lundi 22 décembre 2008

NOEL COMME INCARNATION DU VERBE EN VUE DE LA REDEMPTION DES HOMMES

          Les non croyants perçoivent dans la fête de Noël quelque chose d'extraordinaire et transcendant qui parle au coeur. C'est une fête qui chante le don de la vie, car la naissance d'un enfant devrait toujours être une occasion de joie. Normalement, un nouveau-né inspire attention et tendresse. Noël est de fait la découverte d'un nouveau-né qui vagit dans une pauvre grotte. A la vue de la crèche, comment ne pas penser à tous ces enfants qui aujourd'hui encore naissent dans le dénuement de par le monde? Comment ne pas penser aux nouveaux-nés refusés et à ceux qui ne survivent pas au manque de soins ou d'attentions? Et aux familles qui espèrent la joie d'une naissance et dont l'attente n'est pas comblée?".

          Sous la pression de l'hédonisme et de l'esprit de consommation, Noël risque malheureusement de perdre son sens spirituel et de se réduire à une occasion commerciale, à des échanges de cadeaux matériels. Or, les difficultés de tant de familles et la crise économique qui touche l'humanité entière pourraient aider à redécouvrir la simplicité, l'amitié et la solidarité qui sont les valeurs de Noël. Libéré de ses connotations matérialistes, Noël redeviendrait l'occasion d'accueillir comme un cadeau le message d'espérance contenu dans le mystère de la naissance du Christ. Certes, tout ceci ne suffirait pas à récupérer dans sa totalité la spiritualité d'une fête qui, nous le savons, marque l'évènement central de l'histoire, l'incarnation du Verbe en vue de la rédemption des hommes... Pour nous, à Noël, se renouvelle le mystère majeur du salut, promis et accordé..., appelé à durer sans fin... A Noël, nous ne nous limitons pas à commémorer la naissance d'un grand personnage, un mystère abstrait ou plus généralement le mystère de la vie...mais un fait concret et fondamental pour tout homme, essentiel pour la foi chrétienne, une vérité que Jean résume par son Le Verbe s'est fait chair. Il s'agit d'un évènement historique que Luc place dans un contexte bien précis, au moment du premier recensement ordonné par Auguste alors que Quirinus était gouverneur en Syrie .

          Dans la nuit de Béthléem, une grande lumière s'est allumée. Le Créateur de l'univers s'est incarné en s'unissant pour toujours à la nature humaine, étant vraiment Dieu de Dieu et lumière de la lumière, mais également vrai homme. Celui que Jean appelle...le Verbe, ce qui signifie aussi le sens..., s'est incarné. Loin d'être une idée vague, il s'agit d'une Parole étendue sur le monde et qui s'adresse à nous tous... Ce sens c'est Dieu tout puissant, un dieu bon qu'on ne peut assimiler avec quelqu'être supérieur et lointain, à jamais inaccessible. C'est un Dieu qui s'est fait notre prochain, qui donc nous est proche" et qui se "montre à nous comme un fragile bambin afin de vaincre notre superbe... Il s'est fait petit pour nous libérer de la prétention de grandeur toute humaine qui découle de la superbe. Librement il s'est incarné pour nous libérer, pour nous rendre libre de l'aimer. Noël reste une magnifique occasion de méditer sur le sens et la valeur de nos vies. Puisse l'approche de cette fête solennelle nous aider à réfléchir sur le caractère dramatique de l'histoire où les hommes blessés par le péché sont à la recherche du bonheur, d'un sens du vivre et du mourir. Puisse-t-elle nous encourager sur la miséricordieuse bonté de Dieu, venu à la rencontre de l'homme pour lui offrir personnellement la vérité qui sauve et en fait un ami.

Père AKE Patrice Jean

mardi 16 décembre 2008

Le problème de la politique et de la religion chez J. Maritain in Crépuscule de la civilisation

Jacques Maritain (1882-1973) est un philosophe français. Converti au christianisme en 1906, il fut l'un des grands penseurs catholiques du XXème siècle. Né à Paris, petit fils de Jules Favre, il fait des études de philosophie et de sciences à la Sorbonne, où il rencontre Raïssa Oumançoff (née en 1883 en Russie) fille d’émigrés juifs arrivés à Paris en 1893. Ils se marient en 1904.
    Dans son célèbre ouvrage Humanisme intégral (1936) Jacques Maritain s’élèvera contre l’anti-sémitisme et le totalitarisme. Aussi dans le passage du volume VII de ses Oeuvres Complètes intitulé " Le Crépuscule de la Civilisation " l’auteur aborde le problème de la politique, de la morale et de la religion dans un climat intellectuel et chrétien de recherches de la vérité et d’accueil, au temps des débats et de la crise de la civilisation marquée par l’irruption du totalitarisme.
    A travers ce passage soumis à notre réflexion, c’est le procès de l’humanisme et de la civilisation moderne qui est fait. Comment l’auteur s’y prend t-il pour étayer sa thèse?
I- La Crise de l’humanisme moderne
Le mot humanisme se rapporte à l’homme en général pris dans son cosmos et son histoire. Si l’on prend en compte le vécu et l’action des hommes, ce terme pose problème à la conscience commune et non à l’individu. Ici ressort la négation, voir la séparation d’avec l’humanisme classique basée sur une conception anthropologique de l’homme et de sa culture.
Au lieu d’un attachement à un humanisme intégral et une civilisation chrétienne, l’homme s’attache à sa conception individualiste du monde. Concernant la vie humaine, sa raison se départit de la  dimension supra-rationnelle en niant certains actes évangéliques. Ainsi se dévoile peu à peu l'homme du pharisaïsme bourgeois que Marx, Nietzsche et Freud se glorifieront de démasquer en défigurant du même coup l’homme lui-même. En même temps sont faites au genre humain depuis l’époque de Descartes, des promesses énormes dans le contexte du siècle des lumières.
Eh bien, tout ça ne va pas. Après avoir perdu Dieu pour se suffire, l’homme égare son âme et est voué à la mort. Alors survient en lui une opposition tragique entre la vie et l’intelligence: un raz de marée irrationaliste.
Cette opposition avait commencé avec Luther et continué avec Rousseau. Aujourd’hui, elle se présente non seulement sous des formes serviles mais aussi sous des formes et très nobles: telle fut le cas de Nietzsche, Kierkegaard, Karl Barth, Chestov qui ont entrepris le contre humanisme.
Il apparaît ici que la raison a été mise en péril par l’adoration de la raison, l’humanisme par l’humanisme anthropocentrique. Même si des voix terribles s’élèvent dans l’homme criant: assez d’optimisme menteur et de moralités illusoires, assez d’idéalisme qui nous tue, écoutons la la voix fatale de Nietzsche qui est la voix de cette multitude médiocre et plate, dont la platitude et la médiocrité apparaissent comme des signes apocalyptiques, et qui annonce l’ évangile de la haine de la raison. Nietzsche ainsi que Goethe montrent comment la condition humaine est ramené à l'animalité dans une Europe où l'amour et la sainteté ne l'a pas transfiguré.
Plus grave encore est le fait que l'humanisme anthropocentrique s'érige en religion vécue. Ainsi l'homme seul et par lui seul fait son salut, puisque pour Karl Marx, seul la raison doublée par un matérialisme gouverne l'homme. Dès lors la destinée de l'homme est purement temporelle parce qu'il croit se réalisé sans Dieu: il se trouve seul et même contre Dieu. Au nom d'un humanisme matérialiste, les gouvernants nazis ont détruit l'humanisme par un rationalisme anti-humaniste.
Bref, la méconnaissance des valeurs humaines authentiques par le monde moderne doit être remplacée par la prise de conscience d'une vérité plus profonde de l'homme et de sa destinée. Un nouvel humanisme doit naître aujourd'hui à travers une ouverture de l'homme au monde divin pour sanctifier ce qui en lui est profane et surtout pour réaffirmer la dignité et l'intégrité de la personne humaine créée à l'image de Dieu: il s'agit dès lors de l'humanisme de l'incarnation. Dans cet humanisme intégral, il s'agira d'avoir une vision synoptique de la vie éternelle et des réalités mondaines. Il s'agit de purifier le contenu de l'histoire humaine.
II- Les grandes forces anti-chrétiennes
Le crépuscule de la civilisation occidentale est marquée par une bonne appréhension de la dialectique de l’humanisme moderne par la France. Il ne faut ni considérer le totalitarisme communiste, ni moins le totalitarisme fasciste et encore moins le national-socialiste comme idéal d’humanisme. Des trois totalitarismes, c’est le totalitarisme russo-communiste qui a été le plus sanglant. Le nazisme et le communisme sont des forces anti-chrétiennes ou encore « anti-christiques » à cause du racisme avoué et de la haine prononcée pour la sagesse et l’ascèse chrétienne.
Par rapport au racisme germanique, il se présente comme une protestation pathologique contre tout ce qui est étranger et surtout juif, doublé du pédantisme le plus absurde. Par rapport à la haine mystique de toute subtilité intellectuelle ou morale, elle se présente comme un affront à la religion chrétienne ou aux chrétiens ou encore à l’idée de Dieu qu’elle véhicule: c’est l’avènement d’un panthéisme ou d’un pseudo-théisme démoniaque.
III- L’Evangile et l’Empire païen
Eh bien, tout cela fait-il pour la civilisation occidentale une situation désespérée? Il faut non seulement craindre les encouragements des optimistes professionnels et le pessimisme des fatalistes, mais aussi la solution totalitaire illusionniste et empoisonnée de mensonge par rapport à la solution de l’humanisme chrétien qui fait accéder l’homme à une vie et une liberté vraiment dignes de la personne humaine et de sa vocation. Sur la signification social d’un tel humanisme, je me borne à dire qu’il doit assumer une tâche de transformation profonde de l’ordre temporel.
Cette tâche est liée à la vocation chrétienne: unifier les réalités mondaines et les valeurs spirituelles sans édulcorer le message de l’Evangile. Le désordre vécu dans notre monde est dû au fait que le message chrétien n’a pas encore pénétré les habitudes des hommes d’une part. Aussi ce désordre d’autre part, est l’émanation d’une civilisation troublée par les méandres de son passé- passé marqué par les guerres et la haine-.
A vrai dire la primauté du spirituel se doit d’être respecté dans le mode d’existence humaine. En même temps, dans l’ordre temporel, la liberté du chrétien a toujours rimé avec son espérance en l’efficacité terrestre de l’évangile. Pour la pensée chrétienne, l’évangile commande le monde et la politique tend à créer au sein de l’humanité un corps collectif qui attirant à soi toute la substance humaine accomplirait en lui-même la divinité de l’homme. Eh bien, quel est le principe propre du politique ainsi entendu et vécu?
Pour un des plus intelligents théoriciens du national-socialisme, M. Carl Schmitt, le concept du politique consiste essentiellement dans la relation: avec l’ami contre l’ennemi. C’est le principe du contre l’autre ou de l’inimitié constitutive. En d’autres termes, c’est pour écraser les autres que l’Etat sait quels sont les siens: souveraineté de la haine.
Si le Christ est le sauveur du monde, c’est que le politique aussi peut être sauvé pour le bien commun des hommes. Ainsi ces formules de Carl Schmitt nous découvrent nous découvre l'essence de la politique païenne et les fondements de l'empire païen.
Il est bien vrai que l'inimitié, l'empire païen, la politique païenne haïssent les autres et n'aiment que les siens. Mais cette haine collective peut fragiliser l'unité apparente de l'état et étouffer la vie et les droits de la personne humaine. Par contre, l'évangile, dans une opposition radicale à l'esprit du monde proclame l'amour des siens et des autres à partir de l'amour de Dieu: Deus caritas est.
"Je vous donne dit Jésus, un commandement nouveau: aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé"( cf. Jn 13, 34). L'amour des ennemis est ici valorisé (cf. Mt 7, 40).
Même si les païens en font autant, l'originalité de la vie chrétienne, c'est de ne pas haïr le pécheur, mais de fuir le mal avec horreur. Le chrétien est guidé en toutes choses par l'esprit de vérité, le Saint-Esprit. Il est pour les autres la lumière et pour Dieu un instrument de la paix que le Christ est venu instaurer dans ce monde. Naît alors une civilisation chrétienne qui luttera contre l'hitlérisme.
L’esprit de l’empire païen a deux façons d’attaquer le christianisme: du dehors et du dedans par le communisme russe et le racisme allemand qui tous deux entreprennent de chasser de l’existence politique tout ce qui détient en soi une valeur chrétienne. C’est ainsi que M. Hitler, dans son livre Mein Kampf, tout en condamnant la tactique de la guerre contre la religion a mené après une guerre perfide et implacable contre les chrétiens. L’habileté de l’hitlérisme consistait dans des sophismes: nous comprenons que l’esprit du racisme est attaché à la haine du Dieu du calvaire et du Dieu du Sinaï.
Dans un petit livre publié il y a quelques années, je signalais la confusion que nous faisons entre la communauté spirituelle du royaume de Dieu et la communauté terrestre. Ainsi, de l’opposition faite entre l’empire païen et l’évangile, il faut dire que chaque fois qu’un chrétien pense et agit de façon à valoriser la haine sur l’amour de l’ennemi, il cède à l’esprit de l’empire païen et trahit l’esprit du Christ.
Je dis donc que si nous croyons que le  vrai catholicisme est celui des apôtres qui voulaient faire descendre le feu du ciel sur les méchants et que la vraie preuve de foi en Dieu et de l'amour de Dieu n'est pas seulement d'être prêt à mourir pour lui (cf. Jn 15, 13) mais à tuer pour lui, notre catholicisme ou notre foi n'est pas enraciné sur Jésus mais sur l'esprit du monde.
Il existe encore d'autres psychoses contre la haine d'une race au fondement de l'idée de chrétienté et de la communauté qu'elle implique. C'est ce que relate le Pape dans son commentaire des paroles du canon de la Messe Sacrificium Patriarchae nostri Abrahae. Quand on a compris le triomphe du racisme au sein de l'âme humaine dans ce monde à travers les pays où sévit des fléaux comme la méchanceté, le mépris de la personne humaine, la cruauté sadique et ses corollaires que sont la douleur et l'agonie, nous percevons clairement l'agonie de Jésus-Christ à travers la complicité des âmes qui croient servir Dieu.
De Staline à Hitler qui ont fait massacrer les koulaks et les juifs, notre époque offre aux démons homicides des martyrs incalculables. Le jour où le président des Etats-unis a demandé la prière de tous les hommes de bonne volonté "pour les infortunés qui en d'autres pays sont dans une affreuse détresse" (cf. The New-York Time, 20 novembre 1938). Il a manifesté implicitement à la conscience des peuples le cruel taux des martyrs juifs et chrétiens à travers notre monde dit civilisé. Mais n'ayons crainte, ce règne des injustes sera de courte durée.
J'ai parlé de l'esprit de l'empire païen, de l'esprit du monde qu'une bourgeoisie livrée à un égoïsme anarchique et aveugle ne peut combattre, mais les catholiques français avec l'aide de la Parole de Dieu et de la vérité arrivent à maîtriser. Faisant allusion à certains dangers qui ne sont pas illusoires, le cardinal patriarche de Lisbonne dénonçait il y a quelques années cette conception politique, non évangélique, de la religion qui déchristianiserait le christianisme à travers des contraintes extérieures et le reniement de la rédemption chrétienne.
Le cardinal patriarche de Lisbonne rend hommage à cet illustre pape Pie XI qui a bravé des régimes persécuteurs en condamnant le communisme, l'étatisme, le racisme, le nationalisme païen, le totalitarisme devant lesquels se prosternent une multitude de gens qui n'ont plus conscience de leur dignité et de leur liberté dès qu'ils perdent le Christ (cf. Discours de son Em. le cardinal CEREJEIRA in documentation catholique du 20 décembre 1938).
Eh bien, je ne crois pas qu'un soi-disant christianisme qui pactiserait avec le communisme, le racisme, la violence ou la contrainte extérieure pourrait pénétrer en France, mais plutôt un christianisme basé sur la grâce et la charité du Christ.
IV- Christianisme et Démocratie
Je me trouvais pendant l'automne 1938 aux Etats-Unis; si l'exercice de la politique en France pose de nombreux problèmes à la civilisation, en Amérique la conception de la démocratie va dans la droite ligne des valeurs chrétiennes.
En réponse à une lettre du pape leur demandant de promouvoir les études de philosophie sociale et politique, les évêques américains ont fait une déclaration (cf. lettre pastorale rédigée à l'assemblée annuelle de Washington du 12-14 Octobre 1938). Selon une remarque du Père John La Frage, le mot démocratie chrétienne, employé d'abord par Léon XIII en compte par l'épiscopat américain (cf. Documentation Catholique du 05 janvier 1939).
En outre, le président Roosevelt et à sa suite Walter Lippman font l'éloge d'une démocratie teintée de vertus morales vécue en Amérique et ailleurs. Le fait que le président Roosevelt reconnaît la religion comme la source de la démocratie et de la bonne foi internationale constitue une réorientation fondamentale dans la conception démocratique de la vie en occident (cf. New York Herald Tribune, 07 Janvier 1939) .
Voilà qu'en plus d'un nouvel humanisme, doit naître une nouvelle démocratie qui ne soit pas l'apanage des absolutistes mais de la conscience commune. Quelques soient les partis politiques de droite et de gauche, la philosophie politique doit être vraie. Pour saint Thomas d'Aquin les détenteurs de l'autorité du gouvernement démocratique tout en usant d'une philosophie politique démocratique doivent se faire les serviteurs de la multitude et non des opposants.
Pour ma part, tout en critiquant la démocratie selon Jean Jacques Rousseau, j'ai découvert une démocratie manqué et un humanisme manqué procédant de l'inspiration anthropocentrique auxquels s'opposaient le matérialisme, l'athéisme, l'anarchie masquée en étatisme et la dictature.
Cet humanisme intégral et cette démocratie organique constitue la démocratie chrétiennement inspirée dont parle l'épiscopat américain. Elle est d'inspiration théocentrique, ne se base pas sur l'individu abstrait, intemporel et inexistant, mais sur la personne concrète et existante dans le contexte historique de sa vie. Son ultime but est le respect de la dignité humaine et la liberté d'épanouissement de la personne. Ce qu'il y a pour elle de principal dans l'œuvre politique, ce n'est pas l'esprit de convoitise ni de domination externe, mais le strict respect des droits de la communauté politique et du bien commun politique ainsi que le strict respect des droits de la famille et des droits de la personne humaine comme l'a suggéré Pie XI dans l'encyclique Divini Redemptoris.
La religion chrétienne, bien qu'étant indépendante des régimes temporels, fait UN avec toutes les formes de gouvernement légitime. Elle ne se mêle pas de la pratique gouvernementale, mais elle interpelle la conscience collective sur les problèmes de civilisation et de liberté humaines. Si depuis quelques années, il apparaît que dans le domaine politique les démocraties  perdent à tous les coups, c'est à cause de la fausse philosophie de la vie (dictatures totalitaires et partisans de Machiavel). Cette épreuve historique continuera jusqu'à ce qu'une fois invincible imprègne les structures sociales et les mentalités humaines.
Si les démocraties occidentales veulent subsister, c'est à condition qu'elles découvrent dans sa pureté leur principe vital que sont la justice et l'amour, base de leur philosophie -politique et de la rencontre avec Dieu.
Au crépuscule du soir où nous sommes, se joint quelques signes d'un crépuscule du matin à travers le redressement spirituel qui s'accomplit depuis quelques années dans notre civilisation. Et aussi, le développement, dans des parties de plus en plus considérables de la jeunesse française, de conceptions politique et sociale fondées sur la valeur de la personne humaine. Dans ces perspectives, nous comprenons l'idée du nouvel axe de civilisation selon le cardinal Verdier (janvier 1938) que la France a à constituer avec l'Eglise. N'entendons pas par cette idée une "croisade idéologique" et moins une guerre sainte, mais plutôt il s'agit d'avoir notre philosophie de l'homme et de la cité, il s'agit d'exister nous-mêmes et à nos propres yeux, vieille terre de Jeanne d'Arc et de Péguy, vieille terre de justice, d'honneur et de liberté.
L'Europe, cependant, est-il trop tard pour l'Europe? Avec l'Europe d'aujourd'hui, qui oserait espérer en la possibilité d'une nouvelle chrétienté?
D'abord le problème de la civilisation se pose aujourd'hui au monde entier. Ensuite, le plus important est que chacun sache ce qu'il a à faire personnellement et non ce que les autres ont à faire. Au regard du poste occupé par la    France dans la civilisation, l'essentiel est que la résistance morale et la volonté de renouvellement soient suffisamment assurées chez elle.
Même si les états totalitaires n'ignorent pas l'importance de l'unanimiste morale, ils ne peuvent y parvenir que par des moyens douteux que sont l'intimidation et la contrainte. La question est de savoir si les peuples des pays encore libres sont  capables d'atteindre par les voies de la liberté et de l'esprit une suffisante unanimité morale, et de résister aux altérations qui menacent du dedans leur conscience telles que la violence païenne et tous les moyens qui puisent leur force dans la dégradation de l'être humain et de son histoire.
V- Critique
C'est dans Le Crépuscule de la civilisation paru le 08 février 1939, lors d'une conférence prononcée à Paris, au théâtre Marigny et plus précisément aux éditions Les Nouvelles lettres que nous comprenons davantage Humanisme intégral paru en 1936 dans le volume VI des Oeuvres Complètes de Jacques et Raïssa Maritain. Aussi cette oeuvre soumise à notre analyse nous prépare à une meilleure compréhension de L'Homme et l'Etat paru en 1951. Dans Le Crépuscule de la Civilisation Maritain traite de la civilisation humaine en général et plus particulièrement du cas de l'Europe et surtout de la France qui doit rester ouverte à la "chrétienté" à cause de l'influence des guerres et surtout de la crise de la moralité. Même s'il y a une vérité religieuse intégrale, il peut y avoir des civilisations chrétiennes diverses selon les exigences des époques et des hommes: d'où le catholicisme auquel s'agrippe la France et une partie de l'Europe. Pour mieux comprendre ce problème lié à la civilisation chrétienne, cherchons à savoir qu'est ce que l'homme?
Maritain part d'une conception purement anthropocentrique des relations humaines, de l'homme et de sa culture et il découvre qu'elle est vidée de sa dimension "christocentrique" et "anthropo-christocentrique". L'homme devient comme l'a stipulé le 18ème siècle « une volonté de puissance », un maître incontesté de l’univers, qui bannit Dieu de sa raison. La raison fait donc son propre éloge et nie « la raison toute souveraine ». Les relations entre les hommes vont dès lors se présenter sous forme conflictuelle (cf. Thomas Hobbes in Le Léviathan). Ainsi un certain athéisme va émerger de la pensée de certains philosophes et hommes politiques comme Marx, Nietzsche, Staline et Hitler. Dès lors la liberté et la dignité originelles se transforment en libertinage et en esclavage des idées mondaines et païennes: de là naîtront le totalitarisme et le racisme qui défigureront la personne humaine dans son intégralité. Quel est donc le sort de la civilisation humaine?
Face à ces dangers de la civilisation moderne, Maritain s’efforcera à travers son oeuvre de sauver l’humanisme et la civilisation moderne en les intégrant à une conception chrétienne du monde. Pour Maritain, l’erreur de l’humanisme classique n’a pas été de faire prendre à l’homme conscience de lui-même, mais de lier cette prise de conscience de la réalité de Dieu et des fins suprême de la création. Maritain suggère pour la France une réhabilitation des droits de la personne humaine et de sa dignité. A l’idée médiéval de la force au service de Dieu, il faut substituer l’idée de la « sainte liberté de Dieu » où Maritain voit le mythe dynamique de la civilisation chrétienne à venir. De ce pas, les forces anti-chrétiennes ne pourront vaincre l’amour et l’unité que prône la civilisation chrétienne.
L’auteur du Crépuscule de la civilisation devient à la faveur d’un long séjour américain le philosophe chrétien de la démocratie et des droits de l’homme, inspirateur et précurseur des évolutions catholiques exprimées par le concile vatican II. Sous l’égide doctrinal du thomisme, Maritain a été un philosophe passionné de vérité. Au point de vue politique, Maritain oriente ses auditeurs vers une démocratie personnaliste en rejetant toute sorte de machiavélisme. Pour lui, la politique chrétienne doit prendre en compte les valeurs évangéliques et les partis démocratiques.
En un mot, Maritain se fait le défenseur des « droits de l’homme ». Il s’agit pour lui face à la barbarie nazie qui menaçait l’avenir de la civilisation occidentale, de fonder philosophiquement l’exigence d’une philosophie respectueuse de la dignité humaine sur la tradition de l’humanisme chrétien.
CONCLUSION
Au terme de notre réflexion, nous retenons que Le Crépuscule de la Civilisation de Jacques Maritain est une interpellation à la conscience commune sur la valeur de la dignité et des droits de la personne humaine. Cette oeuvre fait le lien entre Humanisme intégral (1936) et Les droits de l’homme et la loi naturelle (1942) annonçant la déclaration universelle des droits de l’homme ( O.N.U. 1948). Le mérite de Jacques Maritain est non seulement de faire la critique des pouvoirs totalitaristes comme le marxisme et le nazisme, mais aussi de montrer l’importance de la religion (catholique) au sein d’une civilisation dite moderne. Ainsi le crépuscule de la civilisation s’écrira autrement l’aurore de l’humanisme chrétien si la personne est respecté dans toute son intégrité.
Nous comprenons aisément que le philosophe chrétien Jacques Maritain a la préoccupation du sort de la vérité dans les âmes ou de l’avenir de la culture occidentale. Il constate finalement que pour avancer vers cette civilisation chrétienne « le chrétien court en boitant » (cf. Cours du P. Patrice Aké ). Tout cela fait comprendre l’étroite relation entre Msgr Montini, proche collaborateur de Pie XII. Aussi en 1964, le pape Paul VI consulte Jacques Maritain au sujet du concile vatican II. Et le 08 décembre 1965, le pape lui remet à la clôture solennelle du concile le « message du concile » adressé aux hommes de la pensée et de la science.

Père AKE Patrice

samedi 6 décembre 2008

PREPAREZ LE CHEMIN DU SEIGNEUR

DEUXIEME DIMANCHE DE L’AVENT ANNEE B/7 DECEMBRE 2008

Chers frères et sœurs en Jésus-Christ !

L’évangile que nous venons d’entendre, en ce deuxième dimanche de l’Avent de l’année B commence par ces quatre mots « Commencement de la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, le Fils de Dieu », qui résument tout le mystère de Jésus de Nazareth. Cet homme, situé humainement, est Christ, Fils de Dieu : c'est-à-dire à la fois roi, Messie, celui qui accomplit l'attente de son peuple, mais aussi réellement Fils de Dieu, c'est-à-dire Dieu lui-même... et là les attentes du peuple élu ont été non seulement comblées mais largement dépassées. Désormais tout l'évangile de Marc sera le développement de ce premier verset.

- « Bonne Nouvelle » : il faudrait entendre cette expression dans toute sa force ! Au sens de « Grande Nouvelle », une grande Nouvelle qui serait excellente. Etymologiquement, c'est exactement le sens du mot « évangile » ; à l'époque, les heureuses grandes nouvelles officielles comme la naissance d'un roi ou une victoire militaire étaient appelées des « évangiles ». Matthieu, Marc, Luc et Jean n'ont pas écrit des livres de souvenirs, des biographies de Jésus de Nazareth ; pour eux il s'agit d'une Nouvelle extraordinaire et elle est bonne ! « Croyez à la Bonne Nouvelle » (c'est une autre phrase de Marc) veut dire « croyez que la Nouvelle est Bonne ! » Cette Bonne Nouvelle, les évangélistes ne peuvent pas, ne veulent pas la garder pour eux ; alors ils prennent la plume pour dire au monde et aux générations futures : Celui que le peuple de Dieu attendait est venu : il donne sens à la vie et à la mort, il ouvre nos horizons, illumine nos yeux aveugles, il fait vibrer nos tympans durcis, met en marche les membres paralysés et va jusqu'à relever les morts. Voilà une Bonne Nouvelle !

- Contrairement aux récits de Matthieu et de Luc, cette Bonne Nouvelle ne commence pas, chez Marc, par des récits de la naissance ou de l'enfance de Jésus, mais tout de suite par la prédication de Jean-Baptiste. « Jean le Baptiste parut dans le désert ». Et Marc cite le prophète Isaïe : « Voici que j'envoie mon messager devant toi pour préparer ta route. A travers le désert, une voix crie : Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route ». Cette dernière phrase, vous l'avez reconnue, elle est tirée du deuxième livre d'Isaïe dans ce texte qui commence par ces mots superbes « Consolez, consolez mon peuple, dit votre Dieu » (Is 40 : première lecture de ce dimanche). En revanche la première phrase « Voici que j'envoie mon messager devant toi pour préparer ta route » n'est pas du prophète Isaïe, mais Marc fait ici un rapprochement très intéressant, avec une phrase du prophète Malachie et une autre du livre de l'Exode.

- Il est rare que les évangiles décrivent le vêtement et la nourriture de quelqu'un ! Si Marc le fait ici pour Jean-Baptiste, c'est que cela a un sens ; « Jean était vêtu de poil de chameau, avec une ceinture de cuir autour des reins, et il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage. » Les sauterelles et le miel sauvage sont la nourriture du désert, avec ce que cela signifie d'ascétisme, mais aussi de promesses, puisque c'est au désert que la grande aventure de l'Alliance avec Dieu a commencé : manière de dire « la venue de Jean-Baptiste est votre chance d'un retour au désert, des retrouvailles avec votre Dieu ».

- Et voilà pourquoi, je crois, Marc a rapproché les diverses citations que nous avons lues un peu plus haut. Le prophète Malachie écrivait « Voici, j'envoie mon messager, il aplanira le chemin devant moi ». (Ml 3, 1) ; nous sommes dans la perspective de la venue du Jour de Dieu ; et dans le livre de l'Exode on trouve « Je vais envoyer un messager devant toi pour te garder en chemin et te faire entrer dans le lieu que j'ai préparé » (Ex 23, 20) ; c'est un rappel de la sortie d'Egypte. Ce que Marc sous-entend ici en quelques mots, c'est que Jean-Baptiste nous achemine de l'Alliance historique conclue dans le désert de l'Exode vers l'Alliance définitive en Jésus-Christ.

- Quant au vêtement de poil de chameau, il était celui du grand prophète Elie (2 R 1, 8) : c'était même à cela qu'on le reconnaissait de loin ; Jean-Baptiste est donc présenté comme le successeur d'Elie ; on disait d'ailleurs couramment qu'Elie reviendrait en personne pour annoncer la venue du Messie ; on s'appuyait là sur une autre prophétie de Malachie : « Voici que je vais vous envoyer Elie, le prophète, avant que ne vienne le jour du Seigneur... » (Ml 3, 23).

- Pas étonnant, donc, qu'il y ait toute une effervescence autour de Jean-Baptiste : qui sait ? c'est peut-être Elie qui est revenu ; cela voudrait dire que l'arrivée du Messie est imminente. (Entre parenthèses, cette effervescence prouve en tout cas que l'attente du Messie était vive au temps de Jésus). Les foules accourent donc autour de Jean-Baptiste, nous dit Marc, mais lui ne se laisse pas griser par son succès : il sait qu'il n'est qu'une voix, un signe et qu'il annonce plus grand que lui. Il détrompe fermement ceux qui le prennent pour le Messie et il en tire tout simplement les conséquences : Celui que je vous annonce est tellement plus grand que moi que je ne suis même pas digne de me courber à ses pieds pour dénouer la courroie de sa sandale.

- Comme Elie, comme tout vrai prophète, Jean-Baptiste prêche la conversion : et tous ceux qui veulent changer de vie, il leur propose un baptême. Il ne s'agit plus seulement de se laver les mains avant chaque repas, comme la religion juive le demandait, il s'agit de se plonger tout entier dans l'eau pour manifester la ferme résolution de purifier toute sa vie : entendez de tourner définitivement le dos à toutes les idoles quelles qu'elles soient.

- Dans certains couvents du temps de Jean-Baptiste et de Jésus, on allait même jusqu'à prendre un bain de purification par jour pour manifester et entretenir cette volonté de conversion.

- Mais Jean-Baptiste précise bien : entre son Baptême à lui et celui qu'inaugure le Christ, il y a un monde (au vrai sens du terme) ! « Moi, je vous baptise dans l'eau » : c'est un signe qui montre votre désir d'une nouvelle vie ; le geste du baptiseur et le mouvement du baptisé sont des gestes d'hommes. Tandis que le geste du Christ sera le geste même de Dieu « Il vous baptisera dans l'Esprit Saint ». C'est Dieu lui-même qui transformera son peuple en lui donnant son Esprit.

Chers frères et sœurs, de ce bel évangile, nous devons convertir notre conception de la pureté. Premièrement, la pureté n'est pas ce que nous pensons : spontanément, nous pensons pureté en termes d'innocence, une sorte de propreté spirituelle ; et la purification serait alors de l'ordre du nettoyage, en quelque sorte. Comme si on pouvait laver son âme. En réalité, la pureté au sens religieux a le même sens qu'en chimie : on dit d'un corps qu'il est pur quand il est sans mélange. Le cœur pur, c'est celui qui est tout entier tourné vers Dieu, qui a tourné le dos aux idoles ; (de la même manière que Saint Jean, parlant de Jésus dans le Prologue, dit « Il était tourné vers Dieu »). Deuxièmement, notre purification n'est pas notre œuvre, elle n'est pas à notre portée, elle est l'œuvre de Dieu : pour nous purifier, nous dit Jean-Baptiste, Dieu va nous remplir de l'Esprit-Saint. Nous n'avons qu'à nous laisser faire et accueillir le don de Dieu.

Le deuxième mot que cet évangile me fait entendre est celui du désert. C’est en ce lieu que Jean le Baptiste s’était installé. Car il est des moments de l’existence où il faut savoir prendre du recul, savoir se retirer. Il est parfois besoin d’observer des temps de retraite et d’ascèse. Car accueillir la personne du Sauveur et l’événement de son salut, nécessite aujourd’hui comme hier, que nous préparions notre cœur. N’importe quel amoureux qui est en attente de retrouver son amour, veille à s’offrir à l’autre dans les meilleures conditions. Nous connaissons le Christ comme un grand amour. Comment pourrions-nous ne pas nous préparer de l’accueillir de manière nouvelle, à l’occasion du temps de Noël vers lequel nous cheminons ? Pour cela, écoutons bien la voix du Baptiste et conformons nos comportements à ses appels à la conversion !

Père AKE PATRICE JEAN

jeudi 4 décembre 2008

CONTRIBUTION DE THALES, LE PHILOSOPHE-PHYSICIEN A LA RECHERCHE DE LA PAIX

CONTRIBUTION DE THALES, LE PHILOSOPHE-PHYSICIEN A LA RECHERCHE DE LA PAIX

Dr AKE Patrice Jean, Maître-assistant de Philosophie, UFR-SHS de l’Université de Cocody (Abidjan)

patrice.ake@ucocody.ci

RESUME

Thalès de Milet est un philosophe-physicien qui a mis sa science au service de la paix. Sa cosmologie peut se ramener à trois propositions : la première, la terre flotte sur l’eau ; la seconde, l’eau est la cause matérielle des choses ; la dernière, toutes choses sont pleines de dieux. La physique, la géométrie et l’arithmétique l’ont rendu célèbre. Il a œuvré pour la paix. La paix qui est vécue chez lui comme l’unité des savoirs mais aussi comme l’harmonie. Voilà pourquoi il peut être appelé le philosophe de l’harmonie universelle.

MOTS-CLEFS

Philosophie, sciences, paix, unité, eau, harmonie.

SUMMARY

The mixture of philosopher and practical scientist is seen very clearly in the case of Thales of Miletus. Thales works certainly for the building of peace by predicting the eclipse of the sun as occurring at the close of the war between the Lydians and the Medes. Peace is also Unity and Harmony in Thales’ philosophy. He conceives the notion of Unity in Difference and, while holding fast to the idea of unity, endeavors to account for the evident diversity of the many.

KEY-WORDS

Philosopher, scientist, peace, unity, harmony.

INTRODUCTION

La naissance de la pensée moderne se rattache au mouvement scientifique qui a trouvé son expression la plus célèbre dans l’œuvre de Galilée. Lorsque la physique mathématique eut acquis droit de cité, elle s’opposa à ce que l’on considérait communément au XVIè siècle et au début du XVIIè siècle comme la philosophie d’inspiration aristotélicienne que saint Thomas avait édifiée à la lumière de ses convictions religieuses. Sans doute cette philosophie avait-elle été déjà passablement malmenée par le nominalisme ; mais la science galiléenne, en la personne de ses principaux promoteurs, allait lui porter des coups encore plus durs. L’hostilité violente, qui devait ainsi éclater entre la philosophie et la science nouvelle était inévitable et commandée par les principes même dont s’inspiraient l’une et l’autre doctrine. Il s’agissait de malentendus qu’on aurait pu dissiper. Finalement il s’est agi d’une regrettable incompréhension réciproque qu’aurait dû écarter un plus grand effort de lucidité.

La physique galiléenne n’était, après tout, qu’une science et une méthode nouvelle ; si elle s’était cantonnée dans son propre domaine, elle n’aurait eu aucune occasion de heurter la philosophie, à condition, bien entendu, que celle-ci évitât, pour sa part, d’empiéter sur un terrain qui ne lui appartenait pas ; qu’elle se débarrassât de toute une série de superfétations, qui n’avaient rien à voir avec l’essence de la philosophie et qu’elle comprît qu’elle ne devait p as se substituer au patient labeur de la science expérimentale. Si de part et d’autre, on avait pris toutes les précautions, le conflit n’aurait pas éclaté. Mais alors pourquoi dans l’antiquité grecque le problème ne se posait-il pas ?

A ce séminaire interdisciplinaire “Philosophie et sciences: quel dialogue interdisciplinaire pour la recherche de la paix”, l’axe de réflexion “mathématiques et autres sciences pour une vision pacifique du monde” a rejoint nos interrogations sur Thalès de Milet. Thalès a été notre modèle parce qu’il a réussi à résoudre très tôt le conflit entre la science et la philosophie. Il s’est occupé de choses simples. Désireux de comprendre le monde où nous vivons, il s’occupe d’abord de ce qui se passe entre ciel et terre, et que les Grecs appellent les météores. C’est qu’il vit dans une ville de commerçants grecs. Il obéit dans sa recherche à des raisons d’utilité : il veut que les navires amènent au port leur cargaison et pour cela il veut savoir pourquoi tombe la pluie, ce que sont les vents, quels sont les astres sur lesquels se diriger, lesquels sont les plus mouvants et lesquels les plus fixes. Pour lui, la science n’a pas d’autre origine que la pratique.

Ensuite Thalès est aussi un physicien, trop attaché à la nature. Il pense en termes de matière. Elle est si précieuse qu’il la confond avec la vie. Le caractère rationnel et aussi le caractère universel de ses propositions font de lui le fondateur de la science, que nous définissons, à la suite de Bonnard André comme « un ensemble de propositions liées entre elles par des liens logiques et qui constituent des lois valables en tout temps[1]. »

La journée philosophique mondiale célébrée par l’UNESCO chaque année, le 15 Novembre, coïncide avec la journée nationale de la Paix. Cette paix que personne ne connaît véritablement aujourd’hui, n’est pas une simple pause dans un conflit armé. Cette paix qui est devenue fragile devant l’aggravation permanente de la situation catastrophique de la famine dans le monde, devant le sous-développement structurel des pays du tiers-monde et leur misère sociale indescriptible (conflit Nord-Sud), devant l’accumulation d’armes à haute puissance destructrice et la course générale aux armements (conflit Ouest-Est).[2] La première difficulté à saisir la paix hors de toute référence à la guerre est liée à l’étymologie même du mot « paix ».

Le latin pax vient de pangere, fixer, enfoncer, planter, river, établir solidement et s’engager à, promettre, conclure un pacte. La première détermination philologique de la paix est sa durée. Le concept de paix contient analytiquement une exigence de stabilité. La véritable paix est perpétuelle comme le temps qui la supporte, voire éternelle, au-dessus du temps. Le sens grec, ειρηνη insiste particulièrement sur le sens moral : la paix comme calme de l’âme et de l’esprit. Dans cette étymologie grecque, la paix signifie s’engager, tenir parole (de là l’irénisme, doctrine qui privilégie la paix comme valeur suprême). La paix est un état durable institué volontairement par différentes personnes au moyen d’un contrat éthico-juridique.

Deuxièmement la paix n’est pas seulement un répit de fait entre deux guerres, mais un état de droit moralement fondé. Elle n’est pas un état naturel mais institué par la volonté. Elle nous engage dans un projet et repose sur un contrat. Troisièmement la paix est une modalité d’être partagée et conclue, elle présuppose ou instaure une communauté d’action réciproque entre les hommes. On ne peut faire la paix qu’avec autre que soi. La paix avec soi-même exige toujours un dédoublement minimal du sujet de la pacification. Etre en paix avec soi, c’est réconcilier les tendances divergentes du Moi. Il n’y a pas de paix dans une absolue identité ou unité. La paix est plus union, unification qu’unité donnée. Elle suppose un minimum de différence. Cette pluralité différenciée des partenaires de paix est communion, accord, harmonie.

Ce 15 novembre est aussi la date où la communauté chrétienne célèbre St Albert qui a su mériter le nom de grand pour avoir su concilier sagesse humaine et foi divine. A l’école d’un tel maître, à travers nos progrès dans les sciences, nous voulons mieux contribuer à la recherche de la paix. Ainsi notre communication à ce colloque portera sur Thalès, précisément sur la contribution de ce philosophe-physicien à la recherche de la paix. Il nous faudra, dans un premier temps, établir ce qui fait la spécificité de Thalès comme philosophe. Puis nous verrons l’unité de sa pensée dans la jonction qu’il fait entre la philosophie et les sciences, dans un second moment. Enfin, dans un troisième moment nous montrerons comment cette saine alliance de la philosophie et des sciences en Thalès, a œuvré à la paix dans sa cité.

1 LA SPECIFICITE DE THALES COMME PHILOSOPHE

Dans le sens le plus général du mot, le substratum « philosophie » consiste en la prétention de connaître et d’enseigner la vérité sur les choses. En ce sens, dire que Thalès est philosophe, signifie qu’il veut savoir ce qu’est tout être en réalité et en vérité. Sa tâche essentielle est de pénétrer à travers la complexité des choses auxquelles il croit sans les avoir vues pour découvrir derrière elles la réalité. Or, pour Thalès, cette notion de réalité est l’eau. C’est ce qui a fait dire à Nietzsche que dans son opuscule La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque ceci : « La philosophie grecque semble commencer par cette idée absurde, que l’eau serait l’origine et le sein maternel de toute chose. »[3] Il nous invite, par conséquent, à nous arrêter à cet axiome pour trois raisons.

La première raison est que « c’est un axiome qui traite de l’origine des choses[4]. » La seconde, parce qu’ « il en parle sans image et sans fable[5]. » Enfin, la troisième qui nous intéresse par-dessus tout semble que cet axiome « contient, bien qu’à l’état de chrysalide, cette idée que <<tout est un>>[6]. »

La troisième raison fait de Thalès, aux dires de Nietzsche, un philosophe, bien qu’il soit, en même temps, un savant naturaliste. Cependant nous ne sommes pas d’accord avec Nietzsche quand il établit une séparation entre la science et la philosophie. Bien sûr, avec lui, nous sommes d’accord pour soutenir que la science sépare du commun des hommes religieux et superstitieux. Mais chez lui, la philosophie ne se sépare pas de la science, mais la dépasse. Thalès, ajoute-t-il, « en exposant cette hypothèse de l’unité de l’univers fondée sur la présence de l’eau, (a) dépassé le niveau très bas des théories physiques de son temps[7]. » Il l’a franchi d’un bond. Nous verrons dans la deuxième partie de notre texte, que ces observations scientifiques que Nietzsche relève, ne sont pas aussi « médiocres, incohérentes et tout empiriques[8]. » Bien sûr que Nietzsche privilégie la philosophie comme science quand il utilise l’expression « axiome philosophique » qui se résume ainsi « tout est un[9]. »

En Thalès, pense Nietzsche, la philosophie s’est arrachée au réel empirique, de l’attrait magique et des obstacles de l’expérience. La pensée philosophique indémontrable a, chez Thalès, une valeur, une force propulsive et l’espérance d’une fécondité future. En disant que ce n’est pas l’homme mais l’eau qui est le principe de toute chose, Thalès commence à croire à la nature, dans la mesure où il croit à l’eau. Mais il est aussi un mathématicien et un astronome, et en tant que scientifique, nous pensons qu’il a pu parvenir à la pure abstraction que tout est un.

2. UNITE DE LA PENSEE DE THALES DANS LA JONCTION PHILOSOPHIE-SCIENCES

Thalès est considéré comme le Père de la Géométrie ou encore comme le père de la pensée scientifique, l’initiateur dont les vues géniales orienteront les esprits vers un ordre de recherches absolument nouveau. Il est un homme de science en ce sens, qu’il a été, aux dires de Robert Baccou, dans (l’) histoire de la science grecque de Thalès à Socrate « le premier à poser correctement le problème de cette (discipline), à concevoir la possibilité d’une connaissance du monde essentiellement fondée sur la raison, à définir la nécessité de ramener la multiplicité des phénomènes à l’unité structurale d’un principe[10]. » Pour la commodité de cet exposé, nous suivrons la contribution de cet auteur[11] sous trois aspects principaux : la physique, l’astronomie et les mathématiques. Ces trois sciences, pour notre commentateur, sont loin d’être distinctes et ont pour trait d’union, cette forme générale de la spéculation qu’il appelle la philosophie.

Thalès, faut-il le rappeler, a choisi l’eau comme le principe des choses. Quoiqu’il ne nous reste aucun fragment authentique de lui, ce philosophe-physicien a employé un autre terme que « principe » pour désigner l’eau, peut-être le mot « nature », pris dans le sens assez vague de matière primitive. A l’origine, poursuit Robert Baccou, « on n’établit pas une distinction bien nette entre le principe et l’élément, qui paraissent se confondre du fait que l’on attribue au second un dynamisme interne qui l’apparente au premier[12]. » En d’autres termes, l’eau est, pour Thalès, de quelque manière qu’il l’ait désignée, à la fois, « l’élément et le principe[13] », comme diront les physiciens postérieurs.

Mais, sur quelles raisons se fonde cette hypothèse hardie qui affirme l’unité de la matière et définit sa forme la plus simple ? Peut-être a-t-elle un vague fondement mythique, quand il rappelle à propos de Thalès les vers suivants d’Homère : « L’Océan, genèse des dieux et la Mère Thétys » et « L’Océan qui est la genèse de tous les êtres[14]. » Mais qu’elle ait été ou non inspiré par la légende, il est certain que le Milésien lui confère une espèce de justification rationnelle.

En effet, tout semble vivre par l’eau : le monde végétal, le monde aquatique, le monde animal lui-même, où, dans toutes les espèces la semence est liquide, et la nourriture élaborée sous forme de suc. L’humidité entretient partout la vie, car le dessèchement paraît le signe de la mort. De la sorte, l’eau identifiée avec l’élément fluide, par excellence, est comme le véhicule de tout ce qui est nécessaire à la vie, et, par une généralisation forcée pour nous, mais naturelle chez un esprit qui fait l’apprentissage de la pensée logique, le principe de la vie elle-même, la nature que l’on retrouve partout en œuvre. D’ailleurs il n’est pas jusqu’aux choses inanimées qui ne puissent s’expliquer par les transformations, les métamorphoses, de l’eau primitive. L’eau en s’évaporant produit l’air qui nourrit le feu. Or, n’est-il pas séduisant de considérer ce dernier comme une sorte de raréfaction plus poussée de l’air issu de l’eau ? Et si, au contraire, comme envisage Baccou[15], les corps solides, dont la terre nous fournit le type, ne sera-t-il pas possible d’y voir une forme contractée de la nature originelle ? Assurément, l’hypothèse apparaît ici moins fondée, car si Thalès pouvait confondre l’air avec la vapeur d’eau, il n’ignorait pas que l’eau solidifiée produit la glace. Donc, outre la contraction produite par le froid, Thalès en envisageait une autre, due à d’autres causes. Et il appuyait cette conjecture sur une observation, fort mal interprétée si l’on veut, mais qui dénote tout de même un certain souci de vérité expérimentale : la formation des terrains alluvionnaires à la bouche des fleuves. Ainsi chez le Milésien nous pouvons saisir l’un des caractères essentiels de la pensée grecque : l’effort d’unification du réel en un système cohérent, qui a rendu possible la constitution d’une science rationnelle.

Nous n’allons pas nous étendre davantage sur la cosmologie de Thalès ; tout en rappelant que l’eau a une importance capitale dans sa pensée[16]. L’œuvre de Thalès en mathématiques, mais surtout en géométrie, est aussi impressionnante[17]. Pour mémoire, retenons les théorèmes suivants : premièrement, le cercle est partagé en deux parties égales par son diamètre. Deuxièmement, les angles à la base d’un triangle isocèle sont égaux. Troisièmement, si deux lignes droites se coupent entre elles, les angles opposés qu’elles forment sont égaux. Quatrièmement, l’angle inscrit dans une demi-circonférence est un angle droit. Enfin, un triangle se trouve déterminé si sa base et les angles relatifs à cette base sont donnés[18]. » Ce qui nous frappe dans tous ces théorèmes, c’est l’égalité des rapports, mais aussi les proportions qui tournent autour de l’idée d’harmonie. La première proposition est assurément fondée sur l’intuition, et il est certain que Thalès ne s’est point embarrassé pour la démonter. Elle devait être pour lui une espèce d’axiome. Thalès n’a pas non plus démontré les autres propositions. Des propositions 2 et 3 il a tiré une première notion du lieu géométrique, en remarquant que tous les triangles rectangles construits sur une ligne déterminée comme hypoténuse ont le sommet de l’angle droit sur une circonférence. L’hypothèse est assez hardie, mais non pas dénuée de tout fondement.

Venons-en à présent au célèbre théorème des proportions qui a immortalisé le nom du géomètre Milésien : Si l’on mène une droite à l’un des côtés d’un triangle, cette droite coupera proportionnellement les côtés de ce triangle. Dans les triangles équiangles, les côtés autour des angles égaux sont homologues.

Les cinq ou six propositions attribuées à Thalès, il est facile de s’en rendre compte, en supposent bien d’autres. Mais ce n’est pas leur nombre, quel qu’il puisse être, qui importe le plus à nos yeux, c’est une conception toute nouvelle, abstraite et purement rationnelle de la science géométrique. Avec Thalès, cette science se fonde sur son vrai plan, se pose hardiment comme indépendante des données empiriques, comme libre et désintéressée à l’égard de l’utilité directe. Et déjà elle découvre quelques-uns de ses procédés essentiels. Sans doute elle fait encore appel, pour une large part, à l’intuition. En d’autres termes, elle n’analyse pas toujours rigoureusement des données qui lui semblent immédiates.

En résumé, on peut dire que Thalès est le véritable créateur de la géométrie, car avec lui cette étude prend les caractères qui la marqueront désormais. Il est aussi le vrai fondateur de la science cosmologique. S’est-on jamais demandé quel effort d’abstraction suppose la conception d’un élément unique, dont les transformations successives ou simultanées sont censées rendre compte de ces phénomènes ? L’ harmonie trouvée, par exemle, dans la géométrie, Thalès l’a mise au service de la paix dans sa cité.

3. LA PHILOSOPHIE ET LES SCIENCES AU SERVICE DE LA PAIX

L’activité scientifique et philosophique de Thalès a été mise très tôt au service de la paix. Thalès apparaît dans les récits d’Hérodote quelque temps avant la chute de l’empire lydien. Selon Hérodote, dont le témoignage nous est rapporté par Kirk, Raven et Schofield[19], avant que l’Ionie soit détruite, Thalès de Milet, d’ascendance phénicienne, avait émis une opinion utile en conseillant aux Ioniens d’instituer un conseil délibératif unique : ce conseil devrait siéger à Téos, car, disait-il, cette ville était au centre de l’Ionie ; les autres cités continueraient à être habitées, mais seraient considérées comme des dèmes.

Un autre texte d’Hérodote, cité par nos trois experts[20], nous apprend que lorsqu’il eut atteint les rives du fleuve Halys, Crésus, fit passer son armée sur les ponts qui existaient, mais d’après les récits en cours chez les Grecs, c’est Thalès le Milésien qui rendit possible le passage de l’armée de Crésus. D’après les rumeurs, Crésus aurait été emprunté pour faire passer la rivière à son armée, car ces ponts n’existaient pas encore à l’époque ; Thalès qui se trouvait au sein de l’armée, aurait dévié le cours de la rivière qui coulait à gauche de l’armée, et fait en sorte qu’elle coule aussi à droite. Il s’y prit de cette manière : en amont de l’armée, il fit creuser un profond canal auquel il donna la forme d’un croissant, de sorte que l’eau coule autour du site où l’armée campait ; de cette façon, la rivière se trouvait détournée de son lit par le canal et après avoir contourné le camp, retrouvait son ancien lit. Le résultat fut, d’après Hérodote, qu’une fois la rivière divisée en deux, chacun des bras pouvait être passé à gué. Quelle belle harmonie géométrique que cette rivière divisée en forme de croissant. Ainsi, comme l’affirment Diogène Laërce[21] et Hérodote, Thalès fut un meilleur conseiller dans les affaires publiques. Hérodote quant à lui, fournit un témoignage capital sur l’activité de Thalès, en tant que homme de paix qui met sa science au service de la paix. C’est cette action politique qui a valu au fondateur de l’école milésienne sa place incontestée parmi les Sept Sages, et c’est surtout par ce qu’il fut au nombre de ces grands hommes que s’attachèrent à son nom les nombreuses anecdotes dont on lui fit honneur dans la suite. Il fut le seul qui avait poussé la science par la théorie au-delà de l’utilité pratique : c’est à leurs mérites d’ordre politique que les autres sages durent leur réputation.

Cette faculté d’adaptation intellectuelle semble être une caractéristique des penseurs milésiens qu’on serait tenter de considérer trop exclusivement comme des théoriciens de la physique. Thalès plus particulièrement est devenu le symbole de l’ingéniosité dans les sciences mathématiques et géométriques.

