme ». Il s’agit pour lui face à la barbarie nazie qui menaçait l’avenir de la civilisation occidentale, de fonder philosophiquement l’exigence d’une philosophie respectueuse de la dignité humaine sur la tradition de l’humanisme chrétien.
CONCLUSION
Au terme de notre réflexion, nous retenons que Le Crépuscule de la Civilisation de Jacques Maritain est une interpellation à la conscience commune sur la valeur de la dignité et des droits de la personne humaine. Cette oeuvre fait le lien entre Humanisme intégral (1936) et Les droits de l’homme et la loi naturelle (1942) annonçant la déclaration universelle des droits de l’homme ( O.N.U. 1948). Le mérite de Jacques Maritain est non seulement de faire la critique des pouvoirs totalitaristes comme le marxisme et le nazisme, mais aussi de montrer l’importance de la religion (catholique) au sein d’une civilisation dite moderne. Ainsi le crépuscule de la civilisation s’écrira autrement l’aurore de l’humanisme chrétien si la personne est respecté dans toute son intégrité.
Nous comprenons aisément que le philosophe chrétien Jacques Maritain a la préoccupation du sort de la vérité dans les âmes ou de l’avenir de la culture occidentale. Il constate finalement que pour avancer vers cette civilisation chrétienne « le chrétien court en boitant » (cf. Cours du P. Patrice Aké ). Tout cela fait comprendre l’étroite relation entre Msgr Montini, proche collaborateur de Pie XII. Aussi en 1964, le pape Paul VI consulte Jacques Maritain au sujet du concile vatican II. Et le 08 décembre 1965, le pape lui remet à la clôture solennelle du concile le « message du concile » adressé aux hommes de la pensée et de la science.

Père AKE Patrice

Aucun commentaire: