lundi 31 mars 2008

GENEROSA AFRICA TELLUS

          SACRE CONGREGATION POUR L'EDUCATION CATHOLIQUE DECRET N°2335/76/B/89

 

          vatic_home La terre africaine, généreuse et variée, célèbre par le témoignage des premiers chrétiens, patrie de l'illustre et Saint Augustin, ensemencée à la foi catholique vécue en communion avec le bienheureux apôtre Pierre, a donné des chrétiens qui, devenus hérauts de l'Evangile, s'efforcent de se mettre au service de leurs frères.

          Mûs par ce souci de salut, les Responsables de l'Afrique Occidentale ont, après le Concile Vatican II et en véritables prévoyants, décidé la création d'un I'Institut Catéchétique où seraient préparés, de façon plus adaptée et plus approfondie, les messagers de l'Evangile.

          Ouvert à Abidjan de 1968, et avec l'aide généreuse du St Siège et de diverses Conférences Episcopales d'Europe et d'Amérique, cet Institut se développe avec succès.  Aussi, en 1975, par l'entremise de son Conseil Permanent, l'Assemblée Plénière de la Conférence Episcopale de l'Afrique de l'Ouest adresse-t-elle à la Sacrée Congrégation pour l'Education Catholique une demande en vue de son érection canonique. 

          La Sacrée Congrégation sus nommée, après une étude minutieuse en collaboration avec la Sacrée Congrégation pour l'Evangélisation des Peuples, hâte la création d'un Institut Académique dont le premier curriculum des études entre en vigueur la même année, en même temps qu'il est demandé aux responsables africains de préparer avec diligence les Statuts propres de cet Institut.

          Les 14 et 15 février de l'année suivante, en présence de plusieurs cardinaux et évêques et des hautes Autorités Civiles du pays, l'Institut est solennellement inauguré, avec les félicitations et les souhaits du Souverain Pontifie.

          Maintenant, passé le temps de l'expérience indispensable, la même Sacrée Congrégation, après avoir bien tout pesé et pris conseil auprès des Sacrées Congrégations pour l'Evangélisation et le Clergé, et selon les pouvoirs qui lui sont conférés par sa Sainteté le Pape Paul VI,

          Vu l'art. 4 de la Constitution Apostolique "Dieu et Maître de tout Savoir", par le Présent Décret:

          Erige canoniquement et le Promulgue pour toujours, l'Institut Catholique de l'Afrique de l'Ouest, situé à Abidjan et comportant

          Une Faculté de Théologie

          Une Faculté de Catéchèse

          Un institut de Pastorale et Catéchèse.

          Lui donne pouvoir de conférer respectivement les grades académiques de Théologie, et autres diplômes, aux Etudiants qui auront satisfait à toutes les exigences concernant les cours et examens ainsi que les clauses articulières des Statuts légitimement approuvés par la dite sacrée Congrégation.

          Confirme et déclare la proposition qui lui a été faite de constituer St Augustin, Evêque d'Hippone et docteur de l'Eglise, comme patron principal dudit Institut.

          Reconnaît et attribue à ce même Institut les droits, les privilèges, les honneurs et les fonctions, dont jouissent tous les Instituts Ecclésiastiques de par le monde.

          Demande au Comité Episcopal spécial de veiller sur la marche de l'Institut, étant saufs les droits et fonctions reconnus par les canons 1381 à 1382 du Code à l'ordinaire d'Abidjan qui, de ce fait, devient le Vice Président de ce Comité.

          Recommande à ce même Comité, avec insistance et au nom du Saint Siège, de promouvoir cet Institut en faisant respecter sa finalité propre: à savoir former, à travers leur propre culture, des ministres authentiques de l'évangélisation et exprimer, sous la conduite du Magistère ecclésiastique et conformément au Concile Vatican II, la doctrine de l'Eglise dans les modes de penser africains.

          Etant sauves toutes les autres prescriptions de la loi, en particulier sur les Instituts Académiques de l'Eglise, et nonobstant toutes dispositions contraires.

          Donné à Rome, du Siège de la Sacrée Congrégation pour l'Education Catholique, le 26 Mars 1978, en la Solennité de la Résurrection de Notre Seigneur Jésus-Christ.

          Le Préfet

          Son Emi. le Card. GARONNE;

vendredi 28 mars 2008

VEILLEE PASCALE A L'UCAO-UUA 2008

            A 19H 30, à l'entrée principale de l'UCAO-UUA, a commencé la veillée pascale. Cette nuit est une veille en l'honneur du Seigneur(Ex 12,42). Les fidèles au nombre d'environ 2500, se sont rassemblé en habits de fête. Le célébrant principal, le Père Vice-Président, AKE Patrice Jean les a retrouvé, avec les ministres concélébrants et les enfants de choeur. Les fidèles avaient en main leurs cierges, comme des hommes et des femmes qui attendent la venue de leur maître, afin qu'à son retour il les trouve en train de veiller et les fasse asseoir à sa table.

           Toutes les lumières de l'église étaient éteintes, un grand fagot a été préparé pour la bénédiction du feu nouveau et le célébrant a expliqué les raisons du grand rassemblement. Les fidèles sont rassemblés pour commémorer la Pâques du Seigneur en écoutant sa Parole et en célébrant ses sacrement, dans l'espérance d'avoir part à son triomphe sur la mort et de vivre avec lui pour toujours en Dieu. En bénissant la flamme, le Père célébrant à souhaiter à tous d'avoir un grand désir du ciel, pour parvenir, avec un coeur pur, aux fêtes de l'éternel lumière. Puis le cierge a été honoré lui-même comme le Christ parmi nous. Lui qui est l'alpha et l'oméga.

          Cette liturgie de la lumière a été suivie d'une grande procession avec le cierge pascal vers l'Eglise et s'est achevée par le chant de l'Exultet en latin. La traduction de ce premier mot est tirée  de la phrase "Exultez de joie, multitudes des anges..."

          Puis le peuple de Dieu a écouté avec recueillement les lectures saintes. Ces textes montraient comment dans les temps passés, Dieu notre Créateur a sauvé son peuple, et comment, dans ces temps qui sont les derniers, il nous a envoyé son Fils comme Rédempteur. A la suite ont été entendues les lectures tirées de Génèse 1,,1.26-31a, Génèse 22,1-13,15-18, Exode 14,15-15,1a, Isaïe 54,5-14, Isaïe 55,1-11, Baruch 3, 9-15.32-4,4 et Ezécheil 36,16-17a.18-28). Après ces lectures de l'Ancien Testament a retenti l'hymne pascale. Puis il y a eu l'écoute de l'épître et tous nous sommes levés pour écouter l'Alleluia et l'Evangile de la Résurrection. L'homélie du jour a été donnée par le Père AKE.

          Après l'homélie, nous sommes passés au 3è temps de cette Messe: la liturgie baptismale. Nous avons tous renouvelé nos voeux de baptême et après les prêtres concélébrants nous ont aspergés d'eau bénite. Le Vidi Aquam a été splendide, executé par la grande Chorale St Michel Archange de Nimbo. Après cela nous avons prié pour l'Eglise Universelle et l'allumage des cierges de l'autel a annoncé la 4è partie de la Messe: la Liturgie Eucharistique. Le Corps du Christ était visible dans les saintes Espèces. Immolé pour nous, cet Agneau Pascal est entré en nous comme sacrement. Vivons à présent du Ressuscité, suivons le désormais jusqu'à son Royaume, nous a dit le Célébrant Principal dans la Bénédiction Solennelle. Puis le Prêtre a renvoyé la foule dans l'allégresse alleluiatique.

SEMINAIRE SUR JACQUES MARITAIN1

D'UNE PHILOSOPHIE CHRETIENNE DE L'HISTOIRE ET DE LA CULTURE

          Dans la préface à la seconde édition de la philosophie bergsonnienne, nous apprenons de Jacques Maritain qu'il "a été l'une des premières manifestations dans l'ordre profane et laïque, de cette renaissance du thomisme, à laquelle, dans l'ordre sacré, des penseurs éminents travaillaient depuis Léon XIII à l'Encyclique Aeterni Patris"(1). Ainsi a-t-il eu, par exemple, à faire la critique de la philosophie bergsonienne ou encore l'exposé des thèses thomistes(2). Il s'est fait un devoir de "critiquer...la conception de la Divinité que la philosophie du mouvement pur laisse percevoir."(3). Cette voie critique, Jacques Maritain l'a empruntée au nom d'une foi au christianisme qui "ne facilite pas les choses; il ne facilite pas l'art, et en un certain sens, il ne facilite pas la philosophie."(4). Le philosophe chrétien, pour sa part, s'encombre et déraisonne, en ajoutant à sa tâche spéculative, et au souci du savoir "la préoccupation du sort de la vérité dans les âmes, ou de l'avenir d'une culture périssable, et d'une impuissante pitié pour les coeurs que Dieu cherche"(5). Finalement, pour avancer sur cette route du monde, "le chrétien court en boitant"(6). Il aime mieux aller ainsi, comme Jacob, "que de rester assis dans l'histoire ou dans les formules d'école, avec quelques docteurs contents d'eux. Ce qui importe, c'est d'être fidèle à la règle de l'esprit, de ne jamais courber, quelque but que l'on vise au ciel, les pures exigences de la science et de la raison." (7)

          Jacques Maritain, dans son oeuvre immense et organique, a eu des vues nombreuses et indéfiniment fécondes sur la théologie de l'histoire du salut. Nous les laisserons de côté dans ce développement. Ce qui nous intéresse ici, ce sont ses points de vue sur la philosophie chrétienne de l'histoire et de la culture qu'il définit en ces termes: " La philosophie morale adéquatement prise est par excellence une philosophie 'existentielle'. Ce n'est pas sur la nature humaine abstraitement considérée, c'est sur la nature blessée, dont il reçoit du théologien la notion scientifique, que, comme le théologien, le philosophe croyant porte son regard; mais il s'intéresse (ainsi que le romancier) à la nature blessée pour elle-même, ce que ne fait pas le théologien, et cette notion même des blessures de nature éveille dans sa sagesse d'autres résonances que dans celle du théologien; il en va de même pour la notion de nature réparée; à la lumière de ces notions il étudiera des problèmes qui lui sont propres, concernant par exemple la psychologie concrète et la caractériologie, ou l'histoire de la philosophie elle-même, ou de la philosophie politique, ou de la philosophie du monde et de la culture, le développent historique de l'énigme de l'être humain, les phases de sa situation existentielle typiques pour les divers moments de la civilisation...(8)

          "La sagesse de l'histoire est affaire de théologie. Mais elle est aussi affaire de philosophie chrétienne. Puis-je dire que celle-ci est plus disposée que la théologie à ressentir l'importance propre du temps et du temporel, non seulement comme moyens à l'égard de l'éternité, mais dans leurs finalités et leurs valeurs créées elles-mêmes? Elle s'iquiétera du sens de l'histoire humaine, non seulement quant à l'oeuvre du salut éternel à laquelle celle-ci collabore, mais quant à l'oeuvre terrestre et immanente au temps qui s'y accomplit."(9)

          La philosophie morale pourra étuider la politique politiquement, ou au point de vue de l'ordination de l'homme à la vie temporelle et politique elle-même (et non pas théologiquement, ou au point de vue de l'ordination de l'homme aux biens spirituels et surnaturels); elle pourra traiter, par exemple, des connexions culturelles du monde grec et du monde bouddhique, ou des incidences de la classe et de la nation sur le bien temporel des Etats modernes, etc.(10). Bref, elle résout la question de la possibilité d'une philosophie de l'hsitoire: " Entre les mains du pur philosophe, qui ne reconnaît que les lumières de la raison naturelle, la philosophie de l'histoire, à notre avis, ou bien se réduit à très peu de choses, ou bien risque inévitablement la mystification; car elle suppose inévitablement des données prophétiques, et où le pur philosophe les trouverait-il? Cette question n'est susceptible à notre avis d'une solution positive que si l'on admet la notion d'une philosophie de l'homme où le philosophe éclaire la philosophie et les connaissances d'ordre naturel à la lumière d'un savoir plus élevé, reçu de la foi et de la théologie. Alors seulement, tout en gardant naturellement sur bien des points un caractère conjectural, une philosophie de l'histoire peut se constituer comme digne du nom de philosophie ou de sagesse."(11)

          Ainsi la sagesse de l'histoire est affaire de théologie, en tant qu'elle consière la succession des réalités humaines au point de vue du salut éternel: voilà la théologie de l'hsitoire du salut, ou la théologie historique. Et la sagesse de l'hsitoire est affaire de philosophie, en tant qu'elle considère la succession des réalités humaines au point de vue de leurs dimensions temporelles et culturelles. Pour la première fois, chez Maritain, la distinction est faite explicitement entre théologie de l'histoire et philosophie de l'histoire.

          La philosophie morale, elle aussi, adéquatement prise, munit le philosophe de l'hsitoire et de la culture de données étrangement fécondes sur le sens du temps. Toutes ces données, que le philosophe de l'hsioire utilisera dans sa perspective propre le conduiront à des découvertes dont le théologien à son tour pourra faire son profit: elles lui permettront en effet, quand il les éclairera de sa lumière, de préciser les phases et les modalités de l'hsitoire du salut.

          Cette philosophie chrétienne de l'histoire et de la culture n'est pas seulement indiquée chez Jacques Maritain. Elle y et mise en oeuvre avec une profusion, une cohérence, une sûreté de vues qui dénoncent à chaque instant la vertu et la fécondité des bases sur lesquelles elle repose. Elle est trop riche pour qu'il soit ici question d'en donner un tableau d'ensemble. Nous en retiendrons quelques traits dans le cadre de cet exposé.

Père AKE Patrice

Pake.uua@ucao-cerao.org

http://pakejean16.spaces.live.com

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1) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume 1 (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986)  p.12

2) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume 1 (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 12

3) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume 1 (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 14

4) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume 1 (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 15

5) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume 1 (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 16

6) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume 1 (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 16

7) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume 1 (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 16

8) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume VI , Science et Sagesse (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 306

9) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume VI , Science et Sagesse (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 208

10) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume VI , Science et Sagesse (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 198

11) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume VI, Humanisme Intégral(Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 257

jeudi 27 mars 2008

SEMINAIRE SUR JACQUES MARITAIN1

D'UNE PHILOSOPHIE CHRETIENNE DE L'HISTOIRE ET DE LA CULTURE

          Dans la préface à la seconde édition de la philosophie bergsonnienne, nous apprenons de Jacques Maritain qu'il "a été l'une des premières manifestations dans l'ordre profane et laïque, de cette renaissance du thomisme, à laquelle, dans l'ordre sacré, des penseurs éminents travaillaient depuis Léon XIII à l'Encyclique Aeterni Patris"(1). Ainsi a-t-il eu, par exemple, à faire la critique de la philosophie bergsonienne ou encore l'exposé des thèses thomistes(2). Il s'est fait un devoir de "critiquer...la conception de la Divinité que la philosophie du mouvement pur laisse percevoir."(3). Cette voie critique, Jacques Maritain l'a empruntée au nom d'une foi au christianisme qui "ne facilite pas les choses; il ne facilite pas l'art, et en un certain sens, il ne facilite pas la philosophie."(4). Le philosophe chrétien, pour sa part, s'encombre et déraisonne, en ajoutant à sa tâche spéculative, et au souci du savoir "la préoccupation du sort de la vérité dans les âmes, ou de l'avenir d'une culture périssable, et d'une impuissante pitié pour les coeurs que Dieu cherche"(5). Finalement, pour avancer sur cette route du monde, "le chrétien court en boitant"(6). Il aime mieux aller ainsi, comme Jacob, "que de rester assis dans l'histoire ou dans les formules d'école, avec quelques docteurs contents d'eux. Ce qui importe, c'est d'être fidèle à la règle de l'esprit, de ne jamais courber, quelque but que l'on vise au ciel, les pures exigences de la science et de la raison." (7)

          Jacques Maritain, dans son oeuvre immense et organique, a eu des vues nombreuses et indéfiniment fécondes sur la théologie de l'histoire du salut. Nous les laisserons de côté dans ce développement. Ce qui nous intéresse ici, ce sont ses points de vue sur la philosophie chrétienne de l'histoire et de la culture qu'il définit en ces termes: " La philosophie morale adéquatement prise est par excellence une philosophie 'existentielle'. Ce n'est pas sur la nature humaine abstraitement considérée, c'est sur la nature blessée, dont il reçoit du théologien la notion scientifique, que, comme le théologien, le philosophe croyant porte son regard; mais il s'intéresse (ainsi que le romancier) à la nature blessée pour elle-même, ce que ne fait pas le théologien, et cette notion même des blessures de nature éveille dans sa sagesse d'autres résonances que dans celle du théologien; il en va de même pour la notion de nature réparée; à la lumière de ces notions il étudiera des problèmes qui lui sont propres, concernant par exemple la psychologie concrète et la caractériologie, ou l'histoire de la philosophie elle-même, ou de la philosophie politique, ou de la philosophie du monde et de la culture, le développent historique de l'énigme de l'être humain, les phases de sa situation existentielle typiques pour les divers moments de la civilisation...(8)

          "La sagesse de l'histoire est affaire de théologie. Mais elle est aussi affaire de philosophie chrétienne. Puis-je dire que celle-ci est plus disposée que la théologie à ressentir l'importance propre du temps et du temporel, non seulement comme moyens à l'égard de l'éternité, mais dans leurs finalités et leurs valeurs créées elles-mêmes? Elle s'iquiétera du sens de l'histoire humaine, non seulement quant à l'oeuvre du salut éternel à laquelle celle-ci collabore, mais quant à l'oeuvre terrestre et immanente au temps qui s'y accomplit."(9)

          La philosophie morale pourra étuider la politique politiquement, ou au point de vue de l'ordination de l'homme à la vie temporelle et politique elle-même (et non pas théologiquement, ou au point de vue de l'ordination de l'homme aux biens spirituels et surnaturels); elle pourra traiter, par exemple, des connexions culturelles du monde grec et du monde bouddhique, ou des incidences de la classe et de la nation sur le bien temporel des Etats modernes, etc.(10). Bref, elle résout la question de la possibilité d'une philosophie de l'hsitoire: " Entre les mains du pur philosophe, qui ne reconnaît que les lumières de la raison naturelle, la philosophie de l'histoire, à notre avis, ou bien se réduit à très peu de choses, ou bien risque inévitablement la mystification; car elle suppose inévitablement des données prophétiques, et où le pur philosophe les trouverait-il? Cette question n'est susceptible à notre avis d'une solution positive que si l'on admet la notion d'une philosophie de l'homme où le philosophe éclaire la philosophie et les connaissances d'ordre naturel à la lumière d'un savoir plus élevé, reçu de la foi et de la théologie. Alors seulement, tout en gardant naturellement sur bien des points un caractère conjectural, une philosophie de l'histoire peut se constituer comme digne du nom de philosophie ou de sagesse."(11)

A suivre....

Père AKE Patrice

Pake.uua@ucao-cerao.org

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1) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume 1 (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986)  p.12

2) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume 1 (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 12

3) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume 1 (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 14

4) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume 1 (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 15

5) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume 1 (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 16

6) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume 1 (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 16

7) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume 1 (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 16

8) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume VI , Science et Sagesse (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 306

9) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume VI , Science et Sagesse (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 208

10) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume VI , Science et Sagesse (Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 198

11) Jacques et Raïssa MARITAIN.- OEuvres Complètes Volume VI, Humanisme Intégral(Editions universitaires Fribourg Suisse, Editions Saint Paul1986), p. 257

HOMELIE DE LA VEILLE PASCALE A L'UCAO-UUA 22 MARS 2008

Chers frères et soeurs en Jésus-Christ!

"Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. La terre était informe et vide, les ténèbres étaient au-dessus de l'abîme et le souffle de Dieu planait au-dessus des eaux. Dieu dit 'Que la lumière soit!' Et la lumière fut" (Gn 1, 1-3)

La liturgie de la veillée pascale, la sainte nuit de Pâques, la première veillée, plus encore la mère de toutes les veillées de l'année liturgique, après la bénédiction du cierge pascal, commence par une procession derrière la lumière et vers la lumière. Cette procession résume de façon symbolique tout le cheminement catéchuménal et pénitentiel du Carême, mais évoque également le long chemin de l'humanité qui, dans la nuit de l'histoire, recherche la lumière, recherche le paradis, recherche la véritable vie, la réconciliation entre les peuples, entre le ciel et la terre, la paix universelle.

Ainsi, la procession implique toute l'histoire, comme le proclament les paroles de la bénédiction du cierge pascal: "Le Christ, hier et aujourd'hui, commencement et fin de toutes choses, alpha et oméga, à lui le temps et l'éternité, à lui la gloire et la puissance, pour les siècles sans fin. Amen."

Mais la liturgie ne se perd pas en idées générales, elle ne se contente pas de vagues utopies, mais nous offre en revanche des indications très concrètes sur le chemin à parcourir, et sur l'objectif de notre chemin. Dans le désert, Israël fut guidé la nuit par une colonne de feu, et pendant le jour, par un nuage. Notre colonne de feu, notre nuage sacré est le Christ ressuscité, symbolisé par le cierge pascal allumé. Le Christ est la lumière, le Christ est le chemin, la vérité et la vie; en suivant le Christ, en gardant le regard de notre coeur fixé sur le Christ, nous trouvons la juste voie. Toute la pédagogie de la liturgie quadragésimale concrétise cet impératif fondamental. Suivre le Christ signifie avant tout, être attentifs à sa parole.

La participation à la liturgie du dimanche, semaine après semaine, est nécessaire pour chaque chrétien et chaque chrétienne précisément, pour entrer dans la véritable familiarité avec la parole divine: l'homme ne vit pas seulement du pain ou de l'argent, ou de sa cariière ou  de sa réussite sociale, il vit de la parole de Dieu, qui nous corrige, nous renouvelle, nous montre les véritables valeurs qui soutiennent le monde et la société: la parole de Dieu est la véritable manne, le pain du ciel, qui nous enseigne la vie, à être des hommes et des femmes véritables.

Suivre le Christ implique d'être attentifs à ses commandements - résumés dans le double commandement d'aimer Dieu et son prochain comme nous-mêmes. Suivre le Christ signifie avoir de la compassion pour les personnes qui souffrent, spécialement pour les malades et les personnes âgées, avoir un coeur pour les pauvres et les laissés-pour-compte; cela signifie aussi avoir le courage de défendre la foi contre les idéologies et la politite(nouvelle maladie de nos hommes politiques); avoir confiance en l'Eglise et en son interprétation et en sa concrétisation de la parole divine dans les circonstances actuelles. Suivre le Christ implique aimer son Eglise, son corps mystique. En marchant ainsi, nous allumons de petites lumières dans le monde, nous perçons les ténèbres de l'histoire.

Le chemin d'Israël fut dirigé vers la terre promise, toute l'humanité recherche quelque chose comme la terre promise. La liturgie pascale est très concrète sur ce point. Son objectif réside dans les sacrements de l'initiation chrétienne: le baptême, la confirmation, la sainte Eucharistie. L'Eglise nous dit ainsi que ces sacrements sont l'anticipation du monde nouveau, sa présence anticipée dans notre vie. Dans l'Eglise antique, le catéchuménat était un chemin pas à pas vers le baptême: un chemin d'ouverture des sens, du coeur, de l'esprit à Dieu, un apprentissage d'un nouveau style de vie, une transformation de son être dans l'amitié croissante avec le Christ, en compagnie de tous les croyants et de toutes les croyantes. Ainsi, après toutes les diverses étapes de purification, d'ouverture, de connaissance nouvelle, l'acte sacramentel du baptême était le don définitif d'une vie nouvelle - c'était la mort et la résurrection, comme dit saint Paul dans une sorte d'autobiographie spirituelle: "Je suis crucifié avec le Christ et ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi. Ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi." (Ga 2, 20). La résurrection du Christ n'est pas simplement le souvenir d'un fait passé qui reste dans le passé. Elle marque le commencement du nouveau ciel et de la nouvelle terre, elle définit le triomphe de la vie qui n'est désormais plus menacée par la mort. Dans la nuit de Pâques, dans le sacrement de baptême, se réalise aujourd'hui réellement la résurrection, la victoire sur la mort. C'est pourquoi Jésus dit: "Celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m'a envoyé a la vie éternelle (...) et est passé de la mort à la vie"(Jn5,24); Et dans le même sens, il dit à Marthe: "Moi, je suis la résurrection et la vie". Dans la mesure où nous sommes unis au Christ, nous sommes déjà aujourd'hui, 'passé de la mort à la vie', nous vivons dès à présent la vie éternelle, qui n'est pas seulement une réalité qui vient après la mort, mais qui commence aujourd'hui, dans notre communion avec le Christ. La résurrection est un processus qui a commencé avec le Christ et se propagera jusqu'à la conquête de toute la création.

Chaque fois que dans le monde grandit une vie authentiquement humaine; chaque fois que triomphe la justice sur les instincts de domination; chaque fois que la grâce est plus forte que le péché; chaque fois que les hommes et les femmes créent des médiations plus fraternelles pour la vie sociale; chaque fois que l'amour est au-dessus des intérêts, chaque fois que l'espérance s'oppose au cynisme, se réalise la dynamique de la résurrection. Passer de la mort à la vie - cela forme avec le sacrement de baptême le noyau réel de la liturgie de cette nuit sainte. Passer de la mort à la vie - tel est le chemin dont le Christ nous a ouvert les portes, auquel nous invite la célébration des fêtes de Pâques.

Chers frères et soeurs en Jésus-Christ, la majorité d'entre nous a reçu le baptême, enfant, ou même jeune, ou encore à l'âge adulte. En cette nuit très sainte, nous venons faire la rénovation de la profession de foi baptismale. Unis à tous les baptisés de cette nuit, nous aussi, par le mystère pascal, nous avons été mis au tombeau avec le Christ dans le baptême, afin qu'avec lui, nous vivions d'une vie nouvelle. Pour la majorité d'entre nous, ce furent nos parents qui ont anticipé notre foi. Ils ont donné la vie biologique sans pouvoir demander si nous voulions vivre ou non, convaincus à juste titre qu'il est bon de vivre, que la vie est un don. Mais ils étaient tout autant convaincus que la vie biologiqe est un don fragile, qu'elle est même, dans un monde marqué par tant de maux, un don ambigu et devient un vériable don seulement si l'on peut, dans le même temps, apporter un remède contre la mort, la communion avec la vie invincible, avec le Christ. Avec le don fragile de la vie biologique, ils nous ont donné la garantie de la véritable vie dans le baptême. C'est à nous maintenant, qu'il revient à présent de nous approprier ce don, d'entrer toujours plus profondément dans la vérité de notre baptême. La nuit pascale nous invite chaque année à nous plonger à nouveau dans les eaux du baptême, de passer de la mort à la vie, à devenir de véritables chrétiens et de véritables chrétiennes.

"Eveille-toi, ô toi qui dors, lève-toi d'entre les morts, et le Christ t'illuminera" dit un ancien cantique baptismal, repris par saint Paul dans l'épître aux Ephésiens (5,14). "Réveille-toi, ô toi qui dors..Et le Christ t'illumineras aujourd'hui, nous dit l'Eglise à nous. Réveillons-nous, sautons du lit de notre christianisme somnolent et soporeux, de nos lourdeurs et de nos manques d'élan et d'esprit de créativité. Sursautons, levons-nous et vivons le Christ, la vraie lumière, la vraie vie, le véritable chemin. Amen".

Rév. Dr AKE Patrice Jean

Vice-Président de l'UCAO-UUA

Pake.uua@ucao-cerao.org

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mercredi 26 mars 2008

LA CERTITUDE ET LA JOIE DE LA RESURRECTION

Toute la liturgie de la Pâques chante la certitude et la joie de la Résurrection du Christ, qui est au coeur de la foi chrétienne, de sa richesse doctrinale et de sa vitalité infinie. La Pâque du Christ est également la nôtre car le Ressuscité nous offre la certitude de notre propre résurrection finale. La mort du Seigneur démontre l'immense amour de Dieu envers nous et la Résurrection est la preuve sûre que ce qu'il affirme est la vérité. Le Seigneur marche à nos côtés et, comme l'enseigne l'Ecriture, il nous fait comprendre ce mystère: tout parle de lui, ce qui devait enflammer aussi nos coeurs comme cela, ouvre nos yeux. Le seigneur est avec nous et il nous montre la voie véritable.

Il est important de redire cette vérité fondamentale de la foi dont la vérité fondamentale de la foi dont la vérité historique est amplement prouvée, même si certains continuent de la contredire ou de la nier. Si la foi en la Résurrection faiblit, c'est le témoignage des croyants qui s'affaidit. L'adhésion au Christ mort et ressuscité change au contraire la vie et l'éclaire toute entière, celle des personnes comme celle des peuples. En cette octave la la résurrection particulièrement, la liturgie nous invite à rencontrer le Christ ressuscité et à admirer son action vivante dans l'hsitoire et dans notre existence. Comme les disciples d'Emmaüs, cités par l'Evangile, dans l'Eucharistie nous pouvons retrouver et connaître Jésus. Chaque dimanche revit la Pâque du Seigneur et reçoit du Sauveur un signe d'amour et de fraternité.

Rév. Dr AKE Patrice Jean

Vice-Président de l'UCAO-UUA

Pake.uua@ucao-cerao.org

JESUS EST RESSUSCITE ALLELUIA ALLELUIA

La Résurrection ne constitue pas un simple événement du passé qui reste dans le passé. Elle marque le commencement du nouveau ciel et de la nouvelle terre, elle définit le triomphe de la vie qui n'est plus désormais menacée par la mort. Aussi elle est un présent sans fin. Le Seigneur ressuscité continue, dans l'hsitoire, à être vivant et ineffablement présent au monde, dans chaque personne et dans nos dynamismes sociaux. La résurrection réalise l'utopie du Royaume de Dieu, non pas universellement en raison du refus humain, mais personnellement dans le destion de Jésus. dans la personne du Ressuscité nous entrevoyons ce à quoi le cosmo et l'humanité sont appelés: le complet dépassement de tout ce qui divise et menace la vie; la transfiguration de notre propre vie, maintenant pleinement divine et humaine, pleinement corporelle et spirituelle. Dieu n'a pas été vaincu par la possibilité de refus de la part de l'homme. Il a simplement changé de chemin mais pas de but. Il n'a pas renoncé à instaurer son Royaume qui sera celui de la communion définitive de tous avec tous dans une réconciliation radicale où règnera la justice et sourira la fraternité.
Maintenant le Royaume, en raison de la résurrection de Jésus, est une donnée nouvelle dans la vieille matière du monde. Il fermente de toute part, n faisant croître les dynamismes de vie contre les dynamismes de mort.

 

L'Eglise comme communauté de ceux qui se réunissent pour vénérer la présence du Vivant qu'est Jésus ressuscité, pour garder sa mémoire et vivre un engagement de libération, est la porteuse privilégiée des forces de résurrection. Et elle agit le Seigneur comme dans son propre corps. Il nous atteint avec ses gestes sauveurs que sont les sacrements. Le Ressuscité, cependant, ne restreint pas son action à l'Eglise. Il pénètre le cosmos tout entier, il envahit le monde et se rend présent en chaque homme. La résurrection est un processus qui a commencé avec Jésus et se propagera jusqu'à la conquête de toute la création. Chaque fois que dans le monde grandit une vie authentiquement humaine; chaque fois que triomphe la justice sur les instincts de domination; chaque fois que la grâce est plus forte que le péché; chaque fois que les hommes créent des médiations plus fraternelles pour la vie sociale; chaque fois que l'amour est au-dessus des intérêts; chaque fois que l'espérance s'oppose au cynisme et au désespoir, alors toujours se réalise la dynamique de la résurrection. Et la résurrection étendra partout son action jusqu'à la transfiguration totale du monde dans la parousie définitive du Seigneur.

A qui croit en la résurrection, il n'est plus permis de vivre dans la tristesse. La voie douloureuse du Fils de Dieu et de ses frères et soeurs à travers les tourments de ce monde a un sens certain. Nous sommes destinés et appelés à vivre pleinement, joyeux dans l'espérance, confiants dans l'amour et réconciliés dans le monde, avec nos frères et soeurs et avec Dieu. Déjà nous jouissons d'avance de la présence du Royaume, dans la mesure où nous attendons ardememnt la résurrection de la chair et la vie éternelle.

Rév. Dr AKE Patrice Jean

Vice-Président de l'UCAO-UUA

Pake.uua@ucao-uua.org

mercredi 5 mars 2008

SEMINAIRE SUR JACQUES MARITAIN

          1. BIOGRAPHIE

                                     Jacques Maritain1

          Élevé dans le protestantisme libéral, petit-fils de Jules Favre(célèbre homme politique), Jacques Maritain, né à Paris le 18 novembre 1882 de Paul Maritain et de Geneviève Favre. Il aborde le siècle comme « une espèce de romantique de la justice ». Lorsqu’il rencontre Raïssa Oumançoff, juive d’origine russe, qui prépare comme lui une licence de sciences naturelles et qu’il épousera en 1904, il trouve une compagne d’inquiétude. " La philosophie scientiste et phénoméniste de ses maîtres avait fini par le faire désespérer de la raison". "Un moment il crut qu'il pouvait trouver la certitude intégrale dans les sciences expérimentales". "Pendant deux ans, il étudie l'état des recherches biologiques en Allemagne". Il semble, en effet, que la vieille Sorbonne s’emploie à renvoyer à l’absurde ceux qui se déclarent prêts à « mourir par un libre refus s’il était impossible de vivre selon la vérité », ainsi que le note Raïssa Maritain dans Les Grandes Amitiés. Les problèmes soulevés par les sciences, par les prestiges et les mirages de la raison inquiètent le philosophe. Il s'écarte de deux extrêmes, le rationalisme positviste, pour sa fermeture au supra-rationel, et le bergsonnisme, pour sa part d''anti-intellectualisme.

                                    JACQUES MARITAIN2

          De l’autre côté de la rue Saint-Jacques, il y a certes une autre vénérable institution : le Collège de France où officie Henri Bergson ; mais « une montagne de préjugés et de méfiance » s’interpose. L’amitié de Charles Péguy, qui n’est pas un fervent de la Sorbonne, donnera à Jacques et Raïssa Maritain de la franchir. Et là, chaque vendredi à dix-sept heures, dans la salle 8, ils découvrent essentiellement « qu’il est possible de trouver la vérité ». Si la voie demeure floue (Maritain le relèvera dans La Philosophie bergsonienne : études critiques, 1914), cet enseignement témoigne d’une ouverture au domaine spirituel et replace l’homme dans un cycle vital. Toutefois, De Bergson à Thomas d’Aquin (titre d’un ouvrage paru en 1944) le chemin ne semble pas tracé. Il le semble d’autant moins que la lecture de La Femme pauvre de Léon Bloy et la fréquentation de ce « pèlerin de l’absolu » les rapprochent d’une conversion dont la philosophie pourrait faire les frais. De plus, en ce début du siècle, la pensée catholique, déconcertée par le procès de compétence que lui font tant le rationalisme que la critique historique s’appliquant à ses sources, oscille entre raidissement et modernisme, entre intégrisme et libéralisme, et n’engage guère à ajouter à un dévergondage d’idées. Lorsque Jacques et Raïssa Maritain reçoivent le baptême en 1906, Léon Bloy, leur parrain, tiendra que « le miracle est accompli » — et que peut-être la foi est en voie de répudier l’intelligence.

                                  JACQUES MARITAIN3          

          C’est alors que ceux qui venaient « de chez Bloy » sont orientés par un dominicain, le père Clérissac, qui « admirait passionnément Maurras », vers l’étude de Thomas d’Aquin. Pour le jeune agrégé — qui se situera toujours hors des cadres de l’université française, préférant le statut de professeur libre à l’Institut catholique de Paris puis au Pontifical Institute of Mediaeval Studies de Toronto, enfin à l’université de Princeton, après avoir occupé le poste d’ambassadeur de France près le Saint-Siège de 1945 à 1948 —, cette étude ranime la vocation du philosophe : il y décèle les vertus de classification méthodique, de discernement des frontières épistémologiques qui correspondent excellemment à son tempérament de logicien épris de mise en ordre. Le contexte théologique du thomisme ne va pas sans poser la question de l’existence même d’une philosophie chrétienne (De la philosophie chrétienne, 1933) vécue par un chrétien philosophe, spirituellement dirigé. Mais Maritain « s’est persuadé de plus en plus [...] que le temps est venu pour elle [la philosophie de saint Thomas] de prendre sa forme propre, son organisation interne et son développement autonome en tant même que philosophie ». Les ambiguïtés ne sont pas toujours levées : ainsi « l’erreur d’accepter sans examen un élément d’ordre temporel », qui devait aboutir à la crise de 1926 marquée par la condamnation de l’Action française, mais aussi, par-delà, à l’affirmation de l’Humanisme intégral (1936), dont Primauté du spirituel (1927) avait donné une première expression. "Moi, écrira-t-il, qui avais voyagé avec tant de passion parmi toutes les doctrines des philosophies modernes, et n'y avais rien trouvé que déception et grandioses incertitudes, j'éprouvais alors comme une illumination de la raison: ma vocation philosophique m'était rendue en plénitude".

                               JACQUES MARITAIN4

          C’était là la formulation théorique d’un itinéraire vécu à partir d’une découverte de Dieu, mysterium fidei, et poursuivi à la lumière du Docteur angélique (1930). De 1923 à 1939, nombreux sont ceux qui, au 10 de la rue du Parc à Meudon, fréquentent « le dernier salon de conversion » que Maurice Sachs évoque dans Le Sabbat. S’y retrouvent, entre autres, Cocteau, Max Jacob, Berdiaev, Charles du Bos, Emmanuel Mounier, Maurice Merleau-Ponty, Gabriel Marcel, Chagall, Julien Green ; une série d’ouvrages relèvent de ce contexte : Art et Scolastique (1920), Frontières de la poésie et autres essais (1935), Quelques Pages sur Léon Bloy (1927), Réponse à Jean Cocteau (1926) que suivront Creative Intuition in Art and Poetry (1955), La Responsabilité de l’artiste (1962).

          « Si je suis thomiste, c’est parce qu’en définitive j’ai compris que l’intelligence voit » : cette confidence traduit une conception existentielle du thomisme (Court Traité de l’existence et de l’existant, 1947), conception qui caractérise proprement l’intervention philosophique de Maritain dans son temps pour « travailler à réconcilier le monde à la vérité ». Il s’agit là d’une réconciliation sans complaisance, comme en témoignent les polémiques que souleva Le Paysan de la Garonne (1967), où sont dénoncés les excès d’une ouverture au monde. Parce que, du baptême à sa mort chez les Petits Frères de Charles de Foucauld à Toulouse — où il s’était retiré après la mort de Raïssa en 1960 —, Jacques Maritain a tenu de sa foi qu’« il serait absurde de dire que l’Église est corrompue, qu’elle n’est plus avec Jésus-Christ. Pour dire cela, il faudrait à la fois s’affirmer chrétien (pour croire en Jésus-Christ) et se nier chrétien (pour condamner l’Église ; mais si vous condamnez l’Église, vous ne pouvez plus croire en Jésus-Christ). C’est la misère du protestantisme ! » (Carnet de notes, 1965). De l’Église du Christ (le cinquante-cinquième de ses livres), écrit « contre la montre » au terme de sa vie, apparaît de la sorte comme son testament.

          D’une pensée dogmatique, d’une doctrine dure, entre le temps et l’éternité, l’œuvre philosophique de Maritain a pour clé « l’ordination essentielle de l’intelligence à l’être » (souligné dès 1924 dans Réflexions sur l’intelligence et sur sa vie propre). Si Les Degrés du savoir (1932 ; publié simultanément aux Sept Leçons sur l’être) marquent le cheminement de l’intelligence vouée à distinguer pour unir, c’est d’une démarche subalternée à la foi en l’intelligence qui est « une certaine similitude de la lumière incréée ». Maritain : un philosophe selon la foi ? Doué d’une inébranlable confiance en la vérité telle qu’elle lui avait été révélée et telle que l’enseignement de Thomas d’Aquin lui avait donné de l’explorer, le converti de l’absurde se satisfaisait d’espérer être un philosophe s’inscrivant dans la lignée de ceux qui n’osaient se définir qu’amis de la sagesse : « Le mieux que puisse faire un philosophe, c’est d’humilier la philosophie devant la sagesse des saints. »

2. LA DEMOCRATIE CHRETIENNE

          JACQUES MARITAIN5          

          La démocratie chrétienne (D.C.) est un mouvement qui cherche à promouvoir, au sein d’une société démocratique et pluraliste, une politique conforme au message qu’expriment l’Évangile, la doctrine sociale des Églises et les travaux de penseurs chrétiens. Autonome vis-à-vis des organisations ecclésiales, mais enracinée dans de larges fractions du peuple chrétien, elle reçoit aussi le soutien d’agnostiques ou d’athées ouverts à l’apport culturel du christianisme. Dans Humanisme intégral (1936), le philosophe catholique Jacques Maritain rappelle son souhait de formations politiques qui rassembleraient « seulement tels chrétiens qui se font du monde, de la société et de l’histoire moderne une certaine philosophie et tels non-chrétiens qui reconnaissent d’une manière plus ou moins complète le bien-fondé de cette philosophie ».

          Quand, le 21 novembre 1791, à la Constituante, l’évêque constitutionnel de Lyon Lamourette évoque les « principes lumineux de la démocratie chrétienne », sans doute crée-t-il l’expression, mais sans y voir autre chose encore qu’une Église démocratique et populaire opposée à l’Église aristocratique de l’Ancien Régime. L’idée restera sans suite. Il faut attendre 1848 pour que l’on reparle de démocratie chrétienne : en France surtout, où avec les rédacteurs de L’Ère nouvelle, Frédéric Ozanam fait la fortune de l’expression, désormais chargée de son sens politique contemporain. Mais la réaction contre-révolutionnaire éliminera ce que Jean-Baptiste Duroselle appelle à juste titre la « première démocratie chrétienne ».

          Une deuxième va naître au lendemain de l’encyclique de Léon XIII, Rerum novarum (1891). Pour la première fois, la papauté semble appuyer le réformisme politique et social. Si une Union démocratique chrétienne de l’arrondissement de Liège apparaît en 1892, c’est en France que se constitue, en mai 1896, un Parti démocratique chrétien, première formation politique au monde à arborer cette étiquette. Jusque-là, les partis d’inspiration chrétienne, et de fait catholique, utilisaient d’autres appellations : « Centre » en Allemagne, « conservateurs » en Suisse, « catholiques » en Belgique, « sociaux-chrétiens » en Autriche, « nationaux-catholiques » en Bohême-Moravie...

          L’entre-deux guerres, cependant, verra les formations d’inspiration démocrate-chrétienne se baptiser Jeune République et Parti démocrate populaire, en France, ou Parti populaire, en Italie. Dès 1901, en effet, Graves de communi du même Léon XIII jugeait « condamnable de détourner en un sens politique le terme de démocratie chrétienne », celle-ci n’étant que la « bienfaisante action chrétienne parmi le peuple ». L’étiquette allait ainsi politiquement disparaître partout, sauf en Lituanie et en Pologne, jusqu’à sa résurrection en 1943 opérée par Alcide De Gasperi sur les ruines du vieux P.P.I. Ne s’agit-il pas de marquer la spécificité du nouveau parti et la force de sa doctrine à un moment où, le fascisme s’écroulant, resurgissent avec une force inattendue, dans la péninsule le socialisme et le communisme ? De même, en Allemagne, le rapprochement entre les catholiques et les protestants unis dans leur opposition au national-socialisme favorise la création de partis régionaux démocrates-chrétiens qui se fédéreront dans une Union démocrate-chrétienne (C.D.U.). En 1945, le premier parti latino-américain portant une étiquette démocrate-chrétienne est créé au Brésil.

UN COURANT POLITIQUE ORIGINAL

          Au départ, il y a ce conflit triangulaire qui, au long du XIXe siècle, oppose catholicisme, libéralisme et socialisme. Il est à l’origine des trois courants essentiels de la vie politique européenne, lorsque la compétition électorale, une fois le suffrage censitaire abandonné, met en jeu des partis organisés faisant appel au suffrage populaire.

          Du début du XIXe siècle à une époque récente, le rejet du libéralisme par l’Église catholique fut aussi puissant que durable. Les encycliques Mirari vos (1832), Quanta cura (1864), le fameux Syllabus qui, la même année, se fait le catalogue des erreurs modernes, la condamnation du Sillon par Pie X (1910) sont autant de mises en garde sans équivoque contre les développements d’une idéologie issue des Lumières. Il faut attendre Noël 1944 et le message à la radio de Pie XII pour que la démocratie pluraliste soit clairement acceptée par un pape : l’Église admet le libéralisme politique, mais le mot n’est pas prononcé. Bien entendu, les partis catholiques créés avec succès avant 1914 (Centre allemand, Parti catholique belge) n’avaient pas attendu cette évolution pour accepter une idéologie qui justifiait leur participation au jeu démocratique. Quant au libéralisme économique, l’Église lui a été en général hostile, reconnaissant, certes, le droit de propriété mais préconisant l’intervention de l’État contre les excès de l’individualisme. Il faut ici attendre l’encyclique Centesimus Annus de Jean-Paul II, en 1991, pour trouver une acceptation explicite de l’économie de marché, mais non du « libéralisme ». Le socialisme prémarxiste n’a pas moins été en conflit ouvert avec l’Église, et on connaît la pensée marxiste sur la religion. À part les travaillistes anglais, les partis socialistes européens sont anticléricaux. Déjà en 1878, Léon XIII condamne le socialisme dans l’encyclique Quod apostolici, pour deux raisons essentielles : il méconnaît le droit de propriété et n’est guère favorable à la famille. Les encycliques sociales de 1891 et 1931, Rerum novarum et Quadragesimo Anno, maintiennent cette attitude, tout en reconnaissant qu’il y a des points communs au socialisme modéré et au catholicisme.

          La démocratie chrétienne se situe à l’intersection du catholicisme social et du catholicisme libéral. Elle vise, lorsqu’elle se constitue en courant politique, à proposer une réponse originale aux nouveaux défis lancés simultanément par la révolution industrielle et par la démocratie politique. Sa construction intellectuelle emprunte à des sources diverses. En premier lieu, les Écritures et le message évangélique : primauté de la personne humaine et égalité entre les hommes, obligation du chrétien d’agir pour la justice et la vérité, distinction enfin entre l’action temporelle des chrétiens et la visée spirituelle des Églises. Viennent ensuite les documents ecclésiastiques, en particulier les encycliques papales. Rerum novarum et Quadragesimo Anno seront des documents importants. L’encyclique Libertas de Léon XIII (1888) sera considérée comme un encouragement à l’action démocratique, tout comme le message à la radio de Noël 1944. Quant aux penseurs, le courant augustinien sera proche, en France, de la démocratie chrétienne, avec Maurice Blondel (1861-1949), Paul Archambault (1883-1950) et, plus récemment, Étienne Borne, conscience philosophique et morale du Mouvement républicain populaire. Après la condamnation de l’Action française (1926), le principal représentant du thomisme en France, Jacques Maritain (1882-1973), élabore une doctrine catholique de la démocratie allant jusqu’à voir dans l’œuvre de saint Thomas « la première philosophie authentique de la démocratie » (Principes d’une politique humaniste, Paris, 1945). Un autre philosophe thomiste, l’académicien Étienne Gilson, sera sénateur M.R.P. à la Libération. Des écrivains, encore, des publicistes : après les précurseurs – Lamennais, Ozanam, Maret –, citons en France l’abbé Gayraud (1856-1911), député du Finistère ; Marc Sangnier (1873-1950), polytechnicien, fondateur du Sillon puis de la Jeune République, enfin député M.R.P., dont les écrits sont abondants bien qu’il fût surtout un grand orateur ; Robert Cornilleau (1888-1942), journaliste au Petit Démocrate et écrivain. En Italie, Giuseppe Toniolo (1945-1918). En Allemagne, l’évêque de Mayence, Mgr Ketteler (1818-1890). En Amérique latine, les anciens présidents du Chili et du Venezuela Eduardo Frei et Rafael Caldera, tous deux universitaires.

          Un thème domine : le christianisme est une source d’inspiration pour l’action politique. Non seulement pour défendre les intérêts des Églises et des croyants, motivation qui s’estompe avec le déclin de l’anticléricalisme, mais pour assurer une présence chrétienne dans le monde contemporain et pour donner une inspiration chrétienne à la vie démocratique. Dans ce cadre, le christianisme est perçu sous son aspect culturel et éthique. Par conséquent, la démocratie chrétienne s’adresse aussi aux non-croyants et accepte que des chrétiens choisissent d’autres options politiques. Les démocrates-chrétiens ont cependant toujours condamné le communisme et le fascisme. Ils ont marqué leur différence avec le socialisme démocratique en défendant la propriété privée et en exprimant, au nom du principe de subsidiarité, leur méfiance à l’encontre d’une intervention excessive de l’État dans la vie sociale et l’éducation. Au libéralisme, ils reprochent son individualisme et sa réticence vis-à-vis de l’intervention de l’État en matière sociale et même économique. Traditionnellement, ce sont les hommes de la troisième voie.

LES PREMIERS PARTIS CATHOLIQUES

          Les premiers partis catholiques naissent dans des pays où un conflit religieux devient un enjeu politique. Le Centre allemand a pour ancêtre un « groupe catholique » qui se constitue à la diète prussienne en 1852. Créé en 1870, il adhère sans réserve au libéralisme politique, obtenant 18,6 p. 100 des suffrages et cinquante-sept sièges aux premières élections suivant l’unité allemande, en 1871. Le Kulturkampf de Bismarck, le renforce (27 p. 100 des voix en 1881), puis, avec l’apaisement religieux, les résultats baissent ; en 1912, il obtient 16,4 p. 100 des voix et environ 55 p. 100 de celles des catholiques allemands. Le Centre a échoué dans son dessein de s’ouvrir aux protestants. Le parti, qui n’aura pas de responsabilités gouvernementales sous l’Empire, représente l’éventail complet du catholicisme allemand, allant de l’aristocratie terrienne aux classes moyennes urbaines et aux syndicalistes. Il montre son indépendance vis-à-vis de Rome lorsqu’il vote, en 1887, contre le budget de l’armée, malgré la demande expresse de Léon XIII qui espérait ainsi améliorer les relations du Saint-Siège avec l’Allemagne. Plus tard, le Centre soutient le gouvernement durant la Première Guerre mondiale et devient, avec le Parti social-démocrate, l’un des deux piliers de la république de Weimar, à laquelle il fournit neuf chanceliers sur vingt et le tiers de ses ministres. Peu touché par la montée de l’hitlérisme, qui s’appuie surtout sur les voix protestantes, le Centre vote, le 23 mars 1933, les pleins pouvoirs à Hitler et sera dissous avec tous les autres partis, à l’exception de celui qui est au pouvoir, le 14 juillet 1933.

          En Italie, la question romaine amena d’abord le Saint-Siège à imposer aux catholiques leur non-participation à la vie politique nationale : « ni électeurs, ni élus ». Mais la consigne tombe en désuétude après 1909. Fondé en 1919 par un prêtre sicilien, don Luigi Sturzo, le Parti populaire italien (P.P.I.), parti démocratique d’inspiration chrétienne et non confessionnel, obtient en 1919 et 1921 20 p. 100 des voix et plus de cent députés. Il s’allie dans un premier temps aux libéraux puis, malgré de sérieux remous internes, apporte son soutien aux premiers gouvernements de Mussolini entre 1921 et 1923. Une aile favorable à la collaboration avec le fascisme le quitte. Plus grave, il est abandonné par le Saint-Siège. Passé à l’opposition, le P.P.I. sera dissous en 1926. Handicapé par l’inexpérience de ses dirigeants, le P.P.I. fut un grand parti populaire recueillant de très nombreuses voix ouvrières et paysannes et tâchant de mener une politique démocratique d’inspiration chrétienne sans compromettre la papauté ni engager l’Église. Mais, comme l’écrit Jean-Marie Mayeur, « l’aval de Rome permit sa naissance ; son désaveu, sa mort ». Aucun parti démocrate-chrétien ne fut à ce point dépendant de la papauté.

          En Belgique, le Parti catholique est, après plusieurs tentatives, créé en 1884. Il parvient à fédérer de multiples associations catholiques. En 1921, il change son nom en Parti catholique belge auquel adhèrent quatre organisations socioprofessionnelles ou standen : la Ligue démocratique chrétienne, qui rassemble les travailleurs ; les associations catholiques flamandes et wallonnes ; la Fédération des classes moyennes ; la Fédération des associations et cercles catholiques. Première formation du pays entre 1919 et 1940, avec en moyenne 37 p. 100 des suffrages, le parti occupe en quasi-permanence le poste de Premier ministre et gouverne en coalition avec les libéraux ou, plus rarement, avec les socialistes. Aux Pays-Bas, il existe des partis catholique et protestant. Le parti catholique, avec 30 p. 100 des voix, obtient 80 p. 100 de celles des baptisés. À partir de 1918, les partis confessionnels gouvernent ensemble et s’appuient sur un vaste réseau d’organisations sociales, syndicales et religieuses.

          Dans l’Empire austro-hongrois des partis catholiques et sociaux-chrétiens se forment vers 1900. Après 1918, ils exerceront fréquemment des responsabilités gouvernementales. En Bohême et Moravie, le Parti populaire est un parti démocrate-chrétien, alors que son homologue slovène se rapprochera d’un nationalisme profasciste. Les sociaux-chrétiens autrichiens acceptent en 1919 la république démocratique, mais l’orientation sera de courte durée, et au sein du parti, dont le principal dirigeant est le chancelier, Mgr Seipel, les courants corporatistes et autoritaires gagneront du terrain. Antinazi, son successeur, Dollfuss, met le Parlement en vacances, en 1933, et établit, en 1934, un État autoritaire. Le Parti social-chrétien autrichien est un exemple de la distance qui sépare certains partis catholiques même « sociaux » de la démocratie chrétienne et de la démocratie tout court.

          En France, la démocratie chrétienne dispose d’un patrimoine doctrinal d’importance, mais a du mal à s’imposer sur le plan politique, les catholiques votant massivement pour les partis situés à droite de la démocratie chrétienne, partis au demeurant non catholiques mais socialement conservateurs. Faiblement appuyé par le clergé, le Parti démocratique chrétien disparaît, entraîné par la marée nationaliste qui secoue les milieux catholiques avec l’affaire Dreyfus. Le ralliement des catholiques à la république, en 1890, entraîne la création d’un parti catholique de droite, l’Action libérale populaire de Jacques Piou et Albert de Mun. Cette formation aura une quarantaine de députés dans les années 1900, siégera à droite, dans l’opposition, pour disparaître en 1919 au profit de la Fédération républicaine, parti conservateur non confessionnel. Le Sillon de Marc Sangnier réunit de nombreux militants et dispose d’un vaste réseau de publications. Condamné par Pie X, en 1910, accusé d’être trop démocratique, ce mouvement mi-apostolique mi-politique aura formé de nombreux cadres qu’on retrouvera entre les deux guerres dans les partis démocrates-chrétiens. Ces derniers sont trois. La Jeune République, fondée par Marc Sangnier en 1912, représente la gauche catholique de l’époque. Recrutant surtout chez les enseignants et les employés, à mi-chemin entre le parti politique et le groupe de pensée, elle aura, au plus, quatre députés et adhérera au Front populaire en 1935. Le Parti démocrate-populaire, créé en 1924, dont les principaux responsables sont Auguste Champetier de Ribes et Paul Simon, est un vrai parti politique, avec un groupe parlementaire à la Chambre, une vingtaine de députés, dix mille adhérents et une ligne politique de centre droit. Enfin, les démocrates-chrétiens alsaciens créent l’Union populaire républicaine, bien organisée, fortement autonomiste, dont la dizaine de députés ont du mal à se situer sur l’échiquier politique français. Les trois partis ont en tout quelque 30 députés sur 584 et reçoivent 3 p. 100 des voix, surtout dans l’Est et dans l’Ouest. Un quotidien, L’Aube, fondé en 1932, aura une certaine influence.

L'EUROPE D'APRES GUERRE

          Le retour de la démocratie en Autriche, en Allemagne et en Italie, la libération du reste de l’Europe et l’action de nombreux chrétiens contre le nazisme vont donner de nouvelles perspectives au catholicisme politique, qui dans de nombreux pays est de surcroît conforté par l’introduction du suffrage féminin. Les tendances catholiques autoritaires sont privées de légitimité par l’issue du conflit. Le Vatican, après un long moment d’hésitation, reconnaît l’importance des partis démocrates-chrétiens pour défendre les Églises menacées par la montée du communisme. Enfin, l’étiquette n’est plus exclue du jeu politique par l’Église et le rapprochement avec les protestants qu’a permis la lutte contre le nazisme ouvre à beaucoup de ceux-ci le mouvement démocrate-chrétien.

          En France, le Mouvement républicain populaire fondé en 1944 est dirigé par des hommes connus du grand public grâce à leur action durant la guerre : Georges Bidault, président du Conseil national de la Résistance, et Maurice Schumann, porte-parole de la France libre à la radio de Londres. Le M.R.P. obtient 25 p. 100 des voix en 1945 et un maximum de 28 p. 100 (et 125 000 adhérents) en 1946, avant de décliner (12 p. 100 des suffrages au cours de la IVe République ; 30 000 adhérents en 1958), victime de la contradiction entre l’antigaullisme de ses cadres et le gaullisme de son électorat. Au pouvoir en coalition avec les socialistes et les communistes jusqu’en 1947 (tripartisme), avec les socialistes, les radicaux et les modérés de 1947 à 1951 (Troisième Force), puis avec la droite modérée en 1954-1955, le M.R.P. aura une politique timide en matière de décolonisation mais un rôle déterminant pour exclure les communistes du pouvoir à la Libération et empêcher le général de Gaulle d’y revenir en 1947 et 1951. Sous l’impulsion de Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères, il est à l’origine de la participation de la France à la construction européenne. Incapable de s’opposer à lui seul au gaullisme triomphant, le mouvement disparaît en 1966 au profit du Centre démocrate, né un an plus tôt de la candidature de Jean Lecanuet à la présidence de la République (16 p. 100 des voix). Les centristes, par la suite, auront du mal à jouer un rôle important à cause du système de scrutin majoritaire à deux tours. En 1974, ils s’intègrent dans la majorité de centre droit en soutenant Valéry Giscard d’Estaing. En 1976, mettant fin à une division née lors de la présidentielle de 1969, les démocrates-chrétiens se retrouvent au sein du Centre des démocrates sociaux (C.D.S.), présidé par Jean Lecanuet. Le C.D.S. sera l’aile « européenne » de la coalition de centre droit au pouvoir. En 1988, il soutient la candidature de Raymond Barre. Absent aux élections présidentielles de 1974, 1981 et 1988, le C.D.S. n’a pu élargir un électorat qui se situe autour de 10 p. 100 des voix. Il disposait en 1992 de 44 députés sur 577 et de 60 sénateurs sur 320, recrutant l’essentiel de ses élus dans les régions catholiques de l’Est et de l’Ouest, fiefs historiques de la démocratie chrétienne.

          Le premier parti démocrate-chrétien d’Europe est l’Union démocrate-chrétienne d’Allemagne (C.D.U., 800 000 adhérents) en symbiose avec le parti frère bavarois, l’Union sociale-chrétienne (C.S.U., 150 000 adhérents). Les deux partis forment un groupe commun au Bundestag mais demeurent distincts. Fondée après la guerre, la C.D.U. rassemble protestants et catholiques rapprochés par la lutte antinazie. À l’Est, elle survivra comme un simple satellite du Parti communiste au pouvoir. En République fédérale, la C.D.U.-C.S.U., conduite par Konrad Adenauer, ancien dirigeant du Centre, arrive en tête aux élections de 1949 et s’installe au pouvoir pour vingt ans, en coalition avec les libéraux. Le succès d’Adenauer sera fortement soutenu par l’action de Ludwig Erhard, ministre C.D.U. de l’Économie et futur chancelier. La C.D.U., adopte l’économie sociale de marché qui permet l’essor de l’économie allemande. Elle met aussi en place un modèle original de cogestion des entreprises et arrime l’Allemagne à l’Occident à travers les Communautés européennes et l’alliance avec les États-Unis. En 1982, retrouvant l’appui des libéraux, la C.D.U. revient aux affaires. Avec le chancelier Helmut Kohl, elle conduira le processus du réunification allemande vis-à-vis duquel l’opposition sociale-démocrate exprime sa réticence. Victorieux aux élections est-allemandes de 1990 et aux élections générales de la même année, les démocrates-chrétiens obtiendront aussi le pouvoir dans cinq des six Länder de l’Est, y compris à Berlin, traditionnelle forteresse « rouge » depuis l’Empire. D’une manière générale, les résultats de la C.D.U. sont meilleurs parmi les catholiques que chez les protestants, à cause de la vieille tradition du Centre. Aux élections de 1990, son électorat reflétait assez bien la sociologie allemande, à deux réserves près : la C.D.U. est plus faible dans les grandes villes, et ses électeurs sont plus âgés que la moyenne nationale. La C.S.U., quant à elle, est plus conservatrice que la C.D.U. en politique étrangère, sur les questions éthiques (avortement) et sociales (cogestion). Elle obtient en général plus de 50 p. 100 des voix dans une Bavière qu’elle gouverne en solitaire. Grâce à la Fondation Konrad Adenauer, financée sur fonds d’État comme les autres fondations allemandes proches des partis, la C.D.U. a une grande influence sur les organisations internationales de la démocratie chrétienne et sur les partis démocrates-chrétiens du Tiers Monde.

          La Démocratie chrétienne italienne fondée en 1943 par Alcide De Gasperi , ancien secrétaire général du P.P.I., obtient, en 1946, 35 p. 100 des voix et sera par la suite au pouvoir de façon quasi ininterrompue. Elle culmine à 48 p. 100 des voix en 1948, puis se stabilise autour de 38 p. 100 dans les années soixante-dix, avant de descendre à 34 p. 100 en 1987 et 29 p. 100 en 1992. Une telle permanence s’explique par la puissance de l’opposition communiste, qui rend impossible toute solution de rechange. La D.C. gouvernera avec la gauche jusqu’en 1947, comme dans le reste de l’Europe, puis avec les centristes laïques jusqu’en 1962, où l’ouverture à gauche fait entrer le Parti socialiste italien dans la majorité gouvernementale. La D.C. a dirigé l’Italie dans les années qui ont vu un progrès économique et social impressionnant. Elle a déjoué l’action des terroristes dans les années soixante-dix, mené à bien la régionalisation et favorisé l’intégration européenne. Elle est accusée, pas toujours à tort, d’avoir colonisé l’État et l’administration, de tolérer des liens avec la Mafia chez certains de ses cadres méridionaux, de ne pas être étrangère à la corruption. La D.C. a toujours reçu un soutien relativement important de l’Église italienne et jouit de liens étroits avec un « monde catholique » bien organisé : le syndicat d’inspiration chrétienne C.I.S.L. (2,5 millions d’adhérents), la confédération d’agriculteurs Coldiretti, le mouvement catholique de travailleurs A.C.L.I., Communion et Libération, l’Action catholique. La D.C. a environ 1,5 million d’adhérents et 13 000 sections. Sa vie interne est dominée par le jeu des courants liés à des personnalités (Amintore Fanfani, Giulio Andreotti) ou idéologiques (Base représente la gauche ; Forces nouvelles, les syndicalistes). Les élections de 1992 ont vu un grand recul de la D.C. La fin du communisme l’a privée d’électeurs qui votaient pour elle par peur plus que par conviction. Le succès de la Ligue lombarde l’a affaiblie dans le nord de l’Italie, région la plus industrialisée du pays. Si elle reste et de très loin le premier parti italien, il est certain que le maintien de sa puissance exige un grand renouvellement de ses hommes et de ses méthodes.

          En Belgique, aux Pays-Bas et au Luxembourg, les partis démocrates-chrétiens sont en général à la tête du gouvernement depuis 1945 en coalition avec les libéraux ou avec les socialistes. Dans les trois pays, ils bénéficient de l’action de syndicats chrétiens puissants. Le Parti social-chrétien (P.S.C.) belge se divisa en 1968 en deux partis complètement indépendants, l’un flamand, le C.V.P. (Christelijke Volkparti), et l’autre francophone. Bien plus puissant que son homologue wallon, le C.V.P. (120 000 adhérents contre 60 000 au P.S.C., 39 députés contre 18 en 1991) a perdu du terrain au profit des nationalistes du Vlaams Blok. Aux Pays-Bas, les partis catholique et protestant ont fusionné en 1976 pour former l’Appel démocrate-chrétien (C.D.A.). Celui-ci a stoppé le déclin des partis chrétiens, rassemblant 35 p. 100 des voix aux législatives de 1989. Fort de la grande popularité du Premier ministre Ruud Lubbers, il est le premier parti néerlandais.

          En Autriche, le Parti populaire autrichien (Ö.V.P.) a succédé en 1943 aux sociaux-chrétiens. Il est le premier parti autrichien jusqu’en 1970, obtenant jusqu’à 48 p. 100 des voix. Cette année-là, il sera dépassé par les socialistes qui ont abandonné le marxisme et se sont dotés de leaders populaires. L’Ö.V.P., qui évolue vers la droite, passera dans l’opposition puis gouvernera en partenaire minoritaire des socialistes. Le parti (32 p. 100 en 1990) perd des voix au profit des libéraux-conservateurs de Jörg Haider. Il a reconduit sa coalition avec les socialistes. Au-delà des problèmes de structure et de l’évolution de la société autrichienne, il souffre de l’absence de leaders.

          En Suisse, le Parti conservateur chrétien-social s’est transformé, en 1970, en Parti démocrate-chrétien. Le P.D.C. a une clientèle quasi exclusivement catholique et a obtenu 36 députés sur 200 en 1991. Il participe au gouvernement collégial depuis 1919 avec 2 membres sur 7, en compagnie des radicaux, des socialistes et de l’Union démocratique du centre. Ces dernières années, son pourcentage des voix est passé de 21 à 18, au profit de petites formations de la droite populiste. Un petit parti protestant, le Parti évangélique populaire, élit traditionnellement 3 députés et obtient environ 2 p. 100 des suffrages. Le P.D.C. a une clientèle qui vient de tous les milieux sociaux.

          L’Espagne et le Portugal n’ont pas connu, après Franco et Salazar, la naissance, escomptée par certains, de grands partis démocrates-chrétiens. La collusion de la hiérarchie avec les régimes autoritaires, le refus de l’étiquette chrétienne par de nombreux catholiques post-conciliaires, la crise des mouvements d’action catholique et l’attrait du socialisme peuvent expliquer cette situation. En Espagne, les formations régionalistes démocrates-chrétiennes, Parti nationaliste basque et Union démocratique de Catalogne, obtiennent de bons résultats et sont localement au pouvoir. Intégrés après 1977 dans l’Union du centre démocratique d’Adolfo Suárez, les démocrates-chrétiens espagnols rejoindront le Parti populaire de José Maria Aznar. Le Parti populaire, qui a adhéré aux organisations internationales démocrates-chrétiennes et essaie de se débarrasser de son image droitière, a obtenu 26 p. 100 des voix aux élections législatives de 1989. Au Portugal, le Centre démocratique et social se dit démocrate-chrétien. Son déclin (5 p. 100 des voix aux législatives de 1991 contre 15 p. 100 dans les années quatre-vingt) est dû à la concurrence du Parti social-démocrate au pouvoir, parti qui est en fait libéral.

          En Scandinavie, l’absence de conflit entre le protestantisme et le pouvoir, la forte influence religieuse s’exerçant sur le libéralisme comme sur le socialisme ont retardé la naissance de partis d’inspiration chrétienne ; la sécularisation croissante des sociétés scandinaves joue en sens inverse. Fondé en 1933, le Parti populaire chrétien norvégien a détenu le poste de Premier ministre en 1972 et participé à de nombreux gouvernements non socialistes. L’Union chrétienne finlandaise (1958) a obtenu son premier député en 1970 ; depuis 1991, elle est représentée au gouvernement. Le Parti démocrate-chrétien danois (1970) participe aussi à la plupart des gouvernements de centre droit. En Suède, le Parti social-démocrate-chrétien (1964) doit attendre 1991 pour dépasser le seuil de 4 p. 100 des suffrages et obtenir le droit d’être représenté au Parlement ; le succès du parti est dû à un long travail d’organisation et à la personnalité de son président, Alf Svensson.

          La démocratisation de l’Europe de l’Est a entraîné la revitalisation ou la création de nombreux partis démocrates-chrétiens. Simultanément, des partis nationalistes démocrates qui reconnaissent le christianisme comme un élément de la culture nationale ont adhéré aux organisations internationales de la démocratie chrétienne, de même que des partis modérés à la recherche de contacts internationaux.