CONCLUSION

L’unitotalité du savoir se retrouve en Thalès dans sa philosophie, ses sciences et sa politique. La paix n’est-ce pas aussi tout cela ? D’abord, la paix autour de l’idée d’unité, l’unité des sciences, mais aussi l’unité des sciences avec la philosophie. Thalès a fondé sa philosophie un principe qui est l’eau. L’eau aussi unit car il s’associe facilement à tous les autres éléments. La paix est cette chose qui unit comme l’eau. Dans nos cultures africaines, l’eau sert aussi à unir les cœurs, à bénir et à sanctifier. La paix c’est aussi l’harmonie, chez Thalès, la belle ordonnance, la composition parfaite[22]. Cette harmonie Thalès nous la traduit dans sa géométrie et son arithmétique par l’égalité des proportions, l’égalité des angles. Ce Milésien pratique aussi l’art du goût, de la dégustation et est un homme au goût subtil[23]. Il sait aussi que c’est l’homme qui tue, non l’épée ou le canon[24]. Tout en nous invitant à rechercher les éléments de l’agressivité plus que des instruments qu’elle emploie, Thalès cherche à faire résonner en nous, cette symphonie universelle qu’est la paix. Diogène Laërce affirme qu’il est mort en regardant un concours gymnique, de soif ou de faiblesse, alors qu’il était déjà âgé. Et sur sa tombe fut inscrit « ce tombeau est certes étroit, mais considère qu’elle atteint les dimensions du ciel. La gloire de Thalès, l’homme très sensé[25]. »

BIBLIOGRAPHIE

BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951)

BONNARD (André).- Civilisation grecque (Paris, éditions Albert Mermoud Vilo 1980)

COSTE(René).- « Paix » in Dictionnaire de Spiritualité (Paris, Beauchesne 1984)

GIGON(Olof).- Les grands problèmes de la philosophie antique (Paris, Payot, 1961)

HOMERE.- Iliade XIV, 201 et Iliade XIV, 246, texte établi et traduit par Paul Mazon avec la collaboration de Pierre Chantraine et autres, (Paris, Belles Lettres 1938)

KIRK (G.S.-RAVEN(J.E)-SCHOFIED(M.).- Les philosophes présocratiques. Une histoire critique avec un choix de textes, (Paris, Cerf 1995)

LAERCE(Diogène).- Vies et doctrines des philosophes illustres (Paris, Livre de Poche, librairie générale française 1999).

METTNER(Mathias).- « Paix » in Dictionnaire de Théologie (Paris, Cerf 1988)

NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938)


[1] BONNARD (André).- Civilisation grecque (Paris, éditions Albert Mermoud Vilo 1980), p. 303.

[2] METTNER(Mathias).- « Paix » in Dictionnaire de Théologie (Paris, Cerf 1988), p. 480.

[3] NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938), p. 34.

[4] NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938), p. 35.

[5] NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938), p. 35.

[6] NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938), p. 35.

[7] NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938), p. 35.

[8] NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938), p. 35.

[9] NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938), p. 35.

[10] BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951), p. 44.

[11] BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951), p. 49.

[12] BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951), p. 50.

[13] BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951), p. 50.

[14] HOMERE.- Iliade XIV,201 et Iliade XIV, 246, texte établi et traduit par Paul Mazon avec la collaboration de Pierre Chantraine et autres, (Paris, Belles Lettres 1938)

[15] BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951), p. 51.

[16] BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951), p. 54.

[17] BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951), p. 56-57.

[18] BACCOU(Robert).- Histoire de la science grecque de Thalès à Socrate (Paris, Aubier 1951), p. 56.

[19] KIRK(G.S.-RAVEN(J.E)-SCHOFIED(M.).- Les philosophes présocratiques. Une histoire critique avec un choix de textes, (Paris, Cerf 1995), p. 80.

[20] KIRK(G.S.-RAVEN(J.E)-SCHOFIED(M.).- Les philosophes présocratiques. Une histoire critique avec un choix de textes, (Paris, Cerf 1995), p. 81.

[21] LAERCE(Diogène).- Vies et doctrines des philosophes illustres (Paris, Livre de Poche, librairie générale française 1999), p. 82.

[22] GIGON(Olof).- Les grands problèmes de la philosophie antique (Paris, Payot, 1961), p. 177.

[23] NIETZSCHE(Friedrich).- La naissance de la philosophie à l’époque de la tragédie grecque (Paris, Gallimard 1938), p. 38.

[24] COSTE(René).- « Paix » in Dictionnaire de Spiritualité (Paris, Beauchesne 1984), p. 47

[25] LAERCE(Diogène).- Vies et doctrines des philosophes illustres (Paris, Livre de Poche, librairie générale française 1999), p. 91.

mercredi 3 décembre 2008

CEREMONIE D’ACCUEIL ET D’OUVERTURE DU COLLOQUE INTERNATIONAL DE PHILOSOPHIE

Grande salle de conférenceCérémonie d'ouverture du colloque  Groupe artistique de l'université d'Abomey-Calavi

ALLOCUTION DE MGR MARCEL AGBOTON, ARCHEVEQUE DE COTONOU

La cérémonie d’accueil et d’ouverture s’est déroulé ce lundi 27 Octobre 2008 à 15H dans la grande salle de conférence, du centre d’accueil missionnaire, le Chant d’oiseaux des artisans de Justice et paix de Cotonou, en présence d’un parterre de personnalités du monde universitaire, du monde de la culture, de religieuses et de religieuses, des prêtres, de laïcs engagés et le groupe théâtral de l’Université d’ABOMEY-CALAVI. Placé sous le haut patronage de son Excellence Monseigneur Marcel Léon Honorat AGBOTON, Archevêque de Cotonou, l’illustre prélat a salué l’auguste assemblée par des mots choisis et pleins de profondeur. Visiblement ému, l’évêque n’a pas manqué de dire toute sa satisfaction pour le choix de Cotonou et sa structure ecclésiale. Puis il a souligné le sens de l’ouverture à l’autre des organisateurs, par la présence remarquée de l’Institut Catholique de Paris et l’Université Catholique d’Angers.

Commentant le thème de ce Colloque, son Excellence a invité les participants et les artisans du concept à exercer les lumières de la réflexion à se placer sous la protection du Dieu Tout-Puissant. Pour lui, la pensée et la parole trouvent leur efficacité dans le Christ en qui nous avons la vie, le mouvement et l’Etre. C’est de l’homme qu’il s’agira, tout au long de ce colloque. En cela il sera le nœud centrifuge de la réflexion. Citant alors un passage significatif de l’argumentaire de ce colloque, Mgr AGBOTON a rappelé le contexte global du monde cassé, emprunté à Ricœur et Gabriel Marcel. Il a souligné également les rapports complexes entre les peuples à l’époque postcoloniale et invité les chercheurs à s’engager résolument dans ce vaste mouvement culturel d’aujourd’hui qui essaie une synthèse pas toujours réussie entre l’identité et la différence, la centralité et la marginalité, la diversité et la mondialisation.

Abordant la question des défis contemporains de la démocratie, Mgr AGBOTON a dit que tout développement de l’Africain doit tenir compte de sa culture et son but, c’est de rendre l’homme maître et inventeur de son présent et de son avenir. En bon kantien, il a martelé que c’est son impératif catégorique. Aussi a-t-il invité les participants au colloque a faire preuve de discernement, d’analyse, de réflexion et de recul pour évaluer, faire des propositions afin de modifier leurs rapports à eux-mêmes, à leurs cultures et à leurs façons de concevoir le développement.

La problématique du développement, a-t-il ajouté, nous prend aux entrailles. Nous avons besoin de l’enraciner dans notre nature humaine. Cet appel s’adresse à nous tous, a-t-il déclaré. Citant René Coste, il a souligné que les Européens aussi doivent se considérer comme en voie de développement et non comme des peuples supérieurs.

Enfin Mgr AGBOTON a rappelé tout le sérieux qu’il accordait à ce colloque et nous a invités au travail, non pas au bricolage intellectuel et proposé une réflexion qui soit transversale. Ce processus de réflexion, commencé, doit devenir collégial. Il n’a pas manqué de le situer dans le contexte de la mondialisation et de la crise financière généralisée qui montre encore les limites de notre système économique mondiale qui doit revenir à l’homme comme première richesse. La gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. C’est sur ces notes d’optimisme qu’il a déclaré ouvert ce colloque international de philosophie, à Cotonou sur la terre hospitalière du Bénin.

Groupe artistique Groupe artistique Danse de Kètè Cotonou

mardi 2 décembre 2008

LA JUSTICE SELON ANAXIMANDRE

 

Par Dr AKE Patrice Jean, Maître-assistant de Philosophie à l’UFR-SHS de l’Université de Cocody (Abidjan)

patrice.ake@ucocody.ci

RESUME

La justice, selon Anaximandre a un lien avec la relation des opposés à l’Indéfini. Théophraste lui attribue ainsi le sens de séparer en détachant, séparation ayant trait aux mondes innombrables et non opposés, même si le concept de l’opposition des substances se trouve chez Héraclite, Parménide et les Pythagoriciens. Ces substances opposées en cosmologie étaient des substances chaudes et froides : flammes ou feu – air ou humidité. Si chez Héraclite en revanche, la justice est divine, chez Anaximandre, selon un schème emprunté aux institutions judiciaires qui règlent dans les cités le jeu des forces des familles, tribus ou partis affrontés, elle projette au ciel et agrandit à la dimension cosmique le jeu des forces, réglé par un principe d’ordre portant les noms associés du Temps et de la Justice.

MOTS-CLES

Justice, ordre, opposés, guerre, substances, l’Indéfini, cosmologie, temps.

ABSTRACT

The justice, according to Anaximander has a tie with the relation of the contrary to the Indefinite. The encroachments of one element on another are poetically represented as instances of injustice, the warm element committing an injustice in summer and the cold in winter. The determinate elements make reparation for their injustice by being absorbed again into the Indeterminate Boundless. This is an instance of the extension of the conception of law from human life to the universe at large. So according to Heraclites, on the other hand, the justice is divine, meanwhile, according to a design borrowed from the judicial institutions that adjust in the cities the game of the strengths of the families, tribes or gone faced, Anaximander projects to the sky and enlarges to the cosmic dimension the game of strengths, controlled by a principle of order carrying the names associated of the Time and the Justice.

KEY WORDS

Justice, order, opposite, war, substances, the indefinite, cosmology, time.

INTRODUCTION

L’objet de cet article est d’effectuer un dépassement de la métaphysique pour arriver à une autre idée du droit. Nous suivrons en cela, le philosophe allemand Martin Heidegger comme l’auteur qui a imputé à la métaphysique moderne de la subjectivité, le plus extrême oubli de l’Etre. En effet, il a résumé « la réalité du réel (l’être de tout étant) à sa représentabilité et à sa manipulabilité par le sujet comme raison et comme volonté. »[1] Chez lui, « la métaphysique de la subjectivité efface l’altérité du monde et gomme cette dimension d’irréductible différence inscrite au cœur du réel, - savoir : le fait même qu’il y a des choses, et non pas rien, le fait même de l’Etre[2]. » Le geste de ce penseur averti des périls auxquels expose, à travers la technicisation du monde, un tel oubli de l’Etre consistera à tenter le pas de recul, qui, par le dépassement ou l’évitement de la métaphysique, préparera une libération à l’égard de la lutte planétaire pour la domination technique de l’Etant. A la faveur d’une telle libération, l’humanité devrait se réapproprier d’autres possibles que ceux que la modernité a exploités. Parce que toute la démarche entreprise a mis en relation oubli de l’Etre et phénomène totalitaire, la remémoration de l’Etre devrait permettre d’ébaucher une réflexion sur les perspectives politiques ainsi ménagées, - moins, sans doute, au sens où il s’agirait de définir un programme d’action immédiate que dans la mesure où la sphère politique est, proprement, celle de la « polis » comme le site privilégié de notre rapport au monde.[3] Et de fait, nous suivrons Heidegger, à travers sa pensée qui renouvelle la vision de la « polis ». Et les indications qu’il nous donne, convergent vers une définition d’une autre idée du droit, s’alimentant davantage aux représentations de la Grèce antique, celle d’Anaximandre, qu’à la conception moderne du droit comme valeur posée par la subjectivité et pour elle. Ainsi la notion de justice est-elle, de ce point de vue, l’objet d’une analyse soutenue, qui engage une réflexion sur ce qu’il pourrait en être du droit hors de l’horizon de l’humanisme et de la subjectivité. Mais avant d’aller plus loin dans notre propos, il convient que nous nous entendions sur le sens du mot justice.

Selon le Vocabulaire juridique de Gérard Cornu[4], le mot justice vient du latin justicia, et désigne dans un premier sens, ce qui idéalement juste, conforme aux exigences de l’équité et de la raison ; en ce sens, la justice est tout à la fois un sentiment, une vertu, un idéal, un bienfait, une valeur. Dans un deuxième sens, la justice désigne ce qui est positivement juste ; ce à quoi chacun peut légitimement prétendre (en vertu du Droit) ; en ce sens, la justice consiste à rendre à chacun le sien (suum cuique tribuere) et demander justice signifie réclamer son dû, son droit. De son troisième sens, la justice est la fonction juridictionnelle. Ici la justice s’oppose à la législation et à l’administration. Enfin, par extension, la justice est le service public de la justice (par exemple, le Ministère de la Justice) ou l'ensemble des tribunaux et de l'organisation judiciaire.

Javier Hervada, dans son excellente Introduction critique au droit naturel introduit la vertu de justice comme « la vertu de donner à chacun ce qui lui appartient ; l’habitus de la volonté de donner à chacun son droit, c’est-à-dire, ce qui lui appartient[5]. » Cette définition est suivie d’une brillante analyse de tous les termes de la définition qu’il serait difficile de reprendre dans le cadre de cet article. Néanmoins nous restons dans cette analyse au niveau de la rationalité. Peut-être qu’il nous faudrait prospecter un peu du côté des langues africaines pour sortir un peu de cette rationalité occidentale ?

Dans son mémoire sur les Croyances et coutumes Adioukrous, le Pasteur Lasm Laurent mentionne deux étymologies du mot adioukrou que M. Harris Memel Fôté invite à prendre avec beaucoup de prudence : « (Le mot adioukrou définit le profil moral de l’ethnie et se dit Odêm Kru. L’Adioukrou) est celui qui n’accepte pas l’injustice, qui a la passion de la justice, qui ne se laisse pas plier facilement[6]. » Il y a un autre mot Adjêm-Kru qui est à l’origine du mot adioukrou. « Adjem-êgŋ-Kru (est celui) qui ne se plaint pas, qui ne cherche pas des faveurs, ou qui ne flatte pas les autres dans un but intéressé, qui croit se suffire. Cela expliquerait pourquoi le plus malheureux Adioukrou, maladif, aveugle, pauvre, hait la mendicité et se contente du ravitaillement de ses proches parents[7]. » D’autres chercheurs[8] pensent à d’autres expressions dans la langue adioukrou. Par exemple, celui qui a la passion de la justice et qui ne se laisse pas plier facilement se dit : « Egn’ékidj ign’ » littéralement « quelqu’un qui est un homme », car « yow » « femme » est l’insulte la plus grave en milieu adioukrou pour un homme. En plus chez les Adioukrous, a notion de justice qui consiste à accuser, à juger et à sanctionner, touche principalement les domaines de la santé, de la sécurité et de l’unité surtout. Aussi pour désigner « celui qui n’accepte pas l’injustice » on dit « Egn’éké, egnanmin low yadŋ ‘ebn » ou encore « Egn’éké egnamin sifn ». En effet, il ressort de ce qui précède que la quête de la vérité et la négation de la haine sont deux facteurs prépondérants dans la recherche de la justice. C’est cette recherche d’une autre rationalité pour la définition de la justice, qui nous a replongés dans l’anthropologie africaine, dans Martin Heidegger et enfin dans Anaximandre.

Anaximandre nous donne une autre idée de la justice différente de celle des Modernes. Son Fragment qui nous concerne est le suivant : « …mais qu’il est une autre nature apeiron, dans laquelle trouvent leur origine tous les cieux ainsi que les mondes qu’ils contiennent. Et la source du devenir des choses existantes est celle-là même en qui elles trouvent leur anéantissement selon la nécessité ; car elles s’infligent mutuellement pénalité et châtiment à cause de leurs injustices, selon une répartition déterminée par le Temps, comme il le décrit en termes bien poétiques[9]. »

Dans sa lecture habituelle, le fragment évoque une multiplicité (d’étants) et pose que, soumis à la génération et à la corruption, selon la nécessité, ces multiples doivent réciproquement se rendre la justice (s’infliger mutuellement pénalité) et se faire expier (châtiment) (à cause de leur injustice) selon une répartition déterminée par le Temps. Tout l’effort de Heidegger, reprenant textuellement le fragment à la suite de Simplicius, est de montrer que, le traduisant ainsi, nous plaquons sur Anaximandre, des concepts de justice et d’injustice qui n’ont rien à voir avec l’Antiquité grecque. Nous lisons en effet la phrase comme consistant à projeter sur la nature « des notions morales et juridiques » (pénalité, châtiment, injustices) et nous y trouvons alors l’indice d’une philosophie de la nature débutante, encore incapable de se débarrasser des projections anthropomorphiques.

Or pour Anaximandre par exemple, le principe n’est pas tel ou tel élément, dont la particularité risque de faire obstacle à sa transformation dans les autres, mais quelque chose de plus fondamental, l’infini, dont il expliquait ainsi le rôle : il n’y a rien qui soit principe par rapport à l’infini, mais l’infini est principe pour tout le reste, qu’il « enveloppe et gouverne ». Ce « gouvernement » s’exerce dans le sens de la « justice », c’est-à-dire de l’équilibre (ou « isonomie ») entre éléments antagonistes qui, soumis à une loi commune, tournent à l’avantage du Tout ce qui eût été sans cela affrontement destructeur. Avec Anaximandre sont déjà constitués les traits qui demeurent ceux de la vision du monde grecque : idée que le monde est un Tout à la fois un et multiple, où la pluralité des éléments et des puissances est dominée et compensée par une loi abstraite d’équilibre et d’harmonie ; analogie constamment affirmée entre cette loi d’harmonie et la justice qui doit régir les rapports humains ; conception purement rationnelle de cette justice, à laquelle les philosophes classiques donneront une expression mathématique : la justice est l’égalité dans la différence, autrement dit l’égalité de rapports ou proportion, qui consiste en ceci que chaque élément de l’ensemble se voit reconnaître tout le pouvoir, mais seulement le pouvoir que comporte son essence, c’est-à-dire sa perfection relative. Tout dérangement de cet ordre, aussi bien dans l’ordre cosmique que politique, serait retour au chaos. Mais avant d’approfondir cette conception de la justice chez Anaximandre, rappelons que ce philosophe de la nature a beaucoup emprunté à Hésiode.

1. LA JUSTICE DANS LES TRAVAUX ET LES JOURS D’HESIODE

Dans les Travaux et les jours (200-285)[10], Hésiode adresse une admonestation, tour à tour aux rois et à Persès. Le thème de cette admonestation est la justice. Persès doit écouter la justice et ne pas laisser grandir en lui la démesure. La démesure est une chose mauvaise pour les pauvres gens. En effet, elle perd les peuples : le mythe des races l’a suffisamment établi. Or, c’est la démesure qui règne en ce moment à Thespies. Si les rois l’ignorent, un apologue le leur apprendra : leur langage est celui de l’oiseau de proie, qui enlève un rossignol et proclame le droit du plus fort. Hésiode, toutefois, n’ajoute à la fable aucun commentaire, elle est assez claire : aux rois d’entendre ce qu’il a voulu dire. Il se tourne vers son frère, et c’est à lui qu’il va donner une leçon qui est faite moins pour lui que pour les rois : « Mais toi, Persès, n’imite pas l’épervier, écoute la justice. La démesure te perdra sans peine, toi qui n’est qu’un pauvre homme, puisque les plus puissants, les rois eux-mêmes, finissent par succomber sous le poids de leurs fautes. L’heure de l’injustice vient toujours, et le châtiment se charge d’ouvrir enfin les yeux des hommes aveuglés d’orgueil. Deux divinités y veillent : Serment s’élance sur les traces du juge qui avait juré d’être juste ; et Justice, chassée de sa cité par des rois pervers, répand sa plainte indignée et ses pleurs sur les hommes qui l’ont bannie. » L’idée reste incomplète ; elle ne sera achevée que plus loin[11]. Mais la suite se devine : le châtiment est inévitable, car ni la poursuite de Serment, ni la plainte de Justice ne peuvent être vaines. Et, en deux développements parallèles, le poète oppose alors la prospérité des peuples justes aux malheurs de ceux qui ont banni de chez eux la Justice. Le ton peu à peu s’élève : le poète parle maintenant en interprète des dieux, et soudain, il s’adresse aux rois, bien en face et hardiment : qu’ils prennent garde ! Il en est temps ; la vengeance divine est proche ; Zeus va frapper les mauvais juges ; Hésiode a foi en lui[12].

Cette page où Hésiode montre sa foi en Zeus, est manifestement le couplet le plus important, en tout cas le plus vigoureux de cette partie du poème. Désormais le poète ne s’adressera plus aux rois ; il ne fera plus d’allusion ni à eux, ni à leurs senteurs. Il revient définitivement à son frère et lui rappelle une fois encore le prix de la justice. Il avait débuté[13] en comparant les rois à des oiseaux de proie : il termine par une idée analogue, en déclarant que l’injustice est le lot des bêtes[14] ; tandis que l’équité est celui des hommes. Ainsi l’a voulu Zeus, et sa vengeance poursuit quiconque est rebelle à sa loi. Zeus lui-même est soumis à la Moire, cette puissance mystérieuse, signe que le fondement de la loi, s’il n’est pas ici anthropologique, n’est pas non plus théologique. Une certaine dimension de présence est assignée à chaque étant, fût-ce eus, ce par quoi chaque étant, en vertu d’un tel partage (La Moire), demeure rassemblé dans l’Un ‘En Panta’ qui rassemble tout, dans le destin. Cette mise au point étant faite, venons-en à notre : justice et relation des opposés à Tó απειρον (Infini Spatial)[15].

2. JUSTICE ET RELATION DES OPPOSES A τό άπειρον

Si nous revenions au fragment d’Anaximandre cité plus haut. Sans doute Simplicius tire sa citation d’une version de l’histoire de la philosophie ancienne écrite par Théophraste et plus particulièrement, de la partie traitant du principe matériel. Le fait que le dernier segment de la phrase porte un jugement sur le style d’Anaximandre démontre que ce qui précède immédiatement est une citation de première main. Nous n’entrerons pas dans le débat qui consiste à montrer quelles sont les sources de Simplicius et leur authenticité par rapport à Théophraste, nous nous en tiendrons à l’affirmation principale de ce fragment.

Le contexte montre que Théophraste considérait la citation appropriée aux vues qu’il venait d’attribuer à Anaximandre, c’est-à-dire que « tous les cieux et les mondes qui s’y trouvent » provenaient de l’Indéfini (l’apeiron). Puisqu’ils proviennent de l’Indéfini, ils vont également y retourner « par nécessité ; car ils s’infligent mutuellement pénalité et châtiment… » Théophraste se réfère ainsi à d’innombrables mondes en devenir à partir de l’Indéfini et qui s’anéantissaient dans ce même Indéfini ? Nous ne le pensons pas.

Pouvons-nous vraiment accepter que l’Indéfini divin puisse commettre une injustice envers ses propres produits, et qu’il doive procéder à une compensation ? Ceci n’est pas admissible ; mais si tel est le cas, alors Théophraste aurait mal interprété l’énoncé d’Anaximandre – quel que soit le sens qu’il donne aux « cieux » et « mondes[16]. » Depuis longtemps, il était su que les choses qui commettaient des injustices mutuelles devaient être de force égale, de nature différente mais corrélative ; et qu’il s’agissait très probablement des substances opposées qui composaient un monde différencié[17].

A propos des opposés, Aristote dans son ouvrage sur la nature, écrit ceci : « Mais d’autres disent que les opposés sont sortis de l’Un, car ces opposés s’y trouvent, comme le pensent Anaximandre et tous ceux qui disent qu’il existe l’un et le multiple, tels Empédocle et Anaxagore ; en effet, ces derniers également font sortir tout le reste du mélange[18]. » Ici Aristote était enclin à appliquer sa propre théorie des corps simples et des deux paires d’opposés fondamentaux. Il aurait ainsi dénaturé l’idée d’Anaximandre en substituant le terme « séparé en sortant de » à la place « séparé en détachant de » l’Indéfini, celui-ci devenant un mélange d’opposés. Théophraste attribue à Anaximandre le sens de : séparer en détachant, séparation ayant trait aux mondes innombrables et non aux opposés.

Il ne nous est pas permis de croire, à l’instar d’Aristote, que les opposés étaient inclus dans l’Indéfini et qu’ils en furent séparés par extraction. Encore moins pouvons-nous accepter de définit l’Indéfini comme un mélange, ce que fit peut-être Aristote. Anaximandre n’a pas défini clairement, ni même analysé l’Indéfini ; mais cela ne prouve pas qu’Anaximandre n’ait pas cru que l’Indéfini, au vu des résultats, se soit comporté un peu comme, un amalgame, c’est-à-dire soit une fusion de corps, soit un mélange obtenu par un procédé mécanique. Si les opposés proviennent directement de l’Indéfini en s’en détachant, alors l’Indéfini était envisagé inconsciemment comme une entité sans homogénéité. Car cette séparation ne peut signifier seulement l’isolement d’une partie de l’Indéfini, cette partie, devenant le monde : cette séparation implique cela et aussi qu’il survienne un certain changement dans la partie isolée. Si ce changement n’était pas l’avènement des contraires, mais bien plutôt l’avènement de quelque chose qui les génère, on pourrait en déduire que l’Indéfini était d’un genre à renfermer, par exemple, des spermes et des embryons. Mais cela ne signifie toujours pas qu’Anaximandre pensait qu’il s’agissait là d’un caractère de l’Indéfini.

Avec le Pseudo-Plutarque, nous envisageons la question de la formation effective du monde chez Anaximandre. Voici ce qu’il écrit : « Il dit que ce qui, issu de l’éternel, produit le chaud et le froid, a été séparé lors de la génération de ce monde, et que de cela, une sorte de sphère de flammes fut formée autour de l’air entourant la terre comme une écorce autour d’un arbre. Lorsque ceci fut détaché et enfermé en des cercles définis, le soleil et la lune et les étoiles furent formés. Il dit encore qu’au commencement l’homme était engendré par des créatures d’une espèce différente ; parce que les autres créatures peuvent très vite subvenir à leurs propres besoins, tandis que l’homme est le seul qui nécessite un allaitement prolongé. Pour cette raison, il n’aurait pas pu survivre si telle avait été sa condition à l’origine[19]. »

Ce passage est pratiquement notre seule source de référence sur la manière dont Théophraste retrace le détail du processus cosmogonique d’Anaximandre. Le texte des Stromateis est souvent moins exact que celui de Simplicius ou d’Hippolyte lorsqu’il s’agit de rendre la pensée de Théophraste. Mais on ne peut mettre en doute le fait que Théophraste soit à l’origine de ce passage. La citation de la comparaison avec l’écorce, qui paraît être dérivée d’Anaximandre lui-même, permet de penser que, à certains endroits du moins, le passage reproduit assez fidèlement le texte de Théophraste.