          En Tchécoslovaquie, avant la scission, trois partis démocrates-chrétiens se réunissaient au sein d’une Union démocrate-chrétienne (K.D.U.) pour recueillir 12 p. 100 des voix aux élections de juin 1990 : l’historique Parti populaire de Bohême et Moravie, le Parti démocrate-chrétien tchécoslovaque et le Mouvement démocrate-chrétien slovaque. Les résultats étaient bons en Slovaquie, mais beaucoup de chrétiens votaient pour le Forum civique et la Bohême-Moravie est de forte tradition laïque. La Pologne avait une tradition nationale-catholique plutôt que démocrate-chrétienne. La démocratie chrétienne s’y reconstitua, mais fragmentée, notamment par la représentation proportionnelle, et concurrencée par les mouvements nationalistes et paysans. En Hongrie, le Parti populaire démocrate-chrétien, qui existait déjà en 1947, obtient 7 p. 100 des voix aux élections de 1990. Le Forum démocratique, arrivé en tête avec 25 p. 100 et auquel appartient le Premier ministre Jozsef Antall, adhère à l’Union européenne démocrate-chrétienne, ainsi que le troisième parti de la coalition gouvernementale, le Parti paysan (11 p. 100 des voix). En Roumanie, un petit parti démocrate-chrétien créé en 1989 fusionne avec le vieux Parti paysan et crée le Parti national paysan démocrate-chrétien (4 p. 100 à la présidentielle de 1990 et 2,6 p. 100 aux législatives, mais le parti a progressé aux municipales de 1992). La Fédération démocratique des Hongrois de Roumanie (7 p. 100 aux législatives, parti arrivé en deuxième position dans le pays) adhère aussi aux organisations démocrates-chrétiennes internationales. Un autre pays orthodoxe, la Bulgarie, n’avait pas de tradition démocrate-chrétienne. Le désir des opposants au régime de se distinguer des communistes sur le plan idéologique a amené plusieurs mouvements à se rapprocher du mouvement démocrate-chrétien européen. Trois appartiennent à la coalition gouvernante (Union des forces démocratiques) : le Parti démocratique bulgare (40 députés), le Centre démocratique (15 députés), le Front démocrate-chrétien (2 députés). Un autre parti, l’Union paysanne de Nicolas Petkov, n’a pas eu d’élus. Enfin, plusieurs partis démocrates-chrétiens se sont formés dans l’ancienne Yougoslavie. En Slovénie, le Parti démocrate-chrétien est arrivé en tête des formations de la coalition d’opposition avec 13 p. 100 des voix, et son président, Alojs Peterle, est devenu le président du gouvernement slovène en 1990. En Croatie, un petit parti démocrate-chrétien obtient à peine deux élus en avril 1990, mais le parti du président Tudjman, l’Union démocratique, qui a obtenu 55 p. 100 des voix, se dit démocrate-chrétien et est membre observateur de l’Union européenne démocrate-chrétienne.

          En Lituanie le Parti démocrate-chrétien, réactivé en 1989, occupe le ministère des Affaires étrangères et dispose de quatre sièges au Parlement. Deux petits partis démocrates-chrétiens se sont fondés en Estonie et sont représentés au Parlement. L’éclatement de l’U.R.S.S. et la démocratisation de la vie politique dans les États qui en sont issus ont aussi permis l’apparition de partis démocrates-chrétiens dans plusieurs républiques. En Russie, les deux organisations les plus importantes sont le Mouvement démocrate-chrétien et l’Union démocrate-chrétienne qui disposent d’élus au Parlement russe et dans les municipalités des grandes villes. Il y a aussi de nombreux groupes locaux. Les personnalités les plus connues de ces mouvements sont Alexandre Ogorodnikov et le prêtre orthodoxe Gleb Yakounine. Il existe de nombreux groupes nationalistes chrétiens. En Ukraine, le Parti démocrate-chrétien, surtout catholique, cohabite avec un Parti républicain, orthodoxe. Ce dernier est bien représenté au Parlement, mais d’autres groupes démocrates-chrétiens agissent aussi. On trouve encore des formations démocrates-chrétiennes en Biélorussie, en Géorgie et en Arménie. Il reste aussi à savoir quel sera leur impact dans des sociétés où le christianisme a été fortement persécuté et où il suscite, peut-être, plus de sympathie que d’adhésion.

L'AMERIQUE LATINE, L'AFRIQUE ET L'ASIE

          L’Amérique latine comptait deux partis démocrates-chrétiens avant la guerre (Chili, Uruguay) ; démocratisation des systèmes politiques aidant, ils sont aujourd’hui plus de vingt. Pourtant, le bilan d’ensemble reste mitigé : de poids électoral secondaire au Mexique (17 p. 100 en 1988 pour le parti d’inspiration catholique), le mouvement est faiblement représenté dans les deux autres grands pays de la zone, le Brésil et l’Argentine. La D.C. n’a pas bénéficié d’un soutien de l’Église aussi fort qu’en Europe, et les partis traditionnels ont souvent mieux résisté à la modernisation du jeu politique : en Colombie, en Uruguay, au Honduras, le système des partis a peu évolué depuis 1900. En outre, les partis populistes se sont montrés des rivaux dynamiques : le péronisme argentin, le M.N.R. bolivien, l’A.P.R.A. au Pérou n’ont pas la tradition anticléricale des partis socialistes et radicaux européens. La faiblesse de l’encadrement ecclésial (petit nombre de prêtres, pratique religieuse épisodique, absence de syndicats chrétiens) a joué aussi son rôle. Enfin, la démocratie chrétienne a été fortement combattue par une gauche catholique influente dans les années soixante-dix et par un catholicisme traditionnel très conservateur, mais qui a su, lui aussi, se moderniser en profitant de la vague néo-libérale.

          Le parti le plus puissant est la Démocratie chrétienne chilienne dont l’origine se situe en 1937, année où la jeunesse du Parti conservateur part fonder la Phalange. Vingt ans plus tard, le changement de nom s’accompagne d’un changement d’échelle : le Parti démocrate-chrétien gagne l’élection présidentielle de 1964, avec Eduardo Frei, perd le pouvoir en 1970 mais reste le premier des partis chiliens et s’oppose fortement au gouvernement socialiste et communiste du président Allende. Dissoute par les militaires en 1977, la D.C. conservera un rôle actif et sera le parti pivot de la démocratisation du système. En 1989, elle obtient avec Patricio Aylwin 30 p. 100 des voix et la présidence. Ce parti bien organisé de quelque quatre-vingt mille adhérents est fortement enraciné dans les professions libérales, les syndicats et la paysannerie. Sa politique réformiste, sous Aylwin comme sous Frei, est parvenue à une certaine conciliation entre une économie de marché efficace et une réelle redistribution sociale.

          L’autre grand parti démocrate-chrétien est le vénézuélien. Fondé en 1946, il est au pouvoir de 1968 à 1973 (Rafael Caldera) puis de 1979 à 1984 (Luis Herrera Campins). Le parti obtient environ 40 p. 100 des voix et dispose d’un soutien populaire très important quoique inférieur à celui de son rival traditionnel, Action démocratique, de tendance populiste. Ailleurs en Amérique du Sud, la D.C. recueille des suffrages plus modestes : 10 p. 100, environ, en Équateur (mais la présidence avec Osvaldo Hurtado, 1981-1984) et au Pérou ; 3 p. 100 en Bolivie, au Paraguay, en Uruguay même où, malgré son ancienneté (Union civique, 1912), le parti a du mal à s’implanter dans un pays très laïcisé. Elle est forte, en revanche, dans la plupart des pays d’Amérique centrale, où ses partis, fondés autour de 1960, ont obtenu le soutien des secteurs paysans, de nombreux travailleurs des villes et de cadres universitaires issus des mouvements catholiques. La D.C. a gagné la présidence du Salvador avec Napoleón Duarte (1984-1989), du Guatemala avec Vinicio Cerezo (1986-1991), du Costa Rica avec Rafael Angel Calderon (1990) et a de fortes positions au Panamá et en République dominicaine. À défaut de présenter un bilan indiscutable, ces partis au pouvoir ont été les canaux d’une certaine participation populaire et de l’enracinement de la démocratie pluraliste. Il existe des partis démocrates-chrétiens au Nicaragua et au Honduras.

          En Asie, il faut mentionner le Parti démocratique indonésien (11 p. 100 des voix en 1987), et surtout le Mouvement social-chrétien, fondé aux Philippines en 1966, dont l’animateur, Raul Manglapus, s’opposera à la dictature de Ferdinand Marcos et sera nommé ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Corazón Aquino. Un autre de ses membres, le général F. Ramos, a été élu président en 1992.

          En Afrique, les limites de l’implantation chrétienne et la très récente démocratisation des systèmes politiques sont des obstacles à l’implantation des partis démocrates-chrétiens ; souvent, ceux-ci ne sont que des groupes réduits, sans enracinement populaire. On peut toutefois citer le Parti démocratique de l’Ouganda, qui recrute de préférence parmi les catholiques et, depuis 1986, est représenté dans le gouvernement du président Yoweri Kaguta Museveni ; et encore, au Zaïre, pays catholique le plus important d’Afrique, le Parti démocrate et social chrétien de Joseph Ileo, dont l’opposition au régime de Mobutu recueille le soutien de protestants et de membres de l’Église kibanguiste.

          Au total, sur les cinq continents, ce sont quelque soixante-dix partis démocrates-chrétiens qui se comptent dans les pays de cultures catholique, orthodoxe et protestante. Les structures internationales – Internationale démocrate-chrétienne, Union européenne démocrate-chrétienne, Parti populaire européen (P.P.E., 162 sièges sur 522 au Parlement européen, en 1992), Organisation chrétienne d’Amérique – tâchent de rendre moins hétérogènes des partis allant du conservatisme modéré aux frontières du socialisme révolutionnaire. Leurs moyens sont limités, et leur tradition de solidarité moindre que celle des partis socialistes. L’aide accordée aux partis dans le besoin transite ainsi non par l’Internationale, mais de parti à parti. La C.D.U. allemande est de loin le parti qui développe l’action internationale la plus importante, bien qu’il ne faille pas négliger le rôle joué ces dernières années par le groupe P.P.E. au Parlement européen.

Rév. Père AKE Patrice Jean