La phrase « issu de l’éternel », signifie peut-être « issu de l’Indéfini », qui, lui, était décrit en tant que jouissant de l’immortalité. « Ce qui produit, issu de l’éternel, le chaud et le froid…en fut détaché » présente encore une difficulté. (Ce qui produit) était un terme favori des aristotéliciens chez qui il conservait habituellement une certaine connotation biologique, aussi légère fut-elle. D’autre part, au cinquième siècle, (ce qui produit) n’apparaît que deux fois : chez Aristophane, qui n’emploie sous la forme de métaphore atténuée, et chez Euripide. Une utilisation technique du mot se trouve dans le texte hippocratique des Visites, où il employé dans un sens médical précis, lors de crises aiguës dans une maladie : en ce cas, le sens biologique est pratiquement perdu. Donc, il  paraît peu probable que ce mot ait été un terme utilisé par Anaximandre. Et en examinant les cas où ce mot est employé, surtout chez Plutarque, comme une métaphore vidée de ses implications biologiques, nous ne pouvons acquérir la certitude que le mot en question ici était censé représenter la génération due à un phénomène biologique, même de façon très lointaine. Il faut fortement souligner tout ceci à cause de la grande faveur dont jouit l’hypothèse de Cornford. Cet érudit a suggéré que cette étape correspond chez Anaximandre à la production de l’œuf cosmogonique des récits « orphiques ». Il ne serait pas surprenant de découvrir qu’Anaximandre a recouru à l’antique moyen mythologique de génération sexuée pour expliquer la phase la plus difficile de la formation du monde, c’est-à-dire la production d’une pluralité hétérogène à partir d’une source unique, en ce cas précis, celle de l’Indéfini. Cependant, il ne faut pas penser à un expédient aussi grossier et explicite que l’œuf : les témoignages ne donnent pas de précision en faveur d’un moyen sexuel, même pris dans un sens métaphorique. Vlastos[20] suggère tout autre chose : pour lui, (ce qui produit) représente davantage un procédé qu’une chose. Par exemple, un vortex aurait été responsable de l’apparition des opposés : en ce qui concerne la phraséologie, elle est à rapprocher de celle de Démocrite, dans le fr. 167, « un vortex s’était détaché du tout ».

Selon Aristote[21], « au commencement, la totalité de l’espace entourant la terre est humide, mais comme le soleil l’assèche, la partie qui s’évapore, disent-ils, engendre les vents et produit les mouvements du soleil et de la lune, tandis que la partie qui reste constitue la mer ; c’est pourquoi ils pensent que la mer devient vraiment plus petite à cause de l’assèchement qu’elle subit, et qu’à un certain moment, elle finira par être complètement asséchée… Cette opinion est partagée, d’après le témoignage de Théophraste, par Anaximandre et Diogène. » Il est évident que si Anaximandre avait pensé que la mer était en train de s’assécher définitivement, il aurait sérieusement compromis la crédulité du principe qu’il énonce dans le fragment parvenu jusqu’à nous : les choses sont punies pour les injustices commises ; car la terre aurait gagné du terrain sur la mer sans subir de rétorsion. En outre, bien que seule la mer soit mentionnée, comme la pluie trouve son explication dans la condensation de l’évaporation, il n’est pas insensé de déduire que l’assèchement de la mer conduirait au dessèchement de toute la terre. Se pourrait-il alors que toute notre interprétation du fragment, pris comme une assertion de stabilité cosmique soit erronée ? Le dessèchement de la terre serait-il le prélude à sa réabsorption par l’Indéfini ? Ceci est impossible : car si la terre devait être anéantie par la sécheresse, cela signifierait que l’Indéfini lui-même est de nature sèche et chaude, en totale contradiction avec sa nature. De plus, les arguments dérivés de la forme du fragment ne perdent pas leurs forces. Le principe énoncé dans le fragment pourrait cependant retenir sa valeur si la réduction de la mer ne représentait qu’une étape dans un processus cyclique : quand la mer est complètement asséchée, un « grand hiver » commence et à la fin, l’autre extrême est atteint : la terre entière est recouverte par la mer et se transforme probablement en limon.

Pour nous résumer, disons que l’apparition de quelque chose qui pouvait être qualifié d’ « opposé » fut, pour Anaximandre, une étape essentielle de la cosmogonie ; on peut donc présumer que ces opposés jouèrent un rôle important dans le monde formé.

3. LA RECTIFICATION PAR HERACLITE DES VUES D’ANAXIMANDRE

L’interaction des opposés est fondamentale chez Héraclite qui semble avoir corrigé Anaximandre de propos délibéré, en énonçant son paradoxe : « la lutte, c’est la justice[22] » La lutte – ou la guerre – est la métaphore favorite d’Héraclite pour exprimer la prédominance du changement dans le monde. Cette image se rattache évidemment à la réaction des opposés ; la plupart des changements (à l’exception de la croissance, par exemple, qui est un accroissement organique dû à l’apport d’éléments identiques au premier) pourraient être ramenés à un échange entre des opposés. De toute façon, le changement d’un extrême à l’autre semble être la possibilité la plus radicale. La « guerre » qui est à l’origine de tous les événements est « commune », mais ce terme prend ici une signification particulière (Homère avait utilisé ce terme, en lui donnant le sens d’  « impartial ». La guerre universelle est responsable du sort différent, voire opposé, que subissent les hommes – de même que de leur destinée après la mort, car la mort au combat peut transformer certains en « dieux ». La guerre est aussi appelée δίκη, « chemin tracé » (de la même racine que δείκνυμι) ou la règle habituelle de conduite. Cette appellation doit être une modification intentionnelle de l’affirmation d’Anaximandre qui pensait que les choses se rendent mutuellement justice pour compenser l’injustice de leurs débordements alternés dans le processus du changement naturel. Héraclite fait remarquer que si la lutte – c’est-à-dire l’action et la réaction entre les substances opposées – devait cesser, le vainqueur de chaque combat entre les extrêmes établirait une domination permanente, et le monde en tant que tel serait anéanti[23]. Comme il en va lors d’une bataille au cours de laquelle il y a des arrêts temporaires et localisés, des situations inextricables dues à l’équilibre des forces opposées, de même Héraclite a dû admettre qu’une stabilité temporaire pouvait être trouvée ici et là sur le champ de bataille cosmique, pour autant que cette stabilité soit provisoire et contrebalancée par une situation correspondante autre part. Ceci ne diminuerait en rien la validité accordée à la suprématie de la lutte (qui, de même que chez Anaximandre, fournit un mobile métaphorique au changement), mais permet d’appliquer ce principe au monde de notre vécu réel, dans lequel toutes choses doivent finir par changer ; mais pour l’instant, quelques-unes de ces choses se trouvent, à l’évidence, dans un état de stabilité.

Le concept de l’opposition des substances naturelles se trouve chez Héraclite, Parménide, Empédocle, Anaxagore, Alcméon, et chez les Pythagoriciens. Mais Anaximandre fut le premier à l’énoncer clairement. Sans doute fut- (il influencé par l’observation des changements de saison au cours desquels la chaleur et la sécheresse de l’été s’opposaient au froid et à la pluie de l’hiver. Anaximandre explique l’échange constant entre les substances opposées par une métaphore ayant trait aux lois adoptées dans la société des hommes ; la prédominance d’une substance aux dépens de son contraire est un acte qui relève de l’ « injustice ». Il s’ensuit une réaction qui se manifeste au travers d’une punition qui demande un retour à l’égalité, - et même plus que l’égalité, puisque la fautive est privée également d’une partie de sa substance originelle. Celle-ci passe au bénéfice de la substance victime, en sus de ce qui lui était propre ; ce processus conduit à ce que nous pouvons nommer κόρος, « surcompensation » de la première victime qui se retourne contre l’agresseur primitif pour l’attaquer à son tour. Dans l’esprit d’Anaximandre, cette métaphore anthropomorphique expliquerait la cause de la continuité et de la stabilité du changement naturel. Les principales substances opposées en cosmologie étaient les substances chaudes et froides : flammes ou feu – air ou humidité. Ces substances auxquelles sont associées la sécheresse et l’humidité représentaient également les principales substances opposées cosmologiques plus particulièrement impliquées dans les grands bouleversements du monde naturel. Héraclite[24] avait probablement distingué ces mêmes substances avant même qu’Empédocle ne leur ait donné le statut d’éléments standards absolument irréductibles. Certes, il faut être prudent en parlant des substances opposées d’Anaximandre : il est fort possible, par exemple, que les péripatéticiens aient substitué aux expressions plus concrètes d’Anaximandre leur terminologie déjà plus abstraite, du chaud et du froid et d’autres encore. Dans l’esprit d’Anaximandre, le monde aurait pu être composé de substances qui, bien que possédant individuellement des tendances contraires à celles d’autres substances, n’étaient pas nécessairement décrites formellement en termes d’opposition comme, par exemple, la dureté et la douceur, mais il aurait pu s’agir simplement du feu, du vent, du fer, de l’eau, de l’homme, de la femme et ainsi de suite.

En conclusion, chez Héraclite, la justice est divine. L’art de maintenir l’équilibre entre les éléments « en guerre », en empêchant l’un d’empiéter sur les autres, porte le nom de Δική = la Justice. Elle règne dans les affaires cosmiques comme dans les affaires humaines. Même le Soleil ne franchira pas les mesures à lui assignées par la Justice[25]. Nous aboutissons à une personnification de la justice chez Héraclite. Car, le principe de la mesure au cours des échanges naturels est dépeint également dans le fragment qui stipule que : « Soleil n’outrepassera pas sa mesure ; sinon les Erinyes, ministres de la Justice, le débusqueront[26]. » : Diké, la personnification de la normalité, et partant de la régularité, empêche le soleil d’outrepasser sa mesure – par exemple, de venir trop près de la terre ou de briller en dehors du temps imparti.

La même Justice désignerait dans d’autres formules, ou dans les mêmes, un art d’équilibrer castes ou partis dans la cité. Car « toutes les lois humaines tirent leur nourriture de la Loi unique et divine[27] ». La vie perpétuellement menacée de la cité consisterait donc à réajuster des rivalités : de là, sans doute, l’institution du tribunal. Elle pose à l’usage de l’homme des choses justes et des choses injustes : le dieu ignore cette opposition[28]. La guerre, affrontant par le fer et le feu les cités, ou les partis dans les cités, fait avec les vainqueurs des hommes, et avec les vaincus des esclaves. Elle révèle vainqueurs-vivants et vaincus comme des hommes, et comme héros-divins les morts[29]. Une éthique héroïque invite donc à vaincre ou à mourir, ou à accepter le destin de l’esclavage. Il reste vrai que « celui qui parle avec intelligence » tire sa force de la « Chose commune » à tous, comme la cité tire sa force de la loi, et même davantage[30]. Il existe donc un autre moyen de transcender la condition humaine que le passage au divin à travers la mort à la guerre, et c’est le passage au divin à travers le Logos.

4. LA JUSTICE DANS LE POEME DE PARMENIDE ET DANS SA COSMOLOGIE

Dans son Poème, Parménide cherche à se distancer du monde familier de l’expérience banale où nuit et jour alternent, une alternance gouvernée – comme Anaximandre l’aurait prônée – par la loi ou «justice ».

Dans le Fr. 12, Simplicius, in Phys. 39,14 et 31,13, nous retrouvons la justice qui est « la Divinité qui dirige toutes choses : car elle régit la naissance odieuse et le mélange de toutes choses, envoyant la femelle s’accoupler avec le mâle et vice-versa, encore le mâle avec la femelle ». Et Aétius[31] de renchérir toujours à propos de cette justice : « Parménide disait qu’il y avait des cercles s’enroulant l’un autour de l’autre, l’un composé par du rare, l’autre par du dense ; et qu’il y en avait d’autres, entre ceux-ci, composés de lumière et d’obscurité. Ce qui les entoure tous comme un mur est, dit-il, de nature solide ; au dessous, il y a un cercle de feu ; … Le plus central des cercles (de feu) entremêlés est la [cause première] du mouvement et du devenir, pour eux tous, et il l’appelle la divinité qui dirige tout, la détentrice des clefs, Justice et Nécessité. »

La cosmologie de Parménide est pleine d’échos de la Vérité, particulièrement lorsqu’elle traite de l’ « environnement » des cieux, et de la « limite des étoiles », et de comment « Nécessité enchaîna » le ciel. Peut-être ces réminiscences sont-elles censées nous rappeler que, dans l’effort fait pour ménager l’opinion des mortels, la description du monde qu’elles présentent, doit s’approcher autant que possible de celle dont nous nous servons pour retracer la vraie réalité.

Ce qui nous est parvenu jusqu’à nous concernant les vues de Parménide sur son système astronomique se réduit à très peu. Et son manque de clarté rend impossible de reconstruire avec quelque cohérence son extraordinaire théorie sur les cercles. Tout le système reposait sur les formes de base de la lumière et de la nuit, comme le prouve le vers fameux de Parménide sur la lumière indirecte de la lune. Nous avons commencé par Heidegger, nous retournons à lui pour finir.

5. LA LECTURE HEIDEGGERIENNE D’ANAXIMANDRE

Heidegger estime, loin de concevoir les relations entre les choses par analogie avec les relations morales et juridiques entre les hommes, le fragment d’Anaximandre inviterait à ne penser entre les hommes une quelconque relation juridique, qu’en homologie (au sens de l’ homologein héraclitéen) avec la mystérieuse Dikè qui régit la totalité de ce qui est, hommes ou choses. En effet, soutient notre auteur : « Pour que nous arrivions seulement à la rive de ce qui advient dans la parole d’Anaximandre, nous devons sciemment laisser tomber toutes les opinions préconçues et leur ineptie ; d’abord, qu’il s’agit d’une philosophie de la nature sur laquelle viendraient se greffer, de manière non-objective, des considérations morales et juridiques ; ensuite, que des représentations nettement délimitées et tirées de domaines séparées (Nature, Morale, Droit) entrent en jeu ; et finalement qu’il s’agit d’un échantillon d’ « expérience primitive », qui interprète le monde de manière acritique et anthropomorphe, et est ainsi contrainte de recourir à des expressions poétiques[32]. »

La Parole d’Anaximandre dirait en fait « ce qu’il en est et comment il en est des étants : elle parle des étants en relation à ce qui leur donne leur être (leur présence). Quant à ce qu’elle nous dit ainsi des étants et de leur appartenance à la présence, rien à voir avec une quelconque représentation anthropomorphique où les choses s’infligeraient châtiment et expiation pour leur injustice, - dans la mesure où les trois termes-clés (dikè, tisis, adikia) ont encore chez Anaximandre une signification radicalement méta-anthropologique. A ce propos, Heidegger écrit : « Le mot « adikia » nous dit d’abord que la « dikè » fait défaut », et comme « on a coutume de traduire dikè par droit, on sera tenté de parler d’injustice et de scélératesse » ; mais « si nous écartons nos représentations juridiques et morales, si nous nous en tenons à ce qui advient à la parole, alors « adikia » dit que là où elle règne (l’adikia) quelque chose ne va pas comme cela devrait (…), quelque chose hors ne va pas comme cela devrait (…), quelque chose est hors de ses gonds, disjoint[33]. »

Dès lors, la phrase semble dire tout autre chose : pour l’étant présent, il y va en elle de la possibilité d’être disjoint (d’être dans l’adikia), et aussi, surmontant cette « disjoncture », de retrouver dans son rapport aux autres étants ce qui les joint ensemble, de rétablir avec eux le « jointement » ou l’ « ajointement ».

Ces déplacements de sens (dikè = l’ajointement et non la justice au sens humain du terme, adikia = la disjoncture, et non l’injustice) décident, on le devine sans peine, de l’interprétation vers laquelle Heidegger va s’acheminer : là où chaque étant s’affirme unilatéralement dans sa dimension de présence, « ne veut pas démordre de sa présence », « s’étale dans l’obstination de l’insistance », « il ne se tourne vers les autres présents », desquels il se trouve dès lors, pour ainsi dire, « disjoint » ; lorsqu’au contraire, il se soumet à la nécessité de n’apparaître que précairement, pour disparaître quand son tour est venu, lorsqu’il se soumet au jeu d’éclosion (génésis) et de disparition (phthora) qui définit la présence de ce qui n’est que « transitoirement présent », bref, lorsqu’il accepte « ce qui revient au présent », c’est-à-dire « l’ajointement de son séjour qui l’ordonne en provenance et déclin », alors règne entre tous les étants « l’accord[34] ».

« Dikè pensé à partir de l’être en tant que présence, est l’accord joignant et accordant. Adikia, la disjoncture, est le discord (…) le présent, en son séjour transitoire, est présent dans la mesure où il séjourne, et séjournant, devient et périt, s’acquittant ainsi de l’ajointement du passage entre provenance et déclin. S’acquitter à chaque fois transitoirement de cette transition est la bonne constance du présent. Elle ne consiste justement pas dans la simple persistance. Ainsi, elle ne devient pas la proie de la disjoncture. Elle assume le discord. Séjournant en son séjour, ce qui séjourne transitoirement, laisse en propre à son essence – la présence – l’accord. Le « didonai » nomme ce laisser-ensemble.

Resterait enfin, pour traduire le texte d’Anaximandre, à extraire à son tour, le terme « tisis » de toute représentation anthropologique : « tisis » de toute représentation anthropologique : « tisis » ne signifierait pas essentiellement « expiation », mais plutôt « estimation », au sens où « estimer quelque chose signifie : le respecter, et ainsi satisfaire en son être à ce qui est estimé ». La signification du terme une fois redressée, on voit aisément qu’un tel respect, une telle déférence pour la présence qui revient à l’autre étant, ne règnent pas quand « ceux qui séjournent transitoirement persistent en leur séjour », quand « ils suivent (…) leur penchant à persévérer en cette persistance » : dans ces cas, « ils s’obstinent sur la consistance du durer, et ne se tournent pas vers la « dikè », vers l’accord du séjour », et « ce faisant, chaque séjournant se distend déjà contre chaque autre, aucun ne respecte le déploiement du séjour de l’autre » ; au contraire, ceux qui acceptent « ce qui revient au présent », c’est-à-dire de ne séjourner que transitoirement, laissent surgir entre eux, réciproquement, la « déférence » pour leurs séjours. Soit : selon une nécessité, dont la suite de l’essai suggère qu’il faut l’entendre comme celle-là même de l’Etre qui, en son déploiement, maintient les étants dans la dimension de présence qui leur revient, - donc, en fait : selon un tel maintien, ils (les étants) laissent entre eux avoir lieu l’accord (dikè), donc aussi la déférence (tisis) de l’un pour l’autre en l’assomption qui surmonte le discord. Tel est le sens du fragment d’Anaximandre selon Heidegger.

CONCLUSION

Nous conclurons avec Heidegger, en disant qu’il est clair que l’intérêt de cette explication avec le texte d’Anaximandre n’est pas tant de nous éclairer sur ce qui, à propos du droit ou de la justice, a été pensé à l’origine de notre histoire, que de nous aider à esquisser ce qui, concernant le droit et la justice, pourrait être pensé si nous faisions échapper la problématique juridique à nos modernes représentations où, par exemple, le droit, comme sphère des faits ou du devoir-être, s’oppose à la nature comme sphère des faits ou de l’être, - bref : si nous pensions le droit plus « originairement » que nous ne le faisions quand nous le concevons à partir de l’homme posé comme sujet du droit. Or, à cet égard, Heidegger estime manifestement que doivent être opposées deux idées du juste ou de la justice dont la première, symboliquement, s’incarnerait chez les grecs, et la seconde, sous sa forme achevée, chez Nietzsche.

Penser la justice dans la direction de la « dikè » d’Anaximandre, c’est inscrire le problème de l’organisation politique du droit (au sens du droit qu’instaure la polis en un cadre qui, au-delà des volontés législatrices des hommes, situe le fondement ou la source du droit dans l’Etre, c’est-à-dire dans la façon dont il revient à chaque humain ou non) d’être ce qu’il est en vertu du mode de présence qui lui est accordé au sein de la totalité de l’étant. Le juste est donc, précise L’introduction à la métaphysique, ce qui est conforme, non à une norme, mais à « l’ordre qui joint et enjoint » : « Si l’on traduit Dikè par justice, en comprenant celle-ci d’une façon juridico-morale, le mot perd son contenu métaphysique essentiel. Il en est de même de l’interprétation de la « dikè » comme norme » ; en réalité, « dikè » doit être pensé à partir de « l’Etre, la physis » comme « recollection originaire, logos », comme « ordre qui dispose[35]. » Et dans cette perspective, où la loi renvoie, non à la volonté et à la raison de l’homme, mais au « décret de l’Etre » comme cet « ordre qui dispose » la multiplicité des présents en une totalité harmonieuse (c’est-à-dire à un kosmos, la finalité de la loi est moins l’égalisation des différences que leur structuration ou leur ajointement en un ordre où le partage s’effectue conformément à un tel « décret de l’Etre » : à chacun le mode de présence « qui lui revient[36]. » On comprend dès lors que dans cette logique, ce ne soit pas l’idée « d’ordre hiérarchisé », mais au contraire « l’absence de hiérarchie » et l’ « absence de différence » provenant d’une valeur positive de n’admettre aucune hiérarchie » qui soient apparues à Heidegger comme les signes de l’injustice et d’une errance du monde, bref comme l’indice d’un « non-monde[37] » : là en effet où il n’y a plus de « déférence » à l’égard des parts de présence qui reviennent à chacun, il n’y a plus d’ajointement (dikè), mais surgit alors le discord « l’adikia » ; chacun cherchant uniquement à persister dans son séjour des autres. L’idée originaire de la justice pourrait ainsi fournir un cran d’arrêt à ce déclin du monde en un non-monde de différences nivelées, ce simple « tas d’ordures jetées au hasard » qu’évoque le fragment 124 d’Héraclite.

BIBLIOGRAPHIE

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MEMEL (Harris, Fôté).- Le système politique de Lodjoukrou (Paris, Présence Africaine, 1980).

RENAUT(Alain) et SOSOE(Lukas).- Philosophie du Droit (Paris, PUF, 1991)


[1] RENAUT(Alain) et SOSOE(Lukas).- Philosophie du Droit (Paris, PUF, 1991), p. 168

[2] RENAUT(Alain) et SOSOE(Lukas).- Philosophie du Droit (Paris, PUF, 1991), p. 168

[3] HEIDEGGER (Martin).- Introduction à la métaphysique, p. 159, cité dans RENAUT(Alain) et SOSOE(Lukas).- Philosophie du Droit (Paris, PUF, 1991), p. 169.

[4] CORNU (Gérard).- Vocabulaire Juridique (Paris, PUF, 2000), p. 498.

[5] HERVADA (Javier).- Introduction critique au droit naturel (Bordeaux, Bière, 1991), p. 19.

[6] LASM (Laurent).- « Croyances et coutumes adioukrou » in Bulletin de liaison Linguistique. Ethno-sociologie, CURD, Université d’Abidjan, n°1, cité dans MEMEL (Harris, Fôté).- Le système politique de Lodjoukrou (Paris, Présence Africaine, 1980), p. 82.

[7] LASM (Laurent).- « Croyances et coutumes adioukrou » in Bulletin de liaison Linguistique. Ethno-sociologie, CURD, Université d’Abidjan, n°1, cité dans MEMEL (Harris, Fôté).- Le système politique de Lodjoukrou (Paris, Présence Africaine, 1980), p. 82.

[8] Travail de recherche effectué par Lohoues Esmel Yeble Marie, Latt Yann Joséphine Emmanuelle, Yedess Danielle Annick, Lasme Murielle Andrée, Agnimel Paul-Arthur, Lasm Malko et Essoh Lohoues Artistide, Licence 2, Faculté de Droit Civil UCAO-UUA 2007-2008, sous la direction du Dr AKE Patrice Jean.

[9] SIMPLICIUS.- in (Aristotelis) Physicorum libros 24, 17 (Comment. In Aristol. Graeca, éd. De l’Académie de Berlin, tomes IX et X, par H. Diels, 1882 et 1895, cité dans KIRK(G.S), RAVEN (J.E.) et SCHOFIELD)(M.).- Les philosophes présocratiques. Une histoire critique avec un choix de textes (Paris, Cerf, 1995), p. 123.

[10] HESIODE.- Théogonie, les travaux et les jours, le bouclier (Paris, Belles Lettres, 1960). Texte établi et traduit par Paul Mazon. Nous avons utilisé les notes des pages 73 et 74.

[11] HESIODE.- Théogonie, les travaux et les jours, le bouclier (Paris, Belles Lettres, 1960). Texte établi et traduit par Paul Mazon. 238 s ; 258s.

[12] HESIODE.- Théogonie, les travaux et les jours, le bouclier (Paris, Belles Lettres, 1960). Texte établi et traduit par Paul Mazon, p. 92, note 2.

[13] HESIODE.- Théogonie, les travaux et les jours, le bouclier (Paris, Belles Lettres, 1960). Texte établi et traduit par Paul Mazon, 202s.

[14] HESIODE.- Théogonie, les travaux et les jours, le bouclier (Paris, Belles Lettres, 1960). Texte établi et traduit par Paul Mazon, 276s.

[15] KIRK(G.S), RAVEN (J.E.) et SCHOFIELD)(M.).6 Les philosophes présocratiques. Une histoire critique avec un choix de textes (Paris, Cerf, 1995), p. 115.

[16] KAHN (C.H.).- Anaximander and the Origins of Greek Cosmology (New York, 1960), p. 34s., estime que cette erreur n’a été commise que par Pseudo-Plutarque, et non par Théophraste; mais il n’est guère convaincant lorsqu’il suggère (à la p. 50) que κóσμος chez Théophraste pourrait se référer à quelque « ordre » inférieur de la terre ou de l’atmosphère.

[17] A la suite de Cherniss, G. Vlastos.- « Equality and justice in early Greek cosmologies », CP. 42(1957), p. 171s, tente de prouver comment l’équilibre final entre les substances opposées pourrait être compatible avec la réabsorption du monde par l’Indéfini : dans cette situation, écrit-il, les opposés se compensent entre eux (et non avec l’Indéfini). Mais si le principe de justice est en vigueur dans le monde présent, il n’est pas facile de voir comment un changement aussi radical que le retour du monde à l’Indéfini pourrait avoir lieu, un changement touchant tous les composants du monde.

[18] ARISTOTE.- Physique (Sur la Nature). A4, 187a20, (Paris, Vrin, 1991)

[19] PSEUDO-PLUTARQUE.- Stromateis 2 (Suite de DIELS Hermann, KRANZ Walter, DK 12A10).

[20] VLASTOS.- Classical Philology 42 (1947), 171 n° 140

[21] ARISTOTE.- Météorologie B1, 353b6.

[22] Fr. 80, Origène contra Celsum VI, 42 : « Il faut savoir que la guerre est commune et que la justice est conflit et que toutes choses adviennent par le conflit et la nécessité ».

[23] ARISTOTE.- Ethique à Eudème H1, 1235a25 : «  (Héraclite blâme l’auteur de la phrase «  Que le conflit puisse être aboli entre les dieux et les hommes » : car il n’ y aurait pas de gamme musicale si l’aigu et le grave n’existaient pas, ni de créatures vivantes sans le masculin et le féminin qui sont opposés).

[24] Fr. 126.

[25] DK 94.

[26] Fr. 94, Plutarque de exil 11, 604A.

[27] DK 114.

[28] DK 102.

[29] DK 53.

[30] DK 114.

[31] II,7 (DK28A37)

[32] HEIDEGGER (Martin).- Chemins qui ne mènent nulle part (Paris, Gallimard, 1958), p. 270-271.

[33] HEIDEGGER (Martin).- Chemins qui ne mènent nulle part (Paris, Gallimard, 1958), p. 188.

[34] HEIDEGGER (Martin).- Chemins qui ne mènent nulle part (Paris, Gallimard, 1958), p. 290sq.

[35] HEIDEGGER (Martin).- Introduction à la métaphysique (Paris, Gallimard, 1967) trad. Par Gilbert Kahn, p. 166.

[36] HEIDEGGER (Martin).- Chemins qui ne mènent nulle part (Paris, Gallimard, 1958), p. 288 : « N’est-ce donc pas le juste du présent que, séjournant à chaque fois pour un temps, il séjourne, accomplissant ainsi sa présence ? »

[37] HEIDEGGER (Martin).- Essais et conférences, pp. 112-113